À titre personnel, je conçois la loi de 1881 comme un tout qui, à la fois, proclame une liberté, permet la répression de ses abus et crée, pour ce faire, un cadre procédural spécifique. Liberté et responsabilité : c’est cet équilibre central qui fonde cette loi ; nous devons le préserver.
Permettre aux journalistes d’informer, c’est également s’assurer que les citoyens aient confiance dans leurs médias. Or cette confiance ne cesse de s’étioler. D’après le baromètre annuel chargé de la mesurer, elle n’a même jamais été aussi faible. Un Français sur deux ne fait pas confiance à ce qu’il entend à la radio, alors même qu’il s’agit du média dans lequel nos concitoyens ont le plus confiance !
Un moyen de restaurer la confiance pourrait être de mettre en place une instance d’autorégulation de la profession. C’est, vous le savez, une idée ancienne. J’ai confié à l’automne à Emmanuel Hoog une mission pour y réfléchir. Il m’a remis son rapport à la fin du mois de mars. Ce rapport a été rendu public et l’ensemble des acteurs concernés a pu en prendre connaissance.
Cette réflexion est légitime et utile, tant à la profession qu’à notre démocratie. Une telle instance existe déjà chez un certain nombre de nos voisins. Elle est recommandée par plusieurs organisations internationales, comme l’Unesco ou l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
Nos compatriotes – trois Français sur quatre – sont majoritairement favorables à la création d’une telle instance. La profession, elle, est plus partagée. Les syndicats de journalistes ont évolué sur ce point, et je veux les en saluer. J’entends les critiques, les réticences, l’hostilité parfois, de certains éditeurs de presse. Je respecte leur position. Mais il me semble que l’Allemagne, la Suède, la Suisse ou la Grande-Bretagne, qui sont toutes dotées d’un tel conseil, ne sont pas des démocraties au rabais où la liberté de la presse serait menacée.
Toutefois, ce sujet requiert de nous une grande précision dans les termes, car les mots ont un sens. Une instance de déontologie n’est pas un conseil de l’ordre. Elle aurait vocation non pas à prononcer des sanctions, comme le conseil de l’ordre des médecins, mais seulement à rendre des avis.
En outre, c’est à la profession et à elle seule de s’organiser. Ce n’est pas à l’État de créer une telle instance, même s’il peut l’accompagner en cas de besoin. Une démarche a été engagée par l’observatoire de la déontologie des journalistes : il faut s’en féliciter.
Enfin, je tiens à rappeler que ce n’est pas le rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, de dire ce qui est vrai et ce qui est faux. Dans la lutte contre les fausses informations, le CSA a un rôle à jouer. Je l’ai défendu lors de l’examen de la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Mais ce rôle, c’est de vérifier que les plateformes mettent en place des procédures pour lutter contre la manipulation de l’information, pas de dire ce qu’est une infox, c’est-à-dire une fausse information !
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qu’il vous est proposé d’examiner est absolument essentielle pour notre démocratie. De son adoption dépend la survie d’une presse indépendante et libre. Plus largement, de la transposition de la directive Droit d’auteur dépend la protection de nos auteurs, de nos créateurs et de nos valeurs.
Si ce texte est indispensable, il ne procède à la transposition que d’une partie de la directive précitée. Je souhaiterais vous en donner les prochaines étapes.
Je l’ai dit, l’un des facteurs clés de la réussite de la négociation de ce texte a été la mobilisation sans faille, avec un front uni, de tous les secteurs, de toutes les parties prenantes. Et je veux leur dire à tous que la mobilisation du Gouvernement continue sur l’ensemble des autres sujets, pour aboutir à une transposition rapide de dispositions essentielles.
Je pense aux articles 17 et 18, anciennement articles 13 et 14, de la directive Droit d’auteur qui étaient au cœur des négociations. Ceux-ci permettront d’imposer aux plateformes une juste rémunération des créateurs pour les contenus qu’elles réutilisent, et une rémunération juste et proportionnelle des auteurs.
Nous avons fait des propositions de rédaction sur les articles 17, 18 et suivants. Elles sont toujours en cours de concertation avec le secteur.
Je pense également à d’autres dispositions essentielles : la sécurisation du dispositif ReLIRE, beau projet français de numérisation des livres indisponibles, que nous devons mettre en conformité avec le droit européen pour permettre sa poursuite ; l’adaptation des dispositions issues de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite loi LCAP, pour les moteurs de référence d’images, afin, là encore, de les mettre en conformité avec le droit européen de manière à en assurer l’application effective ; le principe d’injection directe de la directive dite « Cabsat ».
Ces dispositions seront intégrées au projet de loi relatif à l’audiovisuel, lequel – vous le savez – sera présenté à la fin du mois d’octobre en conseil des ministres, et examiné en janvier 2020 à l’Assemblée nationale, comme l’a annoncé le Premier ministre – un projet de loi que vous étudierez, j’en suis certain, avec le même esprit constructif que la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui.