Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi donc, la France sera le premier pays d’Europe à transposer en droit national un article de la directive européenne sur le droit d’auteur, votée il y a seulement trois mois par le Parlement européen et publiée au Journal officiel de l ’ Union européenne le 17 mai dernier. C’est un record de réactivité !
Il faut dire que le Sénat avait déjà adopté, en janvier dernier – à l’unanimité, je le rappelle –, la proposition de loi de David Assouline tendant à créer un droit voisin au droit d’auteur au profit des éditeurs et agences de presse.
Ce vote, consensuel, intervenait par anticipation, quelques jours à peine avant le vote définitif de la directive par le Parlement européen et sa validation par le Conseil européen… et quelques semaines avant le renouvellement, fin mai, des instances européennes.
L’Assemblée nationale a ainsi pu tenir compte, lors de sa lecture de la proposition sénatoriale, des derniers ajustements opérés dans la directive et nous proposer un texte quasi finalisé propre à recueillir aujourd’hui une validation qui respecte parfaitement les termes de la directive. C’est dire combien le calendrier nous a été favorable.
C’est dire aussi que cette législation particulièrement attendue par les éditeurs et agences de presse pourra, si l’Assemblée nationale l’entérine avant la fin de la session, être enfin applicable dans les prochaines semaines.
Je dis « enfin », car il aura tout de même fallu trois ans d’un débat compliqué et chaotique dans les instances européennes pour que ce droit légitime des éditeurs et agences de presse soit pris en compte.
Il s’agit donc, dans l’article 11 de la directive devenu article 15, de créer un droit voisin au droit d’auteur qui permette aux éditeurs et aux agences de presse de percevoir une légitime rémunération, versée par les plateformes de diffusion numérique dans le cas d’une réutilisation en ligne de leur production.
Nous connaissons les enjeux. Nous les avons largement exposés en première lecture. Les moteurs de recherche et agrégateurs reprennent aujourd’hui à leur compte les articles publiés dans la presse sans rémunérer le secteur créatif, tout en bénéficiant des immenses retombées publicitaires que ces flux entraînent.
Ce détournement des revenus publicitaires au profit des opérateurs numériques met en péril le modèle économique de la presse et, à terme, son existence même, sa liberté et, au fond, un des fondements de notre démocratie.
La liberté de la presse a été consacrée au rang de principe constitutionnel fondamental, sur le fondement de la libre communication des pensées et des opinions.
Encore faut-il que le modèle économique du secteur soit viable ! Dans le prolongement du combat mené depuis toujours par la France, l’Union européenne a estimé que ce n’était plus le cas à l’ère numérique.
Cette création d’un droit voisin s’inscrit dans la volonté européenne de faire entrer les grands opérateurs numériques, pour l’instant américains, mais bientôt chinois, dans le modèle français et européen de la propriété intellectuelle et du respect du droit d’auteur, plutôt que de s’adapter au modèle promu par ces géants du net. Au pays de Beaumarchais, c’est tout à l’honneur de la France d’être à la pointe de ce combat.
La proposition de loi créant un droit voisin va ainsi obliger les « services de communication au public en ligne » – moteurs de recherche, réseaux sociaux, agrégateurs d’actualités – à respecter le droit à rémunération que détiennent les agences et éditeurs de presse en cas d’utilisation de leurs productions, sans limiter le droit à l’information.
L’autorisation de l’éditeur sera requise avant toute reproduction ou mise à disposition du public.
L’assiette du droit voisin portera sur les recettes, directes et indirectes, des sites internet et le montant sera négocié entre les parties prenantes.
Pour ces négociations, la proposition de loi encourage, sans les y obliger, les éditeurs et agences de presse à se regrouper au sein d’organismes de gestion collective, à l’instar de ce qui se passe en matière musicale, afin de s’accorder directement avec les plateformes numériques.
Le texte prévoit également que les retombées financières légitimes pour les journalistes eux-mêmes seront négociées par des accords d’entreprise.
La durée de validité du droit voisin, que le Sénat avait déjà ramenée à cinq ans, a été en définitive arrêtée à deux ans, conformément à la directive. Il semble d’ailleurs que ce laps de temps soit suffisant, les articles de presse ayant une durée de vie assez limitée.
En ce qui concerne le champ d’application de ce droit voisin, la proposition de loi s’est conformée à la doctrine européenne qui exclut de ce droit les revues scientifiques ou universitaires, mais aussi les hyperliens, les mots isolés et les extraits courts.
L’appréciation de ce champ de dérogation reste à ce jour encore un peu floue et promet quelques jolis contentieux à venir, lesquels ne manqueront pas de construire, nous l’espérons, une jurisprudence équilibrée.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis conscient du fait que je ne vous ai pas appris grand-chose au cours de mon intervention. Mais le principal était de vous dire que mon groupe votera cette proposition de loi, dont la mise en œuvre devient urgente si l’on veut préserver notre presse pluraliste et l’esprit de démocratie qui la sous-tend.
Prenons d’ores et déjà rendez-vous pour la transposition du reste de la directive Droit d’auteur, notamment de ses articles 17 et 18, qui trouvera sans doute sa place lors de l’examen du projet de loi portant réforme de l’audiovisuel.