Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 3 juillet 2019 à 14h30
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenant après de nombreux orateurs, je ne vais pas revenir sur l’intérêt et l’importance de cette proposition de loi, sinon pour saluer l’engagement du rapporteur, David Assouline, également auteur de ce texte. Grâce à sa détermination, à celle de notre commission, à celle du Sénat dans son ensemble, et avec votre soutien, monsieur le ministre, la France sera le premier État à transposer dans son droit l’article 15 de la directive sur le droit d’auteur. Notre texte sera ainsi un point de référence et servira donc, je l’espère, de modèle dans toute l’Europe.

Maintenant, il reste, de manière effective et rapide, à transposer l’ensemble de cette directive sur le droit d’auteur qui constitue la première véritable réponse organisée de l’Europe face aux géants du numérique, qui l’ont d’ailleurs combattue jusqu’au bout à Bruxelles, de manière souvent déloyale, et qui – ne nous leurrons pas – céderont le moins de terrain possible malgré la législation.

D’où notre insistance, monsieur le ministre, celle des acteurs culturels, pour que le projet de loi relatif à l’audiovisuel censé transposer la directive sur les services de médias audiovisuels, les SMA, et la directive sur le droit d’auteur ne se trouve pas davantage décalé dans le temps.

Cette directive sur le droit d’auteur constitue en effet une avancée, un espoir de retrouver de l’équité. Elle réaffirme aussi la souveraineté des États dans le monde numérique. Un sujet devenu enfin prégnant ces derniers mois et sur lequel, vous le savez, j’alerte de très longue date ; le Sénat a également ouvert une commission d’enquête à cet égard.

Ce sujet nécessite une vision globale et une approche systémique. Aussi ces droits voisins doivent-ils être complétés par d’autres mesures de régulation devenues indispensables pour l’économie en général, et pour la culture et les médias en particulier. Je pense aux questions fiscales, à la sécurisation des données, aux règles de concurrence, mais surtout au régime juridique applicable aux plateformes. Véritablement prédatrices et toujours menaçantes, celles-ci sont aujourd’hui bénéficiaires de tout et redevables de rien. Elles restent des intermédiateurs monopolistiques, incontournables pour un système de distribution de la presse numérique rendu totalement opaque par le jeu des algorithmes.

Lors de notre dernière discussion ici au Sénat, monsieur le ministre, vous avez souscrit, pour la première fois, à ma proposition de résolution européenne de rouvrir la directive sur le e-commerce, qui permettrait d’établir un statut, une redevabilité, une responsabilité des plateformes. Je m’en réjouis et je vous en remercie.

Aussi, permettez-moi de m’étonner des déclarations récentes de votre collègue secrétaire d’État chargé du numérique. Sans doute serait-il mieux inspiré de consacrer son énergie à cet indispensable combat à mener à l’échelon européen, plutôt que de croire encore aux possibilités d’une autorégulation et d’orienter ses attaques contre les journalistes, injustement accusés de ne pas traiter la question des fausses nouvelles.

Cela n’aura échappé à personne, la suggestion, la semaine dernière, de la création d’un conseil de l’ordre des journalistes – d’une police de l’information, en somme – a été très mal vécue. On le sait, la diffusion des fausses nouvelles et la publication des propos diffamatoires ont toujours existé. Certes, c’est devenu un phénomène complexe, dans lequel, d’ailleurs, les plateformes ont toute leur part de responsabilité, en raison du modèle économique sur lequel elles se sont construites : le clic rémunérateur.

Aujourd’hui, à l’heure du numérique, le combat consiste à assurer la survie, la viabilité économique et le pluralisme de la presse, et à garantir la liberté d’expression et la démocratie. Les dérives de certaines plateformes – le traitement absolument non neutre des contenus et la manipulation sophistiquée et litigieuse des données – ne sont plus à démontrer.

C’est donc lucides, fermes dans nos convictions et unis dans nos positions que nous devons avancer sur ce sujet. Surtout, nous ne devons pas succomber au piège qui consisterait à remettre en cause notre propre législation ; je pense en l’occurrence à la loi de 1881.

Dans l’attente de mesures plus structurelles, il est primordial que le secteur de la presse se saisisse de ces dispositions pour entamer rapidement, en application de la loi, les négociations, certainement longues et difficiles, avec les plateformes.

En conclusion, je veux saluer l’excellent travail sur la distribution de la presse. Mon groupe votera bien évidemment pour cette proposition de loi, qui constitue un signal fort en direction des géants de l’internet, mais également, et plus fondamentalement, le versant économique d’un début de responsabilisation des plateformes.

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