Intervention de Nicole Duranton

Réunion du 3 juillet 2019 à 14h30
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque nous examinions, en janvier dernier, cette proposition de loi en première lecture, nous savions que ce qui résulterait de nos travaux pourrait servir de base à la transposition de la directive européenne. L’adoption de ce texte était importante, car les règles européennes sur le droit d’auteur ont été pensées avant l’ère du numérique, et elles ne sont plus adaptées.

La situation actuelle est plutôt inquiétante. Aujourd’hui, Google ou Facebook peuvent référencer et diffuser des articles de presse, mais aussi créer des produits, comme Google News, sans rien verser en retour aux éditeurs. Cela pose problème, parce que ces produits sont devenus l’une des principales portes d’accès à l’information ; c’est un peu comme si les radios pouvaient diffuser toute la musique qu’elles souhaitent, et engranger les revenus publicitaires y afférents, sans jamais rémunérer les maisons de disques.

La production des agences de presse – les éléments d’information sous toutes les formes, articles, photographies, vidéographies, sons, infographies – est reprise par les moteurs de recherche et les agrégateurs telle qu’elle est publiée par les éditeurs de presse, clients de ces agences. Or les agences de presse ne concèdent pas à leurs clients le droit d’accepter que ces contenus soient indexés et reproduits par les acteurs du numérique.

Toutefois, d’un point de vue économique, les agences ne peuvent pas se permettre d’interdire aux éditeurs d’être repris sur les moteurs de recherche ou les agrégateurs, car cette présence est pour elles source de profit direct ou indirect ; une interdiction pénaliserait l’audience des éditeurs de presse, donc le chiffre d’affaires des agences, lequel dépend des audiences des éditeurs.

Les agences se trouvent démunies face à la puissance des géants du numérique, et ne parviennent pas à défendre efficacement leurs productions sur le fondement des droits existants de propriété intellectuelle.

D’abord, l’exercice du droit d’auteur implique l’obligation d’apporter la preuve de l’originalité de chacun des contenus indexés et reproduits, ce qui est extrêmement difficile s’agissant de reprises massives de contenus. En ce qui concerne l’exercice du droit de bases de données, il faut que soient identifiées toutes les extractions non autorisées, ce qui aboutit à des procédures extrêmement lourdes. De toute façon, les moteurs de recherche ont la capacité de développer des parades juridiques et de faire durer les débats.

Les jurisprudences européennes qui autorisent les liens hypertextes fragilisent de surcroît ces différents fondements ; l’article 1er bis de la présente proposition de loi, qui les exclut, me paraît donc important.

Ensuite, en admettant qu’une agence de presse ait exercé avec succès son droit d’auteur ou son droit de producteur de bases de données auprès d’un moteur de recherche, elle s’exposerait à un déréférencement des contenus publiés. Ces contenus étant repris par les éditeurs de presse, cela conduirait à priver ces derniers de référencement sur internet ; ce serait un suicide économique.

Enfin, vu la disproportion du rapport de force, une confrontation bilatérale avec les moteurs de recherche ne permettrait pas aux agences de faire valoir individuellement leurs droits. En revanche, un droit voisin visant à établir des accords de licence entre, d’un côté, les grandes plateformes et, de l’autre, les médias, et exercé via des sociétés de gestion collective, sur le modèle de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, la Sacem, dans le monde de la musique, remédierait à ce déséquilibre.

Mes chers collègues, peut-on accepter une telle injustice et un tel comportement des Gafam ?

Il y a également un important enjeu démocratique. Rappelons-le, la capitalisation boursière d’Amazon plus celle d’Apple équivalent au PIB de la France. Qu’adviendrait-il, si la presse française était rachetée par ces géants d’internet ? L’information serait dictée par les intérêts des entreprises américaines, et ce sont Google et Facebook qui décideraient de ce qui serait ou non diffusé. Nous ne voulons pas cela.

Sur les smartphones, 92 % de la publicité est captée par Google et Facebook ; rien n’est reversé aux agences et éditeurs de presse. Ainsi, rien qu’avec la publicité, la perte de revenus est considérable.

Si l’on ajoute à cela le fait que le modèle économique des éditeurs de presse est mis en grande difficulté par la dissémination croissante de leurs contenus sur les Gafam, sans contrepartie financière, on peut réellement s’inquiéter, tout simplement, de la mort de la presse donc du contenu. C’est un enjeu démocratique, et c’est un problème de justice sociale.

La France devrait être, mes chers collègues, le premier État européen à transposer les dispositions de la directive relative au droit voisin dans son droit national, et ainsi servir de modèle aux autres pays. Dans un souci d’efficacité, mais aussi de protection des acteurs concernés, au-delà même de nos frontières, il est essentiel de voter en faveur de cette proposition de loi.

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