Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je consacrerai mon intervention à l’article 3 du projet de loi. Les articles 1er et 2, ayant été délégués à la commission des lois, seront évoqués par mon éminente collègue Muriel Jourda.
L’article 3 inscrit dans la loi l’Agence nationale du sport. Il ne s’agit pas d’une simple mesure technique visant à sécuriser juridiquement le statut de l’Agence, comme le laisse penser l’exposé des motifs. Cette reconnaissance législative constitue, en réalité, la pointe émergée d’un iceberg – le ministère des sports qui se détache malheureusement de plus en plus de l’État pour suivre sa propre route…
Toute la question est aujourd’hui de savoir où mènera cette évolution. La création de l’Agence nationale du sport ouvre en effet une nouvelle ère. Elle obligera le ministère des sports à se réinventer autour de ses missions régaliennes. Si sa pérennité semble garantie jusqu’à 2024, comme vous nous l’avez indiqué, madame la ministre, il ne fait guère de doute que son intégration progressive au sein du ministère de l’éducation nationale – déjà envisagée au niveau des services déconcentrés – constitue un horizon probable, une fois que la flamme des Jeux de Paris se sera éteinte.
Cette évolution du ministère des sports n’a pas fait l’objet d’un débat public.
Le transfert obligatoire des CTS aux fédérations a été engagé de manière anodine, à travers un alinéa ajouté tardivement dans le projet de loi de transformation de la fonction publique, tandis que les deux plus importantes compétences du ministère des sports – la haute performance et le sport pour tous – lui sont enlevées à l’occasion du vote d’une disposition qui survient lors de l’examen d’un projet de loi portant ratification d’une ordonnance.
Je ne crois pas que ce soit la bonne méthode. Je le dis avec d’autant plus de force que, au sein d’une commission comprenant de nombreux spécialistes du sport, nous sommes bien conscients des limites de notre modèle et de la nécessité de le faire évoluer.
Je ne m’attarderai pas sur les conditions dans lesquelles nous avons préparé l’examen de ce texte – des conditions de travail loin d’être normalement confortables… C’est pourquoi nous pensons qu’un débat sur les ambitions et les moyens que notre pays souhaite consacrer au sport est plus que nécessaire. Il n’est pas possible de découper par petits bouts le modèle sportif français en cherchant à faire le moins de bruit possible pour, en définitive, reporter le financement sur les collectivités territoriales, tout en essayant de maintenir la primauté de l’État.
La recherche d’une gouvernance collégiale du sport demande du courage et de la sincérité. Or le statut de l’Agence nationale du sport vise à promouvoir la concertation entre les acteurs et la collégialité de la décision, tout en préservant une forme de primauté de l’État. Il suffit de regarder, par exemple, les droits de vote double pour l’État sur certains sujets, ou encore l’existence d’une convention d’objectifs permettant à ce dernier de définir la stratégie de l’Agence et le rôle de délégué territorial, confié au préfet de région. Le choix de confier la présidence de l’Agence au Délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques, ou Dijop, illustre également une certaine vision de la concertation.
Si les mérites de cette nouvelle collégialité restent à démontrer, les nuages sont déjà nombreux à s’amonceler au-dessus de la nouvelle agence.
Ses moyens financiers semblent inférieurs aux promesses initiales : ils sont plus proches des 300 millions d’euros que des 350 millions d’euros évoqués initialement. La disparition programmée des CTS fait planer une menace certaine sur la haute performance et, donc, sur la capacité de l’Agence à exercer sa mission, tandis que le devenir même de la structure n’est pas assuré au-delà des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, le Conseil d’État ayant indiqué que le choix du groupement d’intérêt public ne pouvait être que provisoire.
Face à tant d’incertitudes, un débat démocratique était nécessaire. Nous ne pouvons donc que remercier le Conseil d’État d’avoir considéré que plusieurs dispositions de la convention constitutive de l’Agence nécessitaient de recourir à la loi, compte tenu, en particulier, des distances prises avec les règles relatives aux groupements d’intérêt public telles qu’elles ont été définies par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
L’examen au Parlement de l’article 3 ouvre la possibilité de dépasser les arguments de droit pour refonder notre politique sportive en apportant toutes les garanties nécessaires au Parlement, aux collectivités territoriales et au mouvement sportif. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons modifier et enrichir l’article 3, plutôt que de maintenir le statu quo comme le proposent certains de nos collègues. Supprimer l’article 3 reviendrait, en effet, à nier les insuffisances de notre modèle sportif, qui nourrit un fort mécontentement au sein des fédérations sportives comme des collectivités territoriales. Que dire, par ailleurs, de nos résultats sportifs, qui stagnent à un niveau souvent insuffisant compte tenu de la qualité de nos athlètes et des moyens mobilisés ?
Dans leur majorité, les membres de la commission considèrent donc utile d’accompagner cette réforme, qui a été conçue conjointement par le Gouvernement, les collectivités territoriales et les fédérations sportives, tout en associant les acteurs du monde économique.
Dans les premières esquisses de l’Agence, il était prévu que celle-ci se concentre sur le haut niveau dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Ce sont les acteurs de terrain qui ont souhaité que l’on n’oublie pas la pratique sportive.
La double compétence est ainsi inscrite au fronton de l’Agence nationale du sport. Or cette double compétence est de plus en plus l’affaire des collectivités territoriales, lesquelles sont d’ailleurs de loin le premier financeur du sport pour tous. En outre, la décentralisation des Creps a fait des régions des acteurs incontournables de la haute performance. Voilà pourquoi il nous a semblé indispensable de préciser les modalités de la gouvernance territoriale de l’Agence nationale du sport.
La seule précision à ce sujet que comportait l’article 3 du projet de loi concernait le préfet de région, qui se voyait reconnaître le rôle de délégué territorial de l’Agence. Cette désignation du préfet a suscité une réaction défavorable du mouvement sportif et des représentants des élus. Ceux-ci craignent, à la fois, un investissement variable de ce haut fonctionnaire selon les territoires et une gestion directive de la concertation, dans l’hypothèse où il lui reviendrait d’animer les conférences régionales du sport et les conférences des financeurs.
Pour répondre à ces inquiétudes, notre commission a souhaité circonscrire le rôle du délégué territorial et inscrire dès maintenant dans la loi le principe de la création des conférences régionales du sport en charge d’établir le projet territorial, ainsi que celle des conférences des financeurs. La rédaction de la commission prévoit que ces deux types de structures élisent leurs présidents en leur sein, ce qui exclut dans les faits une présidence imposée du préfet.
J’ajoute que l’inscription des modalités de la gouvernance territoriale dans la loi permet également de mettre un terme au soupçon de report de la construction du second pilier de l’Agence nationale du sport relatif au développement de la pratique du sport.
Je conclurai en évoquant l’avenir des CTS.
Le Sénat a modifié l’alinéa 11 de l’article 28 du projet de loi de transformation de la fonction publique pour exclure un transfert obligatoire des CTS aux fédérations sportives. Pouvez-vous nous garantir, madame la ministre, que cette disposition, adoptée par le Sénat, sera maintenue dans le texte final ? Dans ce cas, nous pourrions renoncer à notre amendement à l’article 3, visant à donner mission au responsable de la haute performance de l’Agence de procéder à leurs affectations. Dans le cas contraire, il nous semblerait indispensable de préserver la possibilité d’une gestion coordonnée et dynamique de ce corps, indispensable à notre modèle sportif.
Enfin, je dirai un mot sur l’intitulé du projet de loi. Nous avons souhaité le modifier pour qu’il évoque la création de l’Agence nationale du sport. Cette mise en cohérence conforte l’importance de la réforme de notre modèle sportif initiée par ce projet de loi.