Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, par ses articles 1er et 2, le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui porte ratification de l’ordonnance du 20 mars 2019 relative aux voies réservées et à la police de la circulation pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. En outre, il porte dérogation aux dispositions de droit commun s’appliquant aux contentieux des déférés préfectoraux devant les tribunaux administratifs.
Je ne m’appesantirai pas sur ces deux articles, portant application de la loi du 26 mars 2018. Mon intervention se concentrera sur l’article 3, qui vient avaliser la création, déjà effective, de l’Agence nationale du sport.
Fallait-il appréhender la refonte du modèle sportif français par un texte de circonstance, par un seul article, en procédure accélérée, d’un projet de loi visant à sécuriser juridiquement l’Agence nationale du sport à la demande du Conseil d’État ? Ou bien fallait-il fixer législativement le cadre d’une politique sportive nationale, à l’intérieur duquel l’Agence serait appelée à jouer, ou non, un rôle d’opérateur ?
Le moment n’était-il pas venu de réinterroger les notions de missions de service public, de délégation ou encore d’agrément, le sport et la société de 2019 n’étant pas le sport et la société de 1984 ou de 2000 ? Je fais bien sûr référence à la loi du 16 juillet 1984, dite Avice, relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, corrigée par la loi dite Buffet du 6 juillet 2000.
Raccrocher la problématique de l’Agence, créée en avril dernier, aux questions de voies réservées et de police de la circulation inhérentes aux JO de 2024 n’est-il pas pour le moins cavalier ?
Fallait-il inviter les parlementaires à cette importante phase de consultation de 2018 sur la gouvernance du sport, consultation sous-jacente à la mise en œuvre de l’Agence ?
Fallait-il limiter la réforme du modèle sportif à une mutation du CNDS, par une modification de ses règles statutaires et l’élargissement de son mode de gouvernance, ou bien aller plus loin ?
Fallait-il faire le choix de la forme juridique du GIP, d’un établissement public à caractère administratif, voire d’un établissement public à caractère industriel et commercial ? Fallait-il commencer par installer une agence ayant comme objet la haute performance, en reprenant la formule de Tony Estanguet – « isoler le haut niveau, en mode commando » –, avant, éventuellement, de l’élargir au développement des pratiques ? Ou bien fallait-il, dès le départ, tenter de relever les deux défis ?
Je pose beaucoup de questions et reste muet sur les réponses. Pourquoi ? Tout simplement parce que le texte dont nous sommes saisis ne nous sollicite pas sur ces questions majeures ! Pourtant, le cap fixé par l’Agence ne saurait résulter d’une confusion entre les fins et les moyens.
Il importe de créer les conditions pour que se déploie une bonne combinaison entre les politiques sportives territoriales et les plans de développement des fédérations. Ne pas réunir ces conditions compromettrait l’atteinte des ambitions affichées : 80 médailles aux JO de 2024 et 3 millions de pratiquants supplémentaires.
J’en reviens au texte qui nous occupe aujourd’hui. Au vu de la place qu’y occupent les dispositions relatives à l’Agence nationale du sport et conformément à l’avis du Conseil d’État rendu le 6 juin dernier, je me réjouis que l’on ait pu en modifier l’intitulé, par la voie d’un amendement sénatorial adopté en commission de la culture, pour y faire apparaître ce sujet. Ainsi, nous pourrons enrichir et sécuriser juridiquement cette agence, créée par un arrêté paru au Journal officiel du 20 avril 2019.
Rappelons que, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, et alors que cette instance n’avait aucune existence juridique, un amendement gouvernemental a désigné « l’Agence nationale du sport chargée de la haute performance sportive et du développement à l’accès à la pratique sportive » comme affectataire, au plus tard le 1er septembre 2019, des financements jusque-là versés au Centre national pour le développement du sport. Cette annonce posait immédiatement la question du respect des engagements financiers en cours et suscitait l’inquiétude des collectivités territoriales pour le financement et la pérennité de leurs projets.
Par un amendement, je propose d’élargir le développement des pratiques par la notion d’« activités physiques et sportives ».
Du Front populaire au début de la Ve République, l’option qui prévalait était une forme d’éducation populaire reposant sur des pratiques physiques qui n’étaient ni sportives ni compétitives. Aujourd’hui encore, la demande sociale transcende largement, et de plus en plus, les disciplines olympiques – certains évoquent une « ubérisation » du sport – avec les activités hors structures, moins élitistes, parfois activités physiques de pleine nature, parfois activités d’essence très urbaine. Ainsi l’offre du service public doit-elle dépasser la seule pratique sportive et prendre en compte les expressions corporelles nouvelles.
L’article 3 ne fait pas référence à la dimension budgétaire de l’Agence, alors même que la traduction administrative du projet de politique sportive s’est toujours heurtée, en France, au manque de moyens. Quand une organisation nouvelle se met en place – c’est le cas ici –, elle implique une nouvelle économie qui devra faire ses preuves. Une dynamique de financement est donc attendue, créée par une coopération harmonieuse des quatre acteurs impliqués, sans sous-estimer la faiblesse actuelle du mécénat d’entreprise et les difficultés financières des collectivités territoriales. Le succès de la démarche sera évalué à l’aune de la mobilisation de nouvelles ressources.
Je rappelle que les moyens affectés au CNDS ont chuté de moitié depuis deux exercices budgétaires, passant de 260 millions d’euros à 131, 4 millions d’euros entre 2017 et 2019. Cette large diminution des ressources est directement liée au plafonnement de la part du produit de deux des trois taxes affectées alimentant son budget, ainsi qu’à la suspension, depuis 2018, du prélèvement exceptionnel supplémentaire de 0, 3 % sur les gains de la Française des jeux, qui permettait de dégager 25 millions d’euros chaque année.
Je me permets un clin d’œil : 25 millions d’euros, c’est exactement le montant nécessaire pour expérimenter le pass sport de 500 euros pour 50 000 bénéficiaires !
Aujourd’hui, le sport n’est plus seulement du sport, tant il est évident que des facteurs qui lui sont a priori extérieurs ont investi son domaine propre, au point parfois de le dénaturer. Le sport est nu ; il ne recèle aucune vertu propre. Tout dépend de l’usage que l’on en fait. Michel Serres écrivait : « Instrument pédagogique hors pair, le sport interdit le mensonge, le sport apprend le réel. Mais maintenant, s’il ne s’agit que de gagner, alors je suis écœuré jusqu’à la mort. »
Aussi sommes-nous très attachés à l’efficacité que nous sommes en droit d’attendre de l’État dans l’affirmation de la mise en œuvre d’une vision éthique du sport, par-delà le simple énoncé des valeurs dont tout le monde se gargarise et que chacun conjugue à sa propre sauce. L’histoire est là pour nous rappeler que c’est au nom des grands principes que les pires dérives cherchent leurs justifications : nationalisme, tricheries, manipulation de compétitions, corruption, dopage, violence, alors que le sport est d’abord un humanisme.
Puisque l’Agence devient la pierre angulaire du sport de la République, il faudra préciser ses missions en matière d’exploitation optimale des vertus et des apports des APS, et dans tous les domaines : sport et éducation, sport et entreprise, sport et emploi, sport et aménagement du territoire, sport et tourisme, sport et insertion sociale, sport et lutte contre toutes formes de discrimination, sport et développement durable, etc.
Considérant que notre efficacité de parlementaires, dans les missions d’évaluation et de contrôle qui nous sont confiées, est renforcée lorsque nous sommes pleinement intégrés au sein des différentes structures, je défendrai un amendement prévoyant d’ajouter dans les statuts de l’Agence la présence de deux députés et de deux sénateurs au sein de son conseil d’administration.
Par ailleurs, veillons à ne pas démotiver les bénévoles sur le terrain, qui trouvent souvent le plein accomplissement de leur engagement dans un fonctionnement harmonieux avec les professionnels de l’encadrement. J’ai à l’esprit, bien évidemment, le rôle des conseillers techniques sportifs, dont la situation doit être traitée avec diplomatie et avec un réalisme à la hauteur de l’irremplaçable service qu’ils rendent depuis des décennies au sport français.
Sans les bénévoles, les encadrants et les supporters, que serait le club, cellule de base de toute l’architecture ? L’État doit aussi faire naître et encourager les bonnes volontés qui acceptent d’animer et de diriger les cellules sportives et les aider dans leur action.
J’ai déposé un amendement de suppression de l’alinéa de l’article 3 qui vise à faire de l’Agence, à travers son responsable de la haute performance, le gestionnaire des CTS, tant il me paraît évident qu’un GIP n’a pas à exercer la direction des ressources humaines de fonctionnaires de l’État.
Les conférences des financeurs du sport seront prochainement installées ; j’espère qu’elles le seront dans le respect de la diversité des territoires, j’ai déposé un amendement en ce sens. Elles ne trouveront leur plein effet qu’avec un accompagnement national : en matière d’équipements, par exemple, l’ANDES ne cesse de répéter, fort justement, que 22 % des installations sportives ont plus de cinquante ans d’âge et nécessitent une rénovation.
Tout attendre d’une instance nouvelle, seulement parce qu’elle installerait autour de la table ces quatre composantes, serait illusoire. Il faudra, dans le cadre des dispositifs décentralisés envisagés, des diagnostics partagés, des acteurs volontaires, des choix assumés, des contractualisations et des budgets respectés, une osmose entre sport de performance et sport du quotidien.
Oui, madame la ministre, au-delà des observations que je viens de faire, le temps d’une refondation du sport est venu, vous le dites vous-même ! Une loi en sera le passage obligé. Toutefois, on ne saurait prendre le risque de s’orienter vers une disparition du sport considéré comme un service public. Je note d’ailleurs que la fameuse agence britannique UK Sport, qui semble susciter beaucoup de fantasmes chez nous, est placée sous la tutelle du ministère de la culture, des médias et du sport, mais avec un fonctionnement totalement autonome.
Notre choix final sur ce texte sera lié au déroulement de nos débats.