Intervention de Marie-Pierre de La Gontrie

Réunion du 2 juillet 2019 à 14h30
Interdiction des violences éducatives ordinaires — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie-Pierre de La GontrieMarie-Pierre de La Gontrie :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 6 mars dernier, nous avons adopté à l’unanimité, dans cet hémicycle, la proposition de loi déposée par notre collègue Laurence Rossignol et l’ensemble du groupe socialiste et républicain, visant à interdire les violences éducatives ordinaires.

Quelques semaines auparavant, nos collègues députés avaient adopté un texte similaire, sur l’initiative de Maud Petit, dont je salue la présence dans nos tribunes ce soir. C’est cette proposition de loi que nous allons examiner aujourd’hui.

Les deux textes répondent aux mêmes objectifs, rappelés par M. le secrétaire d’État à l’instant : la lutte contre les violences éducatives ordinaires – termes qui m’ont toujours choquée et qui recouvrent à la fois les coups, les gifles, les cris, les humiliations et les insultes – et l’affirmation de la non-violence comme principe d’éducation.

Ces textes répondent à une attente et à une évolution nécessaire de la société. Ils s’inscrivent aussi dans la continuité de deux lois importantes en matière de protection de l’enfance : celle du 5 mars 2007, portée par notre président de la commission des lois, Philippe Bas – fort déçu de ne pouvoir participer à ce débat – et celle du 14 mars 2016, proposée par Michelle Meunier et Muguette Dini et soutenue par notre collègue Laurence Rossignol, alors secrétaire d’État.

Chacun sait que la violence ne peut être un mode d’éducation. Pourtant, ces violences que l’on qualifie d’« éducatives » et d’« ordinaires » sont encore aujourd’hui communément admises, voire justifiées. Il est en effet établi que 85 % des parents y ont recours dans l’éducation de leur enfant, et dans plus de 50 % des cas avant l’âge de 2 ans.

Ces chiffres montrent combien ces pratiques sont encore largement répandues. Nous ne devons pas les minimiser, même si, bien sûr, et c’est heureux, les mentalités évoluent progressivement. Ils montrent, aussi et surtout, combien une prise de conscience collective est nécessaire.

Cette prise de conscience, qui se fait peu à peu, repose sur l’affirmation d’un principe simple : la violence n’est pas acceptable, qu’elle soit exercée envers un adulte ou envers un enfant.

C’est tout le sens de la démarche législative qui a été entreprise conjointement par l’Assemblée nationale et le Sénat.

Depuis près de vingt ans, les recherches scientifiques ont mis en évidence les conséquences néfastes de ces violences pour l’enfant. Des travaux en neurobiologie ont démontré que l’exposition au stress fragilise le développement cérébral de l’enfant, ce qui peut favoriser des troubles de l’apprentissage ou de la mémorisation, et que les violences peuvent conduire l’enfant à intérioriser l’idée d’une violence admise, tolérée à l’encontre des personnes proches, susceptible de constituer un mode de résolution des conflits. Cette forme de banalisation du recours à la violence peut favoriser, à l’âge adulte, le passage aux violences conjugales. Selon la Fondation pour l’enfance, 75 % des maltraitances ont débuté dans un contexte de punitions corporelles. Elles en constituent le terreau.

Il ne s’agit donc pas ici d’un sujet anodin ou anecdotique, comme certains pourraient le penser. Nous avons, en tant que législateurs, la responsabilité de nous assurer de la protection des plus vulnérables. Notre droit, nous le savons, est aujourd’hui insuffisamment protecteur à leur égard. Certes, le code pénal prohibe toutes les violences commises sur des mineurs et punit leurs auteurs de trois ans d’emprisonnement, cette peine pouvant être portée à cinq ans lorsque les violences sont commises par un ascendant, donc un parent.

Cependant, la Cour de cassation reconnaît aux parents et aux éducateurs ce qu’elle appelle un « droit de correction ». La jurisprudence admet ainsi les violences lorsque celles-ci n’ont pas causé de dommages à l’enfant – on ne sait pas exactement ce que cela signifie –, restent proportionnées au manquement commis et ne présentent pas de caractère humiliant. Implicitement, elle signifie aux parents et, au-delà, à l’ensemble de la société, qu’il existerait une violence « nécessaire » et « acceptable » pour l’éducation des enfants, alors même que les études scientifiques que je rappelais concordent sur les répercussions négatives de ces comportements sur le développement de l’enfant.

La proposition de loi qui nous est soumise ne modifie pas le code pénal. Elle vise, dans les mêmes termes que ceux que nous avons adoptés en mars dernier, à modifier et à compléter l’article 371-1 du code civil. Elle comporte également deux articles, de portée plus secondaire, sur lesquels je reviendrai.

Rappelons que l’article 371-1 du code civil a une valeur très symbolique, car il est lu aux futurs époux lors de la cérémonie de mariage. Il présente donc un intérêt fort. C’est le texte qui définit l’autorité parentale et son deuxième alinéa pose l’obligation, pour les parents, de protéger leur enfant. La proposition de loi vise à compléter cet alinéa en affirmant que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ».

La référence aux violences physiques ou psychologiques inclut les châtiments corporels et les humiliations, ainsi que toutes autres formes de violence.

L’inscription dans la loi d’un principe qui constitue le cœur d’une éducation bienveillante ne réglera pas à elle seule le problème de la violence éducative, mais elle permettra d’accompagner le changement social déjà à l’œuvre et de lui donner un fondement juridique.

Inscrire dans la loi de façon explicite l’interdiction de toute violence permettra aussi une évolution de la jurisprudence que j’évoquais, qui ne pourra plus s’abriter derrière un attribut implicite de l’autorité parentale pour justifier l’existence d’un « droit de correction ».

Poser le principe de cette interdiction permettra également de nous mettre en conformité avec nos engagements internationaux. L’interdiction de toute violence est en effet énoncée spécifiquement dans la Convention internationale des droits de l’enfant, que la France a ratifiée en 1990 et dont on fête cette année le trentième anniversaire.

Cette convention prévoit une obligation, pour les États parties, de prendre toutes mesures législatives « pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales ».

La France a été rappelée à l’ordre à plusieurs reprises par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies et le Comité européen des droits sociaux. Il est donc nécessaire aujourd’hui d’avancer sur cette question, d’autant que nous sommes un peu en retard sur la scène européenne : un grand nombre de pays d’Europe ont déjà inscrit une telle interdiction dans la loi, dont la Suède depuis quarante ans. Aujourd’hui, 23 des 28 pays de l’Union européenne ont voté une loi d’interdiction des châtiments corporels. À l’échelle internationale, 54 pays sont « abolitionnistes ». Il est temps de rattraper ce retard.

Je ne reviendrai pas ici sur les possibles incompréhensions qui pouvaient exister sur ce sujet et dont nous avons déjà discuté lors de notre précédent débat, le 6 mars.

Je rappellerai simplement qu’il s’agit non pas de s’immiscer dans le quotidien des familles, mais d’agir, en tant que législateur, pour favoriser une prise de conscience collective et encourager la mise en œuvre de programmes de sensibilisation, en lien avec les conseils départementaux, les travailleurs sociaux et les professionnels de l’enseignement.

Je veux également rappeler la nécessité d’une mobilisation entière des pouvoirs publics pour accompagner cette loi d’une véritable politique de soutien à la parentalité.

La rédaction de l’article 1er de cette proposition de loi reprend mot pour mot celle du texte que nous avons adopté en mars dernier. La commission des lois avait d’ailleurs à cette occasion veillé à ce que nous adoptions le même dispositif que celui qui avait été voté à l’Assemblée nationale, afin d’aboutir à une convergence des textes. Nous avons donc aujourd’hui des textes jumeaux.

La proposition de loi qui nous est soumise comporte deux articles complémentaires.

L’article 1er bis crée une obligation de formation des assistantes maternelles. Nous avions eu l’occasion d’en parler ici en mars, notre collègue Boulay-Espéronnier ayant déposé un amendement sur ce sujet. Cette formation étant déjà largement prévue par la réglementation en vigueur, comme M. le secrétaire d’État l’avait rappelé, nous n’avions pas retenu cette suggestion. Elle figure désormais dans le texte.

L’article 2 prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur les politiques de soutien à la parentalité et de formation des professionnels de l’enfance.

Ces deux articles ne constituent pas le cœur du dispositif. Le premier est satisfait, le second est une demande de rapport. J’ai appris, depuis quelques mois que je suis sénatrice, que notre assemblée est peu disposée à voter des demandes de rapport, mais, le président Bas nous le rappelle souvent, le Gouvernement n’étant pas dans l’obligation constitutionnelle d’y déférer, cet article n’est pas un frein à l’adoption du texte.

Il est donc inutile de prolonger le débat sur une proposition de loi dont la disposition centrale a déjà été adoptée par le Sénat dans les mêmes termes au mois de mars. La commission a adopté à l’unanimité ce texte sans modification. Je remercie les collègues qui ont travaillé pour que nous puissions parvenir à cette unanimité, ainsi que le président de la commission des lois, qui a joué un rôle important dans cette démarche.

Le Sénat sera l’assemblée qui permettra l’inscription dans la loi de l’interdiction de toute violence dans l’éducation des enfants. C’est une modification attendue ; nous pouvons aujourd’hui lui donner une portée concrète. La France est prête, ne passons pas à côté de cette occasion de faire avancer la protection de l’enfance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion