Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous nous retrouvons une nouvelle fois pour débattre de l’interdiction des violences éducatives ordinaires, quatre mois seulement après avoir voté une proposition de loi socialiste quasiment identique à celle qui nous est soumise aujourd’hui.
Aussi, mes chers collègues, je m’interroge : que doivent penser nos concitoyens du temps que nous passons à ressasser les mêmes questions ? Ne devrions-nous pas consacrer notre précieux temps législatif à d’autres sujets qui préoccupent réellement les Français ?
J’aurais ainsi préféré que l’on mette à profit ce temps pour réfléchir aux moyens à mobiliser pour lutter contre la maltraitance des enfants ou même contre les violences faites aux femmes. Une nouvelle fois, on s’amuse avec le sujet de la fessée, mais on ne propose rien de concret pour empêcher et sanctionner la vraie violence.
Notre position est la même qu’il y a quatre mois : cette proposition de loi n’apporte rien de révolutionnaire.
L’article 1er complète l’article 371-1 du code civil en précisant que l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette pétition de principe, car toute violence laisse des traces psychologiques, parfois irréversibles, chez les enfants. Cependant, notre droit permet déjà de sanctionner et de condamner les parents qui se rendraient coupables de maltraitance. Est-il nécessaire d’en rajouter ? Je n’en suis pas certaine… Il suffit d’appliquer la loi.
La rédaction du texte est plus symbolique que juridique, puisqu’elle ne prévoit aucune sanction pénale. L’objectif proclamé est d’instituer un levier d’action efficace pour réduire les maltraitantes, l’échec scolaire, les suicides, les comportements antisociaux et la délinquance : pour que cet objectif puisse être atteint, il faudrait que ce texte soit réellement applicable ! Or le dispositif proposé se borne à énoncer, sans encadrer.
La règle ici posée est de nature exclusivement civile, elle n’est assortie d’aucune sanction. Elle vise à énoncer un principe ayant, selon l’exposé des motifs, « vocation à être répété aux pères et mères ». N’est-ce pas là la fonction d’un discours politique plutôt que d’un article du code civil ? La loi ne doit pas être seulement symbolique, elle doit avoir une portée certaine.
Le dispositif proposé soulève une autre difficulté : que sont précisément les violences éducatives ordinaires ? Veillons à ne pas confondre ce qui relève de la maltraitance avec ce qui vise à mettre un terme à certaines pratiques des enfants. À un moment donné, il faut bien leur dire « non ». N’est-ce pas un certain François Bayrou, alors candidat à l’élection présidentielle, qui, en 2002, avait giflé un enfant dans la rue pour l’empêcher de lui faire les poches ?
Doit-on bannir toute éducation qui pourrait comporter parfois, sans forcément une intention évidente des parents, un geste ferme pour indiquer à un enfant de ne pas toucher aux plaques de cuisson chaudes, aux produits ménagers ou aux prises électriques ? Quels gestes relèvent des violences ? Quels gestes sont au contraire « tolérables » ? La rédaction proposée est peu intelligible de ce point de vue. Une fois de plus, son application, alors qu’elle a vocation à clarifier une jurisprudence, ne semble pas évidente. Si le droit n’est pas clair, comment espérer son application uniforme ?
Enfin, les Français en ont assez de cette ingérence de l’État, qui voudrait les « rééduquer » et leur dire comment éduquer leurs enfants.
L’éducation relève en premier lieu des parents et du cercle familial. Être mère, être père, c’est une responsabilité. Elle doit être assumée pleinement. C’est un devoir à l’égard de l’enfant, mais aussi de la société dans laquelle celui-ci est amené à vivre, à grandir, à faire des choix, à agir. Si le rôle du politique est de rappeler cette obligation aux parents, il importe aussi de respecter la liberté éducative de ces derniers.
Bien sûr, il faut parfois aider certains parents à l’être. Je salue à cet égard l’article 2 du texte, qui prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur les moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une politique d’accompagnement des futurs parents. J’espère toutefois qu’il ne restera pas lettre morte et que son adoption aboutira à la mise en place de dispositifs concrets de soutien à la parentalité.
Mes chers collègues, je pense qu’il est temps de cesser d’opposer les « bons », qui seraient contre les violences, et les « méchants », qui seraient pour. Nous sommes tous opposés aux « vraies » violences contre les enfants. Nous sommes tous favorables aux initiatives qui visent à préserver le bien-être de l’enfant et son intérêt. Nous sommes tous convaincus que l’éducation est un sujet crucial, au fondement même de la société.
Par souci de cohérence, nous voterons ce texte, car il correspond peu ou prou à ce que nous avons voté voilà quatre mois. Même s’il revêt un caractère essentiellement symbolique, il a au moins le mérite de rappeler une règle de bon sens, dont la violation est déjà sanctionnée par la loi.