Intervention de Michelle Meunier

Réunion du 2 juillet 2019 à 14h30
Interdiction des violences éducatives ordinaires — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon propos par l’extrait d’un verbatim des débats de l’Assemblée nationale : « L’opinion publique est régulièrement choquée par le décès d’un enfant sous les coups de ses parents. Si, heureusement, les violences intrafamiliales ne tuent pas toujours, les spécialistes sont unanimes quant aux dégâts qu’elles occasionnent sur les enfants qui en sont les victimes.

« Pour appeler l’attention de tous sur cet enjeu considérable, il faut compléter la définition de l’autorité parentale prévue à l’article 371-1 du code civil en précisant que, parmi les devoirs qui la composent, figure celui de s’abstenir de toutes les formes de violence et de violence sous toutes ses formes. »

C’est par ces mots, monsieur le secrétaire d’État, que nos anciens collègues députés socialistes avaient choisi, en 2016, de motiver un amendement à la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté visant à interdire la pratique des violences dites « éducatives ordinaires ».

Nous avions souligné alors l’immense portée symbolique de cet article du code civil. Lu dans toutes nos mairies à l’occasion des mariages, il est entendu par toute l’assistance, forcément attentive, en ces moments solennels, à la manière dont les familles se créent.

Cette avancée ne fut qu’une victoire de courte durée. Le Conseil constitutionnel, saisi par certains d’entre vous, a censuré cette disposition, préférant conserver, dans l’intimité de chaque famille, huis clos parfois ravageur, le « droit de correction ». Cependant, nous le savons, mes chers collègues, le privé est politique, et ce pas en avant ne demande qu’à être franchi de nouveau. Aujourd’hui, nous y revenons de manière assumée et non détournée, et c’est tant mieux !

Au Sénat, l’initiative d’une proposition de loi visant à interdire les violences éducatives ordinaires revient à notre collègue Laurence Rossignol, qui interviendra tout à l’heure. Le Sénat a donc déjà adopté en mars dernier un texte excluant « les violences physiques ou psychologiques » de la pratique de l’autorité parentale. Je remercie notre collègue rapporteure, Marie-Pierre de la Gontrie, de nous proposer une synthèse en quelque sorte, une autre voie pour avancer de façon pragmatique et efficace.

Sur le fond, l’interdiction des violences dites éducatives est un enjeu majeur de l’éducation de nos enfants. Il est aussi, n’en doutons pas, un moyen essentiel de changer le regard de notre société sur elle-même, de refuser que la violence puisse s’exprimer dans tout cadre, qu’elle puisse être tolérée et qu’elle relève de décisions individuelles ou de choix de vie.

Élever les enfants dans la violence – leur parler fort, les menacer, les frapper, les humilier, les réprimer, les dénigrer systématiquement –, c’est dessiner trait à trait une société violente. Être violent devant ses enfants et vis-à-vis d’eux-mêmes, c’est former des adultes à la violence, à être violents.

Nous savons que nos enfants se construisent par mimétisme. Nous mesurons d’ailleurs la place qu’occupent les modèles parentaux dans la construction psychique des enfants. La docteure en psychologie clinique Karen Sadlier nous le rappelle. L’enfant confronté à des violences, dans le couple ou dans la famille, les banalise. Plus tard, il apprécie moins bien la peur et se met plus rapidement en danger et en fait un mode d’expression. Les pédiatres nous rappellent également que les traumatismes vécus dans l’enfance perdurent toute la vie, avec des conséquences psychologiques comme somatiques. Leur prise en charge représente un coût pour la société.

Voilà pourquoi il faut que toute notre société en prenne conscience et agisse. Cette proposition de loi va dans le bon sens. Elle est nécessaire, mais évidemment pas suffisante : lorsque des situations de violence se font jour, elles doivent être signalées. Mes chers collègues, nous avons tous en tête une famille, une situation pour lesquelles nous nous demandons si l’enfant est vraiment bien traité, si la maladresse verbale, l’attitude des parents, leur perte de patience, leurs cris répétés ne nuisent pas à l’intérêt de l’enfant. Et puis, nous regardons ailleurs, la plupart du temps, même si nous en sommes très préoccupés.

Dans ces situations de violences soupçonnées, je tiens à rappeler l’importance du signalement à la cellule de recueil des informations préoccupantes, la CRIP. Cela relève de l’obligation de tous. Nous devons alerter. Ensuite, une enquête sociale sera réalisée par les professionnels des départements. Usons d’excès de prudence, mes chers collègues, plutôt que de laisser une victime potentielle face aux auteurs de violences, même s’il s’agit de l’un de ses parents.

J’en profite pour rappeler que le signalement est également essentiel chez tous les professionnels qui s’occupent d’enfants. Nous devons préciser le cadre législatif pour faire primer la protection de la victime sur l’exercice du secret professionnel.

Les récents travaux de notre mission commune d’information sur la prévention des violences sexuelles sur les mineurs rappellent que nous n’avons pas de temps à perdre sur la question du signalement. Parce qu’être parent n’est pas du ressort de l’inné, parce que derrière un signalement, une aide va être apportée, nous devons signaler. Il y va de la protection des enfants et de la rupture du continuum des violences ; il y va surtout d’un autre regard de notre société sur les rapports de violences.

Je fais le rêve, monsieur le secrétaire d’État, que nos enfants ainsi éduqués ne toléreront plus la violence dans le monde, une fois devenus adultes, dans leur vie quotidienne, leur vie professionnelle, leurs relations intimes. Je fais le rêve d’une société où, lorsqu’ils diront : « Non, je ne veux pas ! », ce refus sera suivi d’effet ; d’une société de confiance où la parole des victimes sera entendue et respectée.

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