Nous nous trouvons à un moment important du calendrier budgétaire, où nous sommes amenés à regarder le passé - l'exécution 2018 - pour mieux préparer l'avenir - ce sera l'objet de notre réunion de la semaine prochaine, consacrée au débat d'orientation des finances publiques.
D'un point de vue macro-économique, l'année 2018 pourrait constituer un tournant, en signant la fin de la croissance de rattrapage dont a bénéficié le Gouvernement depuis le début du quinquennat et qui l'a grandement aidé à atteindre ses objectifs budgétaires. L'an dernier, le Gouvernement a de nouveau pu « surfer » sur la conjoncture, en bénéficiant d'une croissance effective de 1,7 %, soit un niveau conforme à la prévision et nettement supérieur à la croissance potentielle de l'économie française, que l'on estime comprise entre 1,2 et 1,3 %.
Cependant, l'économie française semble progressivement s'essouffler. Ce ralentissement est particulièrement visible lorsque l'on suit l'évolution du PIB en glissement annuel, en comparant le niveau du PIB pour un trimestre donné à ce qu'il était au même trimestre de l'année précédente. Ainsi mesurée, la croissance française a connu une forte accélération entre le quatrième semestre de 2016, avec 1,2 %, et le dernier trimestre de 2017, au cours duquel elle a même frôlé les 3 %. Depuis ce point haut, elle a continûment ralenti, pour finalement retrouver au quatrième trimestre de 2018 un rythme de 1,2 %. Le ralentissement observé l'an dernier s'explique par une moindre contribution de la demande intérieure, et non par le commerce extérieur, qui apporte pour la première fois depuis 2012 une contribution positive à la croissance française.
Cette évolution paraît compatible avec la thèse d'un épuisement de la « capacité de rebond » de l'économie française. En effet, si l'économie peut croître temporairement à un rythme plus élevé que son potentiel pendant une phrase dite de rattrapage, elle doit ralentir une fois son « potentiel de rebond », aussi appelé écart de production, revenu à zéro. D'après le Gouvernement, c'est précisément dans cette situation que l'économie française se trouverait désormais.
Des interrogations demeurent sur la position exacte de l'économie française dans le cycle. En effet, les indicateurs macroéconomiques traditionnels de surchauffe (inflation, dynamique des salaires) restent aujourd'hui atones, ce qui pourrait suggérer l'existence d'une « capacité de rebond » supplémentaire. Dès lors, les estimations du niveau de l'écart de production à l'issue de l'exercice de 2018 divergent selon les instituts. L'hypothèse gouvernementale selon laquelle la « capacité de rebond » serait désormais épuisée présente néanmoins un caractère central au regard des estimations disponibles et paraît ainsi la plus plausible.
Pourtant, le Gouvernement a préféré différer une nouvelle fois le redressement structurel des comptes publics, ce qui risque d'isoler encore davantage la France au sein de la zone euro. À l'issue de l'exercice de 2018, le solde public s'est établi à - 2,5 % du PIB, contre - 2,8 % du PIB en 2017. Il s'agit d'un résultat légèrement meilleur que celui qui est attendu dans le cadre du PLF de 2018 et de la prévision actualisée du PLFR de 2018, à savoir 2,6 % du PIB. Un tel constat ne permet toutefois ni d'apprécier si ce redressement présente un caractère pérenne, ni s'il est imputable au Gouvernement.
Or ce dernier a bénéficié non seulement d'une croissance de rattrapage, mais également d'un fort dynamisme des prélèvements obligatoires, dont l'élasticité à l'activité s'est élevée à 1,2.
Au total, il ressort de la décomposition de l'évolution du solde public que son amélioration traduit pour deux tiers l'effet de la conjoncture et du dynamisme des recettes, et pour un tiers seulement un effort structurel de redressement des comptes publics. En effet, la baisse des prélèvements obligatoires a permis de diminuer leur poids dans la richesse nationale de 0,2 point.
La diminution de la dépense publique en volume mise en avant par le Gouvernement est trompeuse. Si l'on neutralise les facteurs exceptionnels que constituent le contrecoup de la recapitalisation d'Areva effectuée en 2017 et le moindre remboursement de la taxe à 3 % sur les dividendes, et que l'on tient compte des crédits d'impôt enregistrés en dépense en comptabilité nationale, la croissance de la dépense publique en volume est en réalité positive et même supérieure au niveau de 2017.
L'exercice de 2018 me paraît marquer l'échec de la stratégie budgétaire du « en même temps », qui visait à mener en parallèle une baisse du déficit structurel et des prélèvements obligatoires, faute d'un effort suffisamment important en matière de maîtrise de la dépense publique. Seules la conjoncture et la forte élasticité des recettes permettent encore de le masquer, mais nous avons vu que cela ne devrait pas durer !
Ce manque de sérieux budgétaire transparaît plus clairement encore à la lumière des règles budgétaires européennes et surtout des efforts réalisés par nos principaux voisins. La France n'a respecté aucun de ses engagements européens en 2018. La déviation maximale autorisée a même été dépassée s'agissant de la règle de dette, ce qui a conduit la Commission européenne à rédiger un rapport préalable à l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif.
À l'issue d'une évaluation globale de l'ensemble des facteurs pertinents, tenant compte notamment des faibles risques qui pèsent à court terme sur la soutenabilité de la dette française et des réformes structurelles mises en oeuvre par le Gouvernement, elle a toutefois conclu qu'une procédure pour déficit excessif fondée sur la dette n'était pas justifiée à ce stade, à l'inverse de ce qu'elle a décidé dans le cas italien. Si le Gouvernement a donc une nouvelle fois pu compter sur la bienveillance des institutions européennes, l'absence de respect des règles budgétaires nourrit la divergence observée entre la France et le reste de la zone euro.
Sur le plan du déficit, avec une amélioration du solde nominal limitée à 0,2 point, la France figure parmi les pays de la zone euro où le redressement opéré l'an dernier est le plus faible. L'écart avec le reste de la zone euro, déjà important à l'issue de l'exercice de 2017, continue ainsi à se creuser, alors même que le reste de la zone euro est désormais à l'équilibre budgétaire.
Le ratio d'endettement français est pour la première fois supérieur à celui du reste de la zone euro hors Allemagne, tandis que le différentiel avec l'Allemagne atteint près de 40 points de PIB. En matière de coût budgétaire de la dette, ce différentiel avec l'Allemagne atteint 34 millions d'euros, même avec des taux d'intérêt très faibles. L'économie française est vulnérable, en dépit de l'effet anesthésiant de la baisse des taux. Nous y reviendrons plus longuement dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques.
L'amélioration nominale du déficit a cette fois encore été portée par la sphère sociale et les collectivités territoriales, qui confortent leurs excédents. S'agissant des administrations publiques locales, si la croissance de la dépense publique (+ 2,4 %) est très légèrement supérieure à l'objectif (+ 2,3 %), cela tient à la reprise plus forte qu'escompté de l'investissement local (+ 7,8 %). Ainsi, c'est bien la contribution des dépenses d'investissement qui explique l'essentiel de la croissance de la dépense locale en 2018.
À l'inverse, la progression des dépenses de fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales (+ 0,3 %) est très inférieure à l'objectif fixé dans le cadre de la contractualisation (+ 1,2 %). Cela correspond à un montant d'économies de 3,5 milliards d'euros si l'on retient le tendanciel du Gouvernement et même de 5 milliards d'euros si l'on prend pour base de calcul celui de la commission des finances, qui tenait compte des efforts consentis par les collectivités territoriales lors de la période de référence. Encore une fois, les collectivités territoriales ont démontré leur capacité à participer à l'effort collectif en matière de maîtrise de la dépense.
La situation est plus contrastée pour la sphère sociale. L'amélioration du solde est inférieure de plus de 2 milliards d'euros à la prévision révisée et tient en grande majorité à la conjoncture et aux hausses de prélèvements obligatoires, ainsi que l'a rappelé la Cour des comptes la semaine dernière.
Surtout, il faut garder à l'esprit que l'excédent de la sphère sociale est subordonné à la contribution positive de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui s'élève actuellement à 0,6 point de PIB. Or, cette contribution a de fortes chances de s'éteindre avec la Cades en 2024. En l'absence de contribution positive de la Cades, les administrations de sécurité sociale resteraient légèrement déficitaires en 2018, ce qui témoigne à la fois de la fragilité de la situation budgétaire de la sphère sociale et de la nécessité de poursuivre le redressement des comptes sociaux dans la durée.
Venons-en maintenant à l'État, dont le besoin de financement en comptabilité nationale, à hauteur de 69,9 milliards d'euros, explique à lui seul le déficit public. En comptabilité budgétaire, le déficit est de 76 milliards d'euros, en aggravation de 8,4 milliards d'euros par rapport à 2017. Mais, pour avoir une vision correcte des effets de la politique gouvernementale, il faut neutraliser certains effets, en particulier la recapitalisation du secteur énergétique qui avait aggravé temporairement le solde de 7,5 milliards d'euros en 2017. Le creusement du déficit budgétaire réellement lié à la politique menée en 2018 est nettement plus élevé : je l'estime à 13 milliards d'euros. Cette évolution est due aux mesures de réduction d'impôts, que l'on approuverait si elles étaient gagées par des mesures d'économie : ce n'est pas le cas puisque les dépenses sont en réalité en nette augmentation.
Passons en effet à un examen rapide des missions dont la consommation des crédits évolue le plus en valeur absolue. Sur 29 missions, 20 voient leurs dépenses augmenter. La mission « Enseignement scolaire » croît de 1,3 milliard d'euros, avec, toutefois, un ralentissement dans la création de postes. La mission « Défense », qui subit une sous-budgétisation récurrente sur les opérations extérieures et les missions intérieures, progresse de près de 1 milliard d'euros aussi bien en dépenses de personnel qu'en fonctionnement et en investissement. Pour la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », c'est la revalorisation de la prime d'activité et de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) qui explique l'exécution supérieure de près de 800 millions d'euros. Enfin, il faut noter, pour la mission « Recherche et enseignement supérieur », la hausse des crédits consacrés à la formation supérieure, la recherche spatiale et aux projets de l'Agence nationale de la recherche. S'agissant enfin de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », c'est la généralisation du « chèque énergie » qui a l'impact le plus important.
À l'inverse, il faut noter la baisse notable des crédits de la mission « Travail et emploi », liée à la réduction du nombre de contrats aidés et à l'extinction du dispositif d'aide à l'embauche dans les petites et moyennes entreprises (PME). Pour la mission « Cohésion des territoires », on peut constater les effets sur le budget de la réforme des aides personnelles au logement dans la loi de finances initiale pour 2018. Enfin la mission « Agriculture » revient à un niveau de crédits plus usuel, après une année 2017 marquée par des dépenses exceptionnelles liées à des refus d'apurement d'aides européennes.
Les dépenses de personnel, après un pic exceptionnel en 2017, reprennent une progression plus habituelle avec une hausse de 1,9 %. Le principal facteur d'augmentation est la mise en place de l'indemnité compensatrice de la CSG. Le schéma d'emploi a un impact positif sur les dépenses de personnel. On ne voit toujours pas venir la diminution des emplois de l'État à hauteur de 50 000 postes qui figure dans la loi de programmation des finances publiques, mais que le Gouvernement semble avoir mise de côté.
Sous l'effet d'une conjoncture favorable, les recettes progressent nettement plus vite que la croissance pour la deuxième année consécutive, ce qui suffit à compenser les effets des mesures prises avant ou à l'occasion de la loi de finances initiale. Si l'on prend un à un les principaux impôts, les recettes de l'impôt sur les sociétés sont légèrement supérieures à la prévision en raison d'une évolution spontanée assez favorable, mais en baisse par rapport à 2017 pour plusieurs raisons : l'année 2017 avait connu des recettes exceptionnelles, dont l'instauration des contributions exceptionnelle et additionnelle ; en 2018, les taux ont par ailleurs diminué.
Les recettes issues de l'impôt sur le revenu sont stables, car l'évolution spontanée a été contrebalancée par les effets de la transformation de la réduction d'impôt relative à l'emploi d'un salarié à domicile en crédit d'impôt et par l'entrée en vigueur du prélèvement forfaitaire unique.
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a fourni des recettes en hausse de 4,3 milliards d'euros. Celles de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui s'applique pour la première fois en 2018, sont de 1,3 milliard d'euros, soit un montant supérieur de 52 % au produit prévu lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2018. Si l'on ajoute les encaissements au titre de l'impôt sur la fortune (ISF) pour les exercices antérieurs, le produit total est inférieur de 3,2 milliards d'euros à celui de l'ISF en 2017.
Les recettes non fiscales enregistrent un produit stable d'année en année, autour de 14 milliards d'euros. Elles ont toutefois dépassé de 700 millions d'euros le produit attendu, qui s'explique par le versement par la Caisse des dépôts et consignations d'un dividende de 1 milliard d'euros, contre 500 millions d'euros prévus, et par la soudaine augmentation du coût de la tonne de CO2 qui a permis à l'État de récupérer une partie des recettes issues des ventes de quotas carbone.
Je note toutefois des imprécisions dans les documents budgétaires sur les retours financiers que produisent les investissements d'avenir : selon que l'on regarde les données des opérateurs ou celles de l'État, ces retours varient de plus de 400 millions d'euros.
Le coût total estimé des dépenses fiscales est de 100,2 milliards d'euros en 2018, contre 93,4 milliards d'euros en 2017. Cette augmentation de près de 7 milliards d'euros est due en partie à la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), mais le coût des dépenses fiscales hors CICE est également en hausse de 2,4 milliards d'euros sur un an. Il faut souligner une nouvelle fois la grande approximation de ces chiffrages : seules 287 des 474 dépenses fiscales font l'objet d'un chiffrage dans les documents budgétaires au titre de l'année 2018. Le montant de 100,2 milliards d'euros inclut donc en réalité, pour 34 dépenses fiscales, le chiffrage de 2017 parce que celui de 2018 n'est pas encore disponible.
Certains chiffres sont d'ailleurs incompréhensibles : alors que la loi de finances initiale pour 2018 a fait passer la TVA de 5,5 % à 10 % pour les logements sociaux, le coût de la dépense fiscale correspondante n'a pas changé dans les documents budgétaires, ce qui rend le débat pour le moins biaisé.
S'agissant à présent de l'exécution du budget par rapport à l'autorisation en loi de finances initiale, nous l'avions constaté en examinant le budget de 2018 et cela est confirmé : il y a eu un réel effort de sincérisation du budget.