Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs mois de débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, nous nous apprêtons à nous prononcer sur la proposition de loi pour une école de la confiance. La CMP a abouti à un accord entre nos deux chambres.
Si je me réjouis, avec l’ensemble des membres du groupe socialiste, que le travail réalisé par le Sénat ait permis plusieurs modifications importantes auxquelles nous tenions, ce texte comporte encore des points problématiques sur lesquels je souhaite revenir.
Mais, avant toute chose, je veux souligner un point positif majeur, démontrant à mon sens, encore une fois, combien le travail que nous effectuons ici au Sénat, en portant la voix de nos territoires, est d’une grande importance.
Je pense bien sûr à la suppression de l’article 6 quater et à l’abandon des établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux, les EPLESF. Ces établissements XXL risquaient d’entraîner des bouleversements profonds dans la structure du système scolaire et auraient eu de lourdes conséquences pour les élèves, leurs familles, les personnels et les territoires, notamment ruraux.
Cette suppression est une victoire pour les élus et pour tous les acteurs de la communauté éducative qui s’étaient fortement mobilisés contre la mesure. Pendant l’examen du texte au Sénat, notre appel à la responsabilité pour sauvegarder nos écoles et, avec elles, nos territoires, avait été entendu par mes collègues. Je me réjouis que nous ayons ensuite su porter cela conjointement, avec la détermination nécessaire. La CMP a fait preuve de sagesse en maintenant cette suppression, et je veux saluer le travail collectif, mené en bonne intelligence et de toute part sur cette question. C’est ce qui permet d’aboutir à ce résultat.
Le texte sorti du Sénat comportait quelques autres améliorations notables : nous sommes satisfaits que le Gouvernement, conformément à l’engagement pris le 8 février dernier à Rennes, ait apporté son soutien à l’article 6 ter A. Ce dernier traduit les conclusions de la conférence territoriale de l’action publique, ou CTAP, de Bretagne s’agissant des langues régionales.
En revanche, je regrette que les modifications de l’article 4, qui avaient ouvert à toutes les communes la compensation financière liée à l’abaissement de l’âge de la scolarisation obligatoire à 3 ans, aient été supprimées par la CMP : il s’agissait d’une réponse importante donnée aux inquiétudes de nombreux maires. Nous sommes certainement nombreux, dans cet hémicycle, à regretter que les députés de la majorité aient empêché cette évolution.
Malgré quelques apports positifs du Sénat, l’examen du texte par la chambre haute a été marqué par une forte droitisation. Je pense, par exemple, à la suppression des allocations familiales pour les parents d’élèves absentéistes, que nous avions supprimée en 2013 et que le Sénat a réintroduite. Cette mesure aurait pénalisé particulièrement les familles les plus précaires, notamment les familles monoparentales. Fort heureusement, la CMP ne l’a pas conservée.
Surtout – je l’ai déjà dit devant vous –, de nombreux points qui, dans la rédaction initiale, posaient problème n’ont pas, ou n’ont que trop peu évolué.
Pourtant, convaincus que nous aurions pu introduire dans ce texte une autre vision de l’éducation, et animés par la volonté de travailler collectivement sur un sujet aussi important que l’avenir des enfants de notre pays, les élus du groupe socialiste et républicain avaient déposé de nombreux amendements. Quelques-uns, malheureusement trop peu nombreux, avaient été adoptés par le Sénat ; et ces rares améliorations ont finalement été supprimées par la CMP. Nous le regrettons profondément.
Ainsi, malgré la suppression de l’article 6 quater et quelques autres modifications, le texte sorti du Sénat présentait encore beaucoup trop de similitudes avec le projet de loi d’origine. Il n’est donc pas surprenant que nous retrouvions dans ce texte final, issu de la CMP, un grand nombre de points qui reflètent une vision de l’éducation obéissant d’abord à une logique comptable, qui n’est pas la nôtre.
Ce texte ne répond en aucune façon aux véritables problèmes actuels du système éducatif : le manque de moyens financiers et matériels, la crise des vocations, l’épuisement du personnel de l’éducation nationale et la reproduction des inégalités sociales.
Monsieur le ministre, malgré nos mises en garde répétées, vous n’avez pas voulu entendre que l’inscription du devoir d’exemplarité des enseignants, au travers de l’article 1er, n’est ni utile ni souhaitable. Cette mention laisse planer, sur l’ensemble des membres de la communauté éducative, une suspicion qui n’est pas de nature à restaurer un climat de confiance.
Nous craignons aussi pour l’avenir de l’accompagnement des élèves en situation de handicap : les AESH sont désormais inscrits dans des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, les PIAL. Ce dispositif entérine une mutualisation des moyens qui sera menée au détriment de l’accompagnement personnalisé des élèves et dans des conditions d’exercice très difficiles pour les personnels concernés.
Au sujet de l’article 8, nos réserves persistent quant à l’annualisation des heures d’enseignement et l’orientation des élèves. Les expérimentations ne doivent pas être entreprises au détriment des élèves.
Je le dis et je le répète : nous ne pouvons accepter de voir se substituer à de nécessaires créations de postes la naissance, via l’article 14, d’un nouveau statut incertain et précaire pour des étudiants sans diplôme ni formation pédagogique. Ces derniers se verront confier des missions d’enseignement sans réelles garanties de ne pas se retrouver seuls trop tôt devant une classe.
En outre, nous nous inquiétons du rôle qui sera assumé par les missions locales, du fait de l’obligation de formation pour les jeunes entre 16 et 18 ans : imposer ce travail aux missions locales, qui sont déjà surchargées et en mal de financement, ne semble pas pertinent.
Nous ne comprenons pas non plus votre obstination à supprimer le Cnesco. Cette instance fonctionne, avec une grande indépendance d’esprit, notamment grâce à sa composition. Elle met en avant les travaux de la recherche scientifique et permet ainsi de sortir de débats souvent stériles. Les quelques modifications apportées dans la composition de votre nouveau conseil ne changent pas grand-chose sur le fond. Elles illustrent surtout votre politique de reprise en main de l’institution scolaire par le ministère et par vous-même.
Malgré les quelques améliorations permises par la CMP, les membres du groupe socialiste et républicain ne peuvent donc pas se satisfaire du résultat obtenu. D’ailleurs, cette CMP est-elle vraiment conclusive ?
Mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que nous venons d’examiner le projet de loi de transformation de la fonction publique. Notre rapporteur a saisi cette occasion pour y réintroduire, par l’intermédiaire de plusieurs amendements, plusieurs mesures précédemment écartées. Or deux d’entre elles ont été adoptées : l’une porte sur l’annualisation du temps de service des enseignants, l’autre permet d’associer le chef d’établissement à l’affectation des enseignants.
Il s’agit de dispositions pour le moins problématiques, et cette manière de les réintroduire doit nous interroger, surtout quand leur auteur est le rapporteur d’un texte sur lequel un compromis a été trouvé…
Pour en revenir au texte qui nous intéresse aujourd’hui, je réaffirme que le mécontentement des enseignants doit être entendu. S’ils, si elles se mobilisent, c’est bien parce qu’ils et elles tremblent pour l’avenir de notre éducation nationale !
Ce projet de loi vient conclure un cycle de réformes, avec la mise en place de Parcoursup, la réforme du lycée, y compris celle du lycée professionnel, et du bac, en passant par les suppressions de postes aux concours et la modification de certains programmes. C’est la défiance qui règne au sein de la communauté éducative : la confiance ne se décrète pas, elle se construit, et ce n’est malheureusement pas le chemin que vous empruntez.
Le présent texte s’inscrit donc dans la suite logique d’une réforme de l’enseignement qui aggrave les inégalités. Une fois de plus, vous préférez réduire les coûts de fonctionnement au lieu de prendre le temps de la consultation et, ce faisant, trouver collectivement des solutions pour améliorer notre modèle éducatif.
Je l’ai déclaré à plusieurs reprises : ce choix ne correspond pas à notre vision de l’école de la République.
Nous voulons une école qui forme les citoyennes et les citoyens de demain, en leur donnant les moyens de penser par eux-mêmes, une école qui permette de s’extraire du déterminisme social et qui donne le temps à chacune et à chacun de se former suffisamment pour pouvoir choisir la vie qu’elle ou il souhaite mener, une école qui est au cœur de la vie des territoires, comme elle le fut sous la IIIe République, grâce à ses « hussards noirs », une école qui soit un véritable lieu d’émancipation et qui permette de croire que, demain, nos enfants auront les outils pour bâtir une société meilleure.
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, parce que, à nos yeux, cette réforme ne répond pas aux enjeux actuels de l’éducation nationale, parce qu’elle risque de fragiliser notre système éducatif, les élus du groupe socialiste et républicain voteront contre ce texte !