Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui au terme de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, après un long travail préparatoire et plusieurs semaines de discussions, parfois passionnées, dans cet hémicycle, comme à l’Assemblée nationale, ainsi que sur le terrain, au contact des acteurs locaux : élus, personnel de l’éducation et, évidemment, parents.
Le Sénat et l’Assemblée nationale ont réussi à s’accorder sur une rédaction commune du texte en commission mixte paritaire, ce dont nous nous félicitons.
Monsieur le ministre, à cette occasion, je tiens à vous adresser mes remerciements pour la qualité de nos échanges en séance tout au long de ces travaux.
Je souhaite également remercier, de nouveau, le rapporteur, Max Brisson, et la présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, ainsi que l’ensemble des sénateurs de leur implication dans la conduite de nos débats.
En 1870, disait-on, la France avait été vaincue par l’instituteur prussien. L’institution scolaire était effectivement restée un parent pauvre de l’action publique depuis le début du XIXe siècle : peu d’enfants allaient à l’école, malgré la loi Guizot de 1833, qui prévoyait l’ouverture d’une école primaire de garçons dans chaque commune.
La République s’est donc mise à l’école allemande : l’instruction est devenue obligatoire et le système français s’est doté d’un corps d’enseignants compétents formés dans les écoles normales.
Jules Ferry n’invente pas l’école, mais il crée celle de la République et la dote de fonctionnaires aux qualifications et à l’autorité reconnues. Aussi le « lire, écrire, compter » devient-il une réalité. Un mythe national est né : celui d’un enseignement creuset de la République, porteur de ses valeurs de patriotisme, de laïcité et d’égalité des chances.
En 2019, Patrick Artus relève dans une note qu’il y a 17 % de jeunes de 15 à 29 ans sans diplôme, ni formation, ni emploi. Il rappelle le constat de l’enquête PISA : l’école française est peu performante pour les enfants des milieux modestes ; elle accroît les inégalités sociales entre les générations ; elle se contente de comptabiliser les décrocheurs, qui ne sont que trop rarement récupérés pour être remis dans le système. Notons enfin que ce chiffre n’inclut pas les bacheliers qui échouent au début de leur premier cycle universitaire.
Nos travaux relatifs au présent texte s’inscrivent dans cette réalité contemporaine. Il était important de le rappeler. Vous-même, monsieur le ministre, avez présenté ce projet de loi comme « une nouvelle étape de cette épopée glorieuse de l’école depuis la fin du XIXe siècle ».
L’examen de ce texte a été l’occasion pour notre assemblée de jouer pleinement son rôle de représentant des collectivités territoriales, en introduisant un certain pragmatisme, indispensable à la nécessaire application de la réforme sur le terrain.
Je pense notamment aux mesures concernant la formation initiale et continue des enseignants, à la composition du futur conseil d’évaluation de l’école, qui sera à même de garantir son indépendance et donc sa crédibilité, ou encore à la lutte contre le prosélytisme et, plus généralement, à la défense des valeurs fondamentales de l’école, qui se trouvent renforcées.
Si nous regardons plus en détail le texte final, nous nous satisfaisons également des dispositions relatives à l’obligation d’instruction à 3 ans, même si nous regrettons que l’ensemble des communes ne bénéficient pas d’une compensation financière intégrale, compte tenu des charges que cette réforme induit.
Si l’objectif du Gouvernement est louable, le Sénat a très justement prévu, au titre de cette mesure, des aménagements utiles pour les familles et les professionnels. Il en est ainsi de l’obligation d’assiduité en petite section, mais aussi de l’extension à cinq ans, au lieu de deux, de la dérogation accordée aux jardins d’enfants pour accueillir des enfants d’âge scolaire. Ainsi, l’on pourra faciliter l’adaptation de ces structures au nouveau cadre législatif.
Enfin, la CMP a avalisé la position adoptée par le Sénat sur l’article 6 quater. En instituant les fameux établissements publics des savoirs fondamentaux, destinés à réunir école et collège, cet article avait suscité les débats que l’on connaît. Nous nous réjouissons de l’engagement du Gouvernement à approfondir la réflexion sur ce sujet.
Le groupe que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui n’est pas en reste concernant les avancées présentes dans le texte. Ainsi, c’est sur l’initiative d’Hervé Maurey et de Catherine Morin-Desailly que les objectifs de l’éducation au développement durable et de l’enseignement numérique prévus dans le code de l’éducation ont été redéfinis et renforcés dans leur ambition, pour faire des enfants des acteurs de la transition écologique et numérique.
De même, notre collègue Françoise Gatel a permis que l’État dispose d’un droit de regard sur l’évolution des établissements hors contrat, une fois accomplies les formalités d’ouverture.
Je pense à la suppression de l’article 16 bis, demandée par Jocelyne Guidez afin de rassurer nos infirmiers scolaires. J’ai également en tête plusieurs avancées importantes, que nous souhaitions depuis longtemps, pour l’organisation du temps de travail des enseignants ou encore l’intégration des enjeux territoriaux dans la répartition des moyens.
Enfin j’aborderai la question de la mobilité sociale à l’école, un sujet qui nous est cher et sur lequel j’ai souhaité agir concrètement dans la conduite de nos travaux.
En France, la mobilité sociale est faible : notre société manque de fluidité et de concurrence, grâce auxquelles les plus méritants, d’où qu’ils viennent, peuvent réussir. L’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, l’a récemment montré : il faut six générations pour qu’une famille du bas de l’échelle sociale atteigne la moyenne.
Les élites sont coupables non pas de réussir, mais de ne pas agir pour autoriser le succès des autres. Trop souvent, l’école ne favorise pas assez de destins communs ; à l’inverse, elle trace des devenirs parallèles. C’est un scandale moral et une faillite économique, contre lesquels nous devons lutter. C’est aussi un péril politique : comment une démocratie saine peut-elle durer sur ces bases, en excluant de la réussite toute une partie de la population ?
Les statistiques sont malheureusement assez claires : dans les milieux modestes, très peu d’élèves feront des études supérieures, et presque aucun n’accédera aux formations les plus prestigieuses. Ces enfants n’auront donc pas accès aux emplois qualifiés et seront confrontés au risque du chômage de masse.
À l’inverse, les enfants de l’élite réussiront : s’ils n’intègrent pas les meilleurs établissements, ils partiront étudier à l’étranger et auront de bonnes chances de s’en sortir, forts du capital parental.
Pour relever les défis du nouveau siècle, la France a besoin de repenser la formation de sa jeunesse. On peut parier qu’elle ne la rendra efficace que si elle la décloisonne, c’est-à-dire si elle s’ouvre à plus de mixité sociale tout en œuvrant à plus de synergie entre les différents acteurs, agissant de concert et, oserais-je dire, en confiance.
Nous en sommes convaincus : cette lutte pour la mixité sociale et la réussite éducative passent par une plus forte collaboration avec les collectivités territoriales, qui doivent devenir de véritables interlocuteurs des recteurs dans la définition des politiques publiques dans l’ensemble du pays. La restitution prochaine des travaux de la mission d’information relative aux nouveaux territoires de l’éducation sera l’occasion d’enrichir encore ce débat de nouvelles propositions.
Monsieur le ministre, en confiant ses souvenirs de la rue de Grenelle, l’un de vos prédécesseurs avouait s’être rapidement aperçu de la grande relativité du pouvoir. Les choses auraient-elles totalement changé aujourd’hui ? En tout cas, nous espérons que, à notre contact, vous appréciez votre position différemment.