Intervention de Gérald Prufer

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 30 janvier 2019 : 1ère réunion
Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public — Audition de M. Gérald Prufer directeur de la station polynésie la 1ère

Gérald Prufer :

Derrière le vocable « pôle outre-mer », il y a Malakoff et 300 familles qui représentent une somme d'expérience, d'expertise, de connaissance, de savoir, de culture et d'histoire. C'est là que tous les outre-mer se retrouvent, se mélangent et travaillent ensemble. Nous nous pensions tous membres d'une communauté qui jamais ne devait s'éteindre. Ces 300 familles ne savent pas aujourd'hui où elles vont et elles l'ont écrit au Président de la République. Elles lui ont fait des propositions pour réinventer France Ô, pour rendre à la chaîne son ADN car si la chaîne s'est enlisée dans les sondages c'est qu'elle s'est perdue en poursuivant la représentation de la diversité. Et nous sommes responsables de cette dérive même si quelquefois nous avons contesté les choix... force est de reconnaître que nous n'avons pas été entendus. Aujourd'hui, devant vous, je revendique une partie de cette responsabilité.

Ces 300 familles ne savent pas où elles vont aujourd'hui ; leur présent est pesant et angoissant... mais au moins, elles savent d'où elles viennent. Laissez-nous montrer en format numérique nos cultures, faire vivre nos langues et raconter nos histoires, ou plutôt notre contre-histoire puisque les manuels d'histoire nous retiennent à la marge. Combien d'émissions sur les chaînes nationales depuis Ouvéa ? Depuis le Chaudron ? Combien d'émissions depuis la Mosquée de Chembeyoumba à Mayotte, la plus vieille mosquée de France ? Combien d'émissions depuis le Mémorial de l'esclavage ? Depuis Moruroa ? Combien d'émissions sur le rassemblement des peuples autochtones du plateau des Guyane à Cayenne ? Combien d'émissions sur le zouk, le tamouré, le kaneka, la biguine, le mgodro, le bel air, le damier, le gros ka, le piqué djouk ? Qui sait que sega et maloya, les musiques traditionnelles de La Réunion, font partie du patrimoine de l'humanité ? Que les Îles Marquises sont en cours de classement, là où reposent deux monstres sacrés, Paul Gauguin et Jacques Brel ?

Sans France Ô, pas de captation de pièces de théâtre avec des troupes d'outre-mer au Festival d'Avignon ; les troupes d'outre-mer disparaissent ; pas de captation à l'Olympia ou au Zénith ; pas d'émission annuelle sur la drépanocytose, une maladie spécifique à l'outre-mer ; pas de grand événement sportif tel que la Coupe du monde de football, comme notre présidente Delphine Ernotte vous l'a dit elle-même ; pas de communion avec les dieux du stade, pas de communion avec la Nation. Rayer France Ô de la carte audiovisuelle de la France, c'est un élan assassiné.

Enfin comme je suis en Polynésie : sans France Ô, Poovana O'opa serait tombé dans un oubli profond, lui qui en 1959 a osé défier le général de Gaulle et refuser les essais nucléaires sur son territoire. Il y a eu 193 explosions nucléaires en Polynésie et une partie du territoire est vitrifiée pour au moins 25 000 ans. Qui le sait en France ? On nous a gavés d'images du plateau d'Albion à l'époque où les agriculteurs s'opposaient à l'installation des silos à missiles mais on n'a jamais vu Moruroa.

Sans France Ô je n'aurai pas vu l'intervention du leader indépendantiste Oscar Temaru à la tribune de l'ONU réclamer l'indépendance pour la Polynésie, ni le discours enflammé en réplique du président Édouard Fritch - que je remercie d'avoir bien voulu nous prêter la salle de visioconférence de la présidence - pour le maintien du territoire dans la France. Le fait indépendantiste est parfois évoqué pour la Corse, mais il ne l'est pas pour la Martinique, la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française.

Sans France Ô, qui poserait la question de la restitution aux territoires des oeuvres d'art collectées ou volées - n'ayons pas peur des mots - dans les colonies du XVIIe au XIXe siècle ?

Je voudrais vous donner un chiffre, un seul : 153 000 euros ; 153 k€ dans notre langage comptable. C'est le montant très précis de l'aide de France Ô à la production de Polynésie La 1ère en 2018. Le cash apporté par France Ô a financé les magazines sportifs de découverte Waterman Tour et Islander's Tahiti, l'ouverture du championnat de Va'a, la retransmission de l'élection de Miss Tahiti devenue Miss France, le Heïva des Raromatail, autrement dit le festival de danses et de chants des îles Sous-le-Vent à Bora Bora, la retransmission de la plus grande course de Va'a du monde, la mythique Hawaïki Nui Va'a.

Ces émissions sont reprises pour la plupart par France Ô, par Nouvelle-Calédonie La 1ère, par Wallis-et-Futuna La 1ère et quelquefois par Guyane La 1ère quand une équipe de rameurs en eau douce, du Maroni ou de l'Oyapock, vient se mesurer aux géants Tahitiens. Le magazine Bleu Océan qui traite des métiers de la mer qui nous entoure et de la bonne ou mauvaise fortune des hommes et des femmes qui s'y risquent traite aussi de la protection du milieu marin et des espèces qui y vivent, avec un co-financement assuré par le Gouvernement de Polynésie.

La voilà, la vérité sur le pôle outre-mer, et mes collègues directeurs compléteront le tableau lors de notre prochaine rencontre en mars.

Césaire aurait pu dire : « France Ô, quand cesseras-tu d'être le jouet sombre au carnaval des autres ou dans les champs d'autrui l'épouvantail désuet ? »

Alors, que faire ? Nous n'avons pas attendu. Une vaste réflexion a été engagée au cours du dernier séminaire des directions des outre-mer, en novembre 2018, par la présidente Delphine Ernotte-Cunci et Wallès Kotra. Je vous ai adressé le document de travail des directeurs du pôle outre-mer dans lequel les actions pertinentes en préparation ou déjà actives sont recensées : refonder France Ô et son maillage avec les stations ; accentuer le virage numérique ; revoir les modes de production ; revoir les modes de diffusion sur toutes les chaînes de France Télévisions (FTV) ; valoriser nos productions à 360° sur tous nos supports radio-télé-internet ; arrêter de nous juger au travers des données statistiques mais apprécier nos idées.

Nous ne demandons pas plus d'argent, nous savons qu'il n'y en a pas. Nous demandons davantage de relations, d'échanges, d'oeuvres communes avec les chaînes publiques soeurs.

Il faudra inspirer la confiance via l'information et les programmes ; garantir la diffusion de nos productions sur tous les supports de FTV et nous ouvrir l'accès à France.tv, le site internet de référence de FTV ; renforcer notre légitimité ; promouvoir notre utilité sociale ; responsabiliser nos cadres et les faire monter dans la hiérarchie de FTV ; moderniser nos outils ; développer la solidarité entre les chaînes ; parler vrai et respecter les engagements pris dans les collectivités d'outre-mer ; être là où est l'audience ; sous-titrer nos émissions en langues locales pour élargir la base et rendre les productions plus puissantes ; développer le capital sympathie ; faire preuve de cohésion face à la révolution numérique ; inter-agir avec les nouvelles générations, avec les stations de France 3, voire imaginer des jumelages entre stations pour des opérations spéciales (tour cycliste de la Guadeloupe,...) ; développer le break-in-news pour faire circuler l'information sur toutes les chaînes.

Nous voulons faire du pôle outre-mer, stations et France Ô, des sentinelles de l'évolution climatique et de la montée des eaux. Qui mieux que nous pourra le faire ? Et cela ne doit pas être seulement une volonté... mais plutôt une sommation.

Merci de m'avoir prêté toute votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.

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