Délégation sénatoriale aux outre-mer

Réunion du 30 janvier 2019 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Dans le cadre de notre étude sur la représentation et la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public, nous avons rendez-vous ce soir - ce matin dans le Pacifique - avec M. Gérald Prufer, directeur de la station Polynésie La 1ère.

Je tiens tout d'abord à remercier vivement le gouvernement de la Polynésie française, et bien sûr son président Édouard Fritch, d'avoir accepté de mettre à disposition ses locaux et son système de visioconférence pour faciliter nos travaux. Je sais que les techniciens des deux côtés ont bataillé pour nous permettre de communiquer et je leur exprime toute notre reconnaissance.

La représentation et la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public est un sujet grave aux enjeux majeurs, et en premier lieu un enjeu de cohésion nationale : il n'y aura en effet pas de prise en compte des spécificités et des atouts que représentent les outre-mer pour notre pays sans meilleure connaissance des territoires. Le sujet est complexe et engage au moins trois publics différents : les populations locales, les ultramarins établis dans l'hexagone et les téléspectateurs qui n'ont pas de lien spécifique avec les outre-mer mais qui ne doivent pas, pour autant, les ignorer... ce qui arrive trop souvent !

Nous souhaitons instruire ce sujet au plus près des territoires et les productions des stations La 1ère sont riches et contribuent activement à cette connaissance. L'audience de ces chaînes, de même que celle de France Ô, est très variable selon le territoire : il semble que la Polynésie ait une belle écoute de ces chaînes. Mais je n'en dirai pas davantage à ce stade car il reviendra à nos rapporteurs de vous interroger : ce sont Mme Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, et M. Maurice Antiste, sénateur de la Martinique.

À moins qu'ils ne souhaitent dire un mot dans l'immédiat, je vous invite à présenter votre propos liminaire sur la base de la trame qui vous a été adressée par notre secrétariat. Avant de vous céder la parole, je souhaitais ajouter que vous avez été en poste pour RFO puis France Télévisions dans quasiment tous les outre-mer. N'hésitez donc pas, au regard de votre riche expérience, à nous livrer également votre éclairage sur les autres territoires.

M. Gérald Prufer, directeur de la station Polynésie La 1ère. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer. Au cours de mes trente années d'expérience, j'ai pu travailler dans toutes les stations ultramarines sauf celle de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Polynésie La 1ère, c'est 150 salariés, un budget de 25 millions d'euros pour 756 heures et 6 minutes de production en 2018 contre 796 heures et 32 minutes en 2017 qui était une année électorale à 4 tours (élections présidentielle et législatives).

La 1ère production diffuse un journal en tahitien à 18h30, un journal en français à 19h00, 7 jours sur 7 toute l'année. Nous sommes la deuxième télévision du territoire en audience globale mais la première pour l'information sur ses trois médias radio/télévision/internet. Nous sommes le premier groupe média de Polynésie avec le cumul des trois antennes. La radio généraliste est en 4e position mais dispose, grâce à sa tranche info du matin en français et tahitien, de la meilleure matinale.

Le site internet - et les réseaux sociaux - de Polynésie La 1ère est de loin le plus regardé du pays avec plus de 180 000 abonnés ou fans sur Facebook, Twitter et Snapchat. Nous sommes le plus gros pourvoyeur de vidéos sur YouTube de toutes les stations d'outre-mer. En attendant d'avoir accès à France.tv, France Ô est le site de référence de France Télévisions. Je vous ai transmis des éléments qui vous permettront d'analyser et de voir en images les productions de Polynésie La 1ère.

France Ô et les chaînes La 1ère sont liées. Elles constituent le pôle outre-mer. Ce sont les chaînes les plus liées de France Télévisions. France Ô, issue de RFO Sat qui visait déjà à donner une visibilité aux outre-mer dans l'hexagone, est l'héritage de ce passé. France Ô est l'âme audiovisuelle de l'outre-mer ; c'est la possession en commun des territoires éloignés, de riches souvenirs et de projets. C'est le désir de vivre ensemble.

France Ô et les chaînes La 1ère, c'est la liane qui vit sur le palmier, c'est une chaîne à 10 maillons. Chacun a besoin de l'autre et aucun ne peut se suffire. France Ô et les chaînes La 1ère, c'est la possibilité de créer, de produire, de coproduire, de renouveler et de partager des valeurs universelles. France Ô et les chaînes La 1ère, c'est comme deux pieds qui alternent pour créer la marche. Les chaînes La 1ère ne sont rien sans France Ô.

Et ce n'est pas seulement une question de sécurisation des financements. Si on n'est pas en capacité d'être vus au plan national, à quoi cela sert-il de produire en outre-mer ? Diffuser de la culture comme le fait France Ô est un acte de communication. Supprimer la diffusion de la culture revient à supprimer France Ô et nous condamner à l'errance audiovisuelle. Si vous me permettez une autre image, France Ô qui meurt c'est la bibliothèque de l'outre-mer qui brûle.

Si j'osais encore, je dirais que France Ô permet aux peuples des outre-mer français et étrangers de manger ensemble dans la même assiette grâce aux accords passés entre radios et télévisions du monde francophone. Ainsi, l'Association des radios et télévisions de l'océan Indien (ARTOI) est un trait d'union entre les Seychelles, les Comores, Madagascar, l'île Maurice, Mayotte et La Réunion. C'est un espace ou un marché de 25 millions d'habitants qui ont en commun deux langues, le français et le créole.

Supprimer France Ô, c'est supprimer la coopération et la remontée vers le nord des images du sud. L'inverse est tellement vrai et on est tellement habitué au colonialisme audiovisuel !

Il en est de même pour le plateau des Guyanes : sans France Ô quel est l'avenir des accords entre Guyane La 1ère et les télévisions du Surinam et du Brésil ? Le carnaval de Rio est commenté en direct dans les locaux de Guyane La 1ère et diffusé sur France Ô.

Dans la zone Pacifique, quel est l'avenir d'un accord avec le Vanuatu si on ne permet pas l'accès au national à toutes ces télévisions francophones ?

Il n'y a que nous pour réussir un tel maillage ou un tel « liannage ». Arrêter France Ô entraînera la non-visibilité, la non-palpabilité qui conduisent à la non-existence des télévisions régionales.

Dans le dernier baromètre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), publié le mardi 29 janvier 2019, sur la visibilité des outre-mer sur les chaînes françaises, toutes chaînes confondues, il est écrit que 9 % des programmes concernent les populations d'outre-mer en intégrant France Ô. Plus inquiétant, page 54 de ce rapport, le CSA écrit : «Vous enlevez France Ô et ce pourcentage tombe à 0,3% ». Quant aux aspects traités sur l'outre-mer, le CSA note pages 83 et 84 : « absence de visibilité, images dépréciatives, rabaissantes, reportages en temps de crise uniquement. »

Ce rapport suscite deux questions. Une question quantitative : avec France Ô en moins, il va falloir faire de grands efforts pour améliorer la représentativité ; une question qualitative : quand le rattrapage quantitatif aura été atteint, il faudra un rattrapage qualitatif.

Je me réfère encore au rapport du CSA : « le visionnage des journaux d'information a permis de révéler une présence largement minoritaire des populations ultramarines dans le traitement de l'actualité... il est assez évident que la présentation des informations d'outre-mer ne répond qu'à un souci de quota... le traitement expéditif de l'information témoigne d'une vision au mieux condescendante des outre-mer. »

Dans le numéro 52 du baromètre de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), en décembre 2018 à propos des Antilles-Guyane, il est écrit : « Ces départements d'outre-mer sont très peu visibles dans l'actualité nationale et ne représentent que 0,5 % des offres d'information. Heureusement les chaînes publiques se distinguent avec des programmes de stock même si la place accordée à ces régions reste marginale. ». Il s'agit ici uniquement de l'aspect « diffusion », mais la production locale n'est pas à négliger.

Il ne faut pas que les budgets de France Ô soient redistribués aux productions nationales et que les outre-mer servent seulement de décor.

Que pouvons-nous inventer ? Que pourrons-nous créer ? Il nous faudrait la puissance de feu des Césaire, Damas, Monerville, Bissette, Condé, Zobel, Éboué, Schoelcher, Delgrès, du père Labat, de Leconte de Lisle ! Des esclaves Romain et Albus, Galmot, Anne-Marie Javouhet ; de Mme Debassyns, de Roland Garros, de Solitude, de Taubira, Tjibaou et même Sosthène... Le guadeloupéen Sosthène-Camille Mortemol, capitaine de vaisseau de la marine nationale pour éviter tout amalgame. Sa statue est à Pointe-à-Pitre. Et, enfin, vous les sénateurs d'aujourd'hui ! On aura besoin de tout le monde.

Les noms d'hier et d'aujourd'hui, l'histoire d'hier et d'aujourd'hui pour nous rappeler que la puissance évocatrice des outre-mer est contenue dans France Ô et les chaînes La 1ère comme la puissance d'un fromager est contenue dans sa petite graine qui flotte dans l'air au gré des alizées grâce au cocon qui l'entoure et le porte... Tous les sénateurs d'outre-mer le savent et connaissent la saison du fromager.

Pour aller vers la visibilité, il faut établir un dialogue véritable, ce qui suppose la reconnaissance de l'autre, le respect de son identité et de sa liberté d'expression.

La fin de France Ô soufflée à l'oreille du Président de la République est un puissant désagrégateur du pôle outre-mer qui fragilise les stations et plonge dans le doute et l'angoisse le personnel de l'entreprise. Il faut rassurer par un projet digne, une ambition forte, une passion intacte.

Merci pour cette vibrante plaidoirie. Trop souvent, les gouvernements commettent l'erreur de ne pas consulter avant de procéder à des réformes. La Délégation sénatoriale aux outre-mer a pour ambition de traiter en profondeur les sujets qu'elle aborde en menant des investigations complètes pour aboutir à des préconisations concrètes.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

La qualité de votre plaidoyer ne me surprend pas et je vous remercie pour votre courage.

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Je suis passionné par mon métier. Nous avons déjà failli disparaître avec RFO et c'est l'amendement de la sénatrice Mme Payet qui nous a sauvés !

Debut de section - PermalienPhoto de Jocelyne Guidez

Je suis heureuse de vous entendre. Vous, venu de Saint-Pierre ; moi, venue du Diamant, nous nous retrouvons ici pour nous écouter.

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Derrière le vocable « pôle outre-mer », il y a Malakoff et 300 familles qui représentent une somme d'expérience, d'expertise, de connaissance, de savoir, de culture et d'histoire. C'est là que tous les outre-mer se retrouvent, se mélangent et travaillent ensemble. Nous nous pensions tous membres d'une communauté qui jamais ne devait s'éteindre. Ces 300 familles ne savent pas aujourd'hui où elles vont et elles l'ont écrit au Président de la République. Elles lui ont fait des propositions pour réinventer France Ô, pour rendre à la chaîne son ADN car si la chaîne s'est enlisée dans les sondages c'est qu'elle s'est perdue en poursuivant la représentation de la diversité. Et nous sommes responsables de cette dérive même si quelquefois nous avons contesté les choix... force est de reconnaître que nous n'avons pas été entendus. Aujourd'hui, devant vous, je revendique une partie de cette responsabilité.

Ces 300 familles ne savent pas où elles vont aujourd'hui ; leur présent est pesant et angoissant... mais au moins, elles savent d'où elles viennent. Laissez-nous montrer en format numérique nos cultures, faire vivre nos langues et raconter nos histoires, ou plutôt notre contre-histoire puisque les manuels d'histoire nous retiennent à la marge. Combien d'émissions sur les chaînes nationales depuis Ouvéa ? Depuis le Chaudron ? Combien d'émissions depuis la Mosquée de Chembeyoumba à Mayotte, la plus vieille mosquée de France ? Combien d'émissions depuis le Mémorial de l'esclavage ? Depuis Moruroa ? Combien d'émissions sur le rassemblement des peuples autochtones du plateau des Guyane à Cayenne ? Combien d'émissions sur le zouk, le tamouré, le kaneka, la biguine, le mgodro, le bel air, le damier, le gros ka, le piqué djouk ? Qui sait que sega et maloya, les musiques traditionnelles de La Réunion, font partie du patrimoine de l'humanité ? Que les Îles Marquises sont en cours de classement, là où reposent deux monstres sacrés, Paul Gauguin et Jacques Brel ?

Sans France Ô, pas de captation de pièces de théâtre avec des troupes d'outre-mer au Festival d'Avignon ; les troupes d'outre-mer disparaissent ; pas de captation à l'Olympia ou au Zénith ; pas d'émission annuelle sur la drépanocytose, une maladie spécifique à l'outre-mer ; pas de grand événement sportif tel que la Coupe du monde de football, comme notre présidente Delphine Ernotte vous l'a dit elle-même ; pas de communion avec les dieux du stade, pas de communion avec la Nation. Rayer France Ô de la carte audiovisuelle de la France, c'est un élan assassiné.

Enfin comme je suis en Polynésie : sans France Ô, Poovana O'opa serait tombé dans un oubli profond, lui qui en 1959 a osé défier le général de Gaulle et refuser les essais nucléaires sur son territoire. Il y a eu 193 explosions nucléaires en Polynésie et une partie du territoire est vitrifiée pour au moins 25 000 ans. Qui le sait en France ? On nous a gavés d'images du plateau d'Albion à l'époque où les agriculteurs s'opposaient à l'installation des silos à missiles mais on n'a jamais vu Moruroa.

Sans France Ô je n'aurai pas vu l'intervention du leader indépendantiste Oscar Temaru à la tribune de l'ONU réclamer l'indépendance pour la Polynésie, ni le discours enflammé en réplique du président Édouard Fritch - que je remercie d'avoir bien voulu nous prêter la salle de visioconférence de la présidence - pour le maintien du territoire dans la France. Le fait indépendantiste est parfois évoqué pour la Corse, mais il ne l'est pas pour la Martinique, la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française.

Sans France Ô, qui poserait la question de la restitution aux territoires des oeuvres d'art collectées ou volées - n'ayons pas peur des mots - dans les colonies du XVIIe au XIXe siècle ?

Je voudrais vous donner un chiffre, un seul : 153 000 euros ; 153 k€ dans notre langage comptable. C'est le montant très précis de l'aide de France Ô à la production de Polynésie La 1ère en 2018. Le cash apporté par France Ô a financé les magazines sportifs de découverte Waterman Tour et Islander's Tahiti, l'ouverture du championnat de Va'a, la retransmission de l'élection de Miss Tahiti devenue Miss France, le Heïva des Raromatail, autrement dit le festival de danses et de chants des îles Sous-le-Vent à Bora Bora, la retransmission de la plus grande course de Va'a du monde, la mythique Hawaïki Nui Va'a.

Ces émissions sont reprises pour la plupart par France Ô, par Nouvelle-Calédonie La 1ère, par Wallis-et-Futuna La 1ère et quelquefois par Guyane La 1ère quand une équipe de rameurs en eau douce, du Maroni ou de l'Oyapock, vient se mesurer aux géants Tahitiens. Le magazine Bleu Océan qui traite des métiers de la mer qui nous entoure et de la bonne ou mauvaise fortune des hommes et des femmes qui s'y risquent traite aussi de la protection du milieu marin et des espèces qui y vivent, avec un co-financement assuré par le Gouvernement de Polynésie.

La voilà, la vérité sur le pôle outre-mer, et mes collègues directeurs compléteront le tableau lors de notre prochaine rencontre en mars.

Césaire aurait pu dire : « France Ô, quand cesseras-tu d'être le jouet sombre au carnaval des autres ou dans les champs d'autrui l'épouvantail désuet ? »

Alors, que faire ? Nous n'avons pas attendu. Une vaste réflexion a été engagée au cours du dernier séminaire des directions des outre-mer, en novembre 2018, par la présidente Delphine Ernotte-Cunci et Wallès Kotra. Je vous ai adressé le document de travail des directeurs du pôle outre-mer dans lequel les actions pertinentes en préparation ou déjà actives sont recensées : refonder France Ô et son maillage avec les stations ; accentuer le virage numérique ; revoir les modes de production ; revoir les modes de diffusion sur toutes les chaînes de France Télévisions (FTV) ; valoriser nos productions à 360° sur tous nos supports radio-télé-internet ; arrêter de nous juger au travers des données statistiques mais apprécier nos idées.

Nous ne demandons pas plus d'argent, nous savons qu'il n'y en a pas. Nous demandons davantage de relations, d'échanges, d'oeuvres communes avec les chaînes publiques soeurs.

Il faudra inspirer la confiance via l'information et les programmes ; garantir la diffusion de nos productions sur tous les supports de FTV et nous ouvrir l'accès à France.tv, le site internet de référence de FTV ; renforcer notre légitimité ; promouvoir notre utilité sociale ; responsabiliser nos cadres et les faire monter dans la hiérarchie de FTV ; moderniser nos outils ; développer la solidarité entre les chaînes ; parler vrai et respecter les engagements pris dans les collectivités d'outre-mer ; être là où est l'audience ; sous-titrer nos émissions en langues locales pour élargir la base et rendre les productions plus puissantes ; développer le capital sympathie ; faire preuve de cohésion face à la révolution numérique ; inter-agir avec les nouvelles générations, avec les stations de France 3, voire imaginer des jumelages entre stations pour des opérations spéciales (tour cycliste de la Guadeloupe,...) ; développer le break-in-news pour faire circuler l'information sur toutes les chaînes.

Nous voulons faire du pôle outre-mer, stations et France Ô, des sentinelles de l'évolution climatique et de la montée des eaux. Qui mieux que nous pourra le faire ? Et cela ne doit pas être seulement une volonté... mais plutôt une sommation.

Merci de m'avoir prêté toute votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Votre intervention restera l'un des grands moments des auditions de notre délégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

J'ai de grandes craintes pour la suite de votre carrière !

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Saint-Pierre m'attend !

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

Pourriez-vous nous apporter des précisions sur vos relations avec les chaînes La 1ère de votre bassin, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie ?

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Le directeur de la station de Wallis-et-Futuna La 1ère est M. Gérard Guillaume, un ancien de RFO Martinique ; celui de la station de Nouvelle-Calédonie La 1ère, M. Jean-Philippe Pascal, guadeloupéen et ancien directeur de Guadeloupe La 1ère. Nous avons un pôle outre-mer à la tête des trois stations du Pacifique. Nous travaillons dans la concertation, nous échangeons nos plannings de production, reprenons dans nos grilles de programmes ce qui intéresse nos territoires. Il y a des reprises des compétitions dans les journaux des sports ou des retransmissions en direct. Nous sommes en train d'achever le premier documentaire « Malama tagata » ou « Les hommes torches » co-produit par nos trois stations, une histoire qui se déroule à Wallis-et-Futuna dont on n'entend jamais parler sur les chaînes nationales. Nous réalisons ensemble chaque année un catalogue de notre production documentaire qui représente entre 10 et 15 magazines, diffusés sur nos chaînes, sur France Ô et dans le reste du réseau. Quelquefois, nous proposons des thématiques à des producteurs auxquels nous sommes liés par des relations d'amitié, comme ceux qui produisent « Des racines et des ailes » ou « Thalassa ». Quand ils acceptent, nous mettons notre personnel et le car-vidéo à leur disposition. Avec « Thalassa » en Nouvelle-Calédonie ou à La Réunion - lors des attaques de requins, pour aller au-delà du fait divers et traiter le sujet en profondeur -, avec « Des racines et des ailes » à La Réunion à l'époque où le département demandait le classement de ses cirques à l'UNESCO, nos productions ont enregistré des records d'audience. Ces projets n'ont pu être réalisés que parce que je connaissais les producteurs et les réalisateurs. Il ne faudrait pas que les financements de France Ô ne servent qu'à financer ce type d'émissions où nous proposons la thématique mais ne sommes que le décor. Il faut que nous soyons capables de produire nous-mêmes nos émissions, de faire des documentaires de 52 minutes sur le Tour des yoles ou sur le Heiva qui seraient diffusés sur France 2 et France 3, même en deuxième partie de soirée. Mais pour cela, il faut que les chaînes aient connaissance de nos activités culturelles et de production. Tout ce maillage est à créer. Enlever France Ô, c'est nous condamner à l'errance. Nous serons soumis au bon vouloir des chaînes.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

Pourriez-vous nous donner des précisions sur les coproductions et le financement par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ?

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Le CNC nous oblige à mettre 12 000 euros sur la table au départ de toute co-production de documentaire. Nous complétons ce cash par un apport en industrie, c'est-à-dire des personnels (cameramen, preneurs de sons, mixeurs, monteurs, étalonneurs, ...) Tout cela est clairement codifié dans le vademecum d'une production documentaire. L'ensemble - cash et industrie - doit représenter entre 30 et 35 % du financement global, part minimale exigée par le CNC. Aujourd'hui, soit France Ô nous donne le cash et nous fournissons l'équipe technique, soit la station locale met le cash et la société de production métropolitaine vient effectuer le tournage ; le montage et la post-production se font à Malakoff. Depuis des années nous encourageons des producteurs locaux à s'affilier à une société de production nationale qui émarge au CNC : le projet est local ; la société de production locale - avec une partie de notre personnel - est chapeautée par une société nationale qui va chercher le financement du CNC. C'est comme cela que nous parvenons à réaliser 10 à 15 documentaires ou magazines annuels. Les sociétés de production locales n'ont pas accès directement au CNC, il leur faut passer par un intermédiaire. De nombreuses sociétés nationales ont installé des relais en outre-mer parce qu'elles ont compris qu'elles pouvaient jouer sur les deux tableaux, CNC et aides régionales données par les collectivités comme la région Guadeloupe qui vient de structurer son pôle documentaire, la Guyane, La Réunion. Quand j'étais dans ce département, la région avait pris en charge 25 % du financement d'une fiction avec Claude Brasseur et Dominique Lavanant qui racontait l'histoire de l'arrivée des Indiens dans l'île, munis de contrats de travail, après l'abolition de l'esclavage. Cette histoire n'avait jamais été racontée. J'ai pu monter cette opération avec France 3 qui a mis sur la table 3 millions d'euros parce que le directeur des programmes de France 3 - Laurent Corteel, actuel directeur de France 3 Corse - était un ami. Lors de la diffusion, les audiences de France 3 ont été excellentes. Mais on fonctionne par affinité là où les relations devraient être structurellement beaucoup plus fluides. La volonté de Mme Delphine Ernotte d'imposer davantage de contacts entre les chaînes est une bonne chose. L'histoire des Indiens est aussi transposable à la Guadeloupe ou la Martinique. C'est à La Réunion que j'ai compris ce que je voyais dans les salons chez mes amis Hindous ou Indiens, en Martinique. En effet, quand j'étais enfant, il y avait des tableaux sous verre qui contenaient des « actes d'engagement » de 1851 ou 1852. Grâce à ce type de documents, un Indien de La Réunion obtient aujourd'hui de l'Inde la reconnaissance du retour, l'autorisation de pouvoir acheter de la terre en Inde parce qu'il peut prouver que son arrière-grand-père était bien originaire de ce pays. Quand j'étais en Guadeloupe, je voyais que beaucoup de guadeloupéens d'origine indienne allaient se baigner dans le Gange ; ils me ramenaient les images de leur voyage. Si on ne passe par France Ô et si on n'a pas le maillage avec France 2 et France 3, qui racontera ces histoires ? Demandez à Euzhan Palcy, à France Zobda combien il est difficile d'obtenir des financements de ces chaînes pour faire des films comme « Toussaint Louverture » ou « les Mariées de l'isle Bourbon » !

Il faut encourager les jeunes générations de producteurs qui aujourd'hui ne travaillent plus avec de grosses caméras mais avec des téléphones. Nous sommes le premier maillon de cette chaîne. La petite station de Polynésie met entre 300 et 400 000 euros par an dans la production. Nous ne sommes pas seulement des représentants de France Télévisions, bien à l'abri dans nos bureaux, nous travaillons et faisons vivre tout un réseau de personnes. C'est la même chose en Martinique, en Guadeloupe ou en Nouvelle-Calédonie. Je le dis souvent à mes salariés, sans co-productions, si nous ne faisons pas vivre ce tissu, nous sommes « morts » ! Je ne peux pas produire seul quinze documentaires, je ne peux pas produire sans appui du CNC ou des collectivités territoriales. La filière commence à se structurer et à émerger car les petits producteurs locaux ont compris le danger résultant de la suppression de France Ô. Nous avons aujourd'hui une industrie audiovisuelle qui fonctionne grâce à France Télévisions et à France Ô.

Le gouvernement de la Polynésie française subventionne l'élection de Miss Tahiti. Il serait donc logique qu'il réserve l'événement à Tahiti Nui Télévision (TNTV), la chaîne qui lui appartient. Pourtant, c'est ma chaîne qu'il choisit car il sait que cette élection sera diffusée en direct sur France Ô et que toute la diaspora pourra la regarder. Pour regarder TNTV, il faut passer par les boxes.

Il faut également prendre en compte le fait que nous sommes un acteur économique. Les 150 salariés de Polynésie La 1ère paient des cotisations sociales et fiscales, leurs familles font vivre le commerce et le pays. Aujourd'hui, cette chaîne est fragilisée ; les personnes sont angoissées parce qu'elles ne savent pas ce qu'elles vont devenir.

J'assume ma part de responsabilité dans la dérive de France Ô mais aussi dans le sauvetage d'une entité numérique en France qui permettra ce maillage avec les chaînes nationales et l'accès sur des terminaux numériques des productions des outre-mer. Le numérique est de plus en plus puissant. Un bon journal télévisé fait ici 70 ou 80 000 téléspectateurs - nous sommes sondés une fois dans l'année. Si j'envoie un message de mon téléphone, 180 000 personnes le reçoivent instantanément. Un reportage sur internet relatif aux anguilles de Tahiti qui ont les yeux bleus a passé la barre des 10 millions de vues !

Le président Édouard Fritsch était en métropole la semaine dernière. Il a obtenu du Gouvernement la construction d'un mémorial sur le nucléaire à Tahiti. Quelle chaîne en a parlé ? France Ô. Ce mémorial est aussi important que le mémorial de l'esclavage en Guadeloupe. En Polynésie, je raconte l'histoire de l'esclavage, de la traite dans les Caraïbes. Qui connaît l'histoire de Marie Anne Thérèse Ombline Desbassayns à La Réunion, de Anne-Marie Javouhey en Guyane ? Deux femmes qui ne se sont jamais rencontrées et ont permis d'émanciper plus de 500 esclaves. Tout cela n'est pas dans les livres d'histoire. Chez Georges Patient, à Mana, une statue a été érigée en l'honneur d'Anne-Marie Javouhey. Cette dame était originaire de Bourgogne. Avec un producteur de Bourgogne et la station de France 3 de Bourgogne, nous avons produit un documentaire de 52 minutes. Il a été diffusé en Guyane, en Bourgogne. J'avais même proposé qu'une avant-première soit réalisée au Sénat afin de relier nos régions par la télévision, par l'histoire.

De nombreux projets identiques pourraient être proposés. Du 2 au 10 février 2019, s'ouvrira en Polynésie le 16e Festival international du film documentaire océanien (FIFO), à la Maison de la culture de Tahiti. Tous les pays du Pacifique seront réunis. 140 films, dont 60 documentaires, seront projetés sur nos antennes et nulle part ailleurs. Nous sommes tellement habitués au « colonialisme audiovisuel » du Nord vers le Sud ! Il faudrait aussi faire le chemin inverse. Nous diffusons aujourd'hui des productions de Nouvelle-Zélande, d'Australie, des Samoa, de Papouasie-Nouvelle-Guinée - notamment en matière de protection des forêts - qui sont remarquables et dignes d'une diffusion nationale ! Tout cela est inconnu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jocelyne Guidez

On constate une présence de sujets réalisés par les chaînes La 1ère dans les grilles de France info : y a-t-il des commandes spécifiques ? Êtes-vous en lien direct avec France info ?

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Nous avons des commandes spécifiques mais, au moment de la création de France info par Delphine Ernotte, l'augmentation du nombre de sujets relatifs aux outre-mer a été notre cheval de bataille. Au-delà de fournir, nous avons demandé que des journalistes des stations viennent participer à la création et soient associés à la rédaction nationale. Dans le passé, quand il y avait une actualité importante dans nos territoires, nous appelions les présentateurs, les encadrants ou les journalistes originaires des outre-mer pour les sensibiliser. Quand j'étais en Guyane, tous les mois une fusée Ariane envoyait des satellites pour mettre en place le système européen Galliléo, destiné à remplacer les GPS. J'ai alerté une présentatrice de France info TV et l'ai invitée à ne pas manquer cet événement. Nous souhaitons aujourd'hui davantage de maillage, de liannage, que les conducteurs de chaque journal télévisé soient échangés entre toutes les entités. Il faut que le rédacteur en chef de France info TV regarde ce qui se passe en Polynésie sur sa fiche et choisisse ce qui l'intéresse. Ce n'est pas encore le cas mais Delphine Ernotte pousse en ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Le Gouvernement veut enlever France Ô de la TNT pour développer une plateforme numérique. Mais le numérique sur une tablette est payant. Les reportages et les magazines que produit France Ô seront-ils toujours commandés et diffusés sur le réseau via cette plateforme ? Comment le réseau va-t-il être réorganisé ? Que promet-on aux chaînes La 1ère ?

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Une partie de la réponse se trouve dans le document du séminaire de la direction générale de l'outre-mer. Nous adhérons instantanément à l'idée du développement du numérique qu'il préconise. Nous avons grandi en regardant la télévision ; nos enfants regardent leurs téléphones, leurs tablettes et parfois les deux en même temps sur un mode interactif. Delphine Ernotte veut faire de France.tv le site de référence sur lequel nous pourrons voir, à partir d'une arborescence, toutes les productions de France Télévisions, y compris celles de l'outre-mer. Ce dispositif fonctionne depuis un an en métropole ; la porte devrait être bientôt ouverte pour les outre-mer. L'ambition de Delphine Ernotte - que nous partageons - est de faire de ce site le premier site français de publication de vidéos. Elle nous a dit que le jour où nous aurons accès à France info TV, nous pourrons arrêter de donner des productions gratuitement à YouTube et à Facebook, des géants qui ne paient aucune redevance en France et encadrent nos productions par de la publicité. Aujourd'hui, nous sommes obligés d'aller sur ces vecteurs pour montrer ce que nous faisons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jocelyne Guidez

Si l'on veut que chacun ait une égale chance de regarder ces programmes, il faut trouver une solution pour les zones blanches. L'internet n'est pas accessible partout en Martinique ou à La Réunion.

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

En Martinique, comme en Guadeloupe, des zones d'ombre subsistent toujours. Dans toutes les régions françaises et les outre-mer, le Gouvernement veut accélérer l'accès au numérique qui connaît un développement exponentiel. La Martinique a obtenu récemment 50 millions d'euros pour améliorer ses équipements. Le câble donnera accès à l'ensemble des prestations. À l'initiative du gouvernement polynésien, un câble est en cours de positionnement pour raccorder tous les archipels de Polynésie - 5 millions de km2 ! D'ici 2 ou 3 ans, toutes les populations auront accès à l'ensemble des prestations. Les mobiles sont apparus il y a une dizaine d'années ; dans 5 ans, tout le monde en aura. Il faut agir maintenant pour créer du lien sinon la place sera prise par d'autres intervenants. Un film sur Netflix fait 28 000 000 de spectateurs en 8 jours. Le cinéma et l'ensemble de l'audiovisuel français devront bientôt faire face à un nouveau défi : si l'on compare le prix d'une place de cinéma - en moyenne 10 euros par personne, auxquels s'ajoutent les achats de confiserie pour les enfants - avec celui d'un abonnement mensuel à un service de vidéo à la demande (SVoD) - environ 10 euros - qui permet de choisir parmi 150 films tous les jours, on comprend que nous risquons d'être submergés par les GAFA. Quand France Télévisions investit 450 millions d'euros pour aider la production télévisuelle française, Netflix investit 15 milliards dans la production !

France Ô, c'est l'araignée au milieu d'une toile dont nous sommes les extrémités. Si vous enlevez l'araignée, à quoi servira la toile ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Trouverez-vous une place sur les chaînes publiques ?

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Gérald Prufer

Les idées que je vous ai exposées sont notre base de travail. Le jumelage de nos stations sur des opérations spéciales relève de la simple intelligence et de la simple coopération entre stations. La coproduction abaisse le coût de la grille.

Je crois aux engagements de Delphine Ernotte. En effet, le Gouvernement va imposer ses choix, mais l'organisation du dispositif en interne nous appartient, à elle et à nous, directeurs de France 3, des outre-mer, et du pôle national de France 2 et France 5. Nous demandons depuis des années l'accès aux programmes de France 4 parce que nous ne sommes pas en capacité - en outre-mer et à France Ô - de produire des programmes et des dessins animés pour nos enfants. La disparition de France 4 ne doit pas entraîner celle de la production. Nous pouvons être des diffuseurs. J'aimerais avoir la certitude de la réalité de la plateforme numérique France Ô. Si on ouvre la porte sur le numérique et si on sauve Malakoff, on sauve aussi l'outre-mer. La TNT va disparaître, comme la radio AM a disparu au profit de la FM. Nous allons tous basculer vers le numérique. N'oublions pas que France Ô n'est pas seulement de la télévision. Les journalistes font aussi de la radio et du numérique. Nous avons obtenu, sur France inter et France info, la présence de modules d'information réguliers. Ces salariés qui travaillent pour la radio ne savent plus ce que sera leur avenir. Ce qui est important, c'est que nous ayons un horizon et que le personnel de Malakoff soit rassuré.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Pensez-vous que le site de France Ô de Malakoff est menacé ?

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Gérald Prufer

Delphine Ernotte a raison sur le plan économique. Les bâtiments de France Télévisions sont dispersés. Réunir tout le personnel dans un bâtiment unique permettra une économie d'échelle, de travailler ensemble, de gagner du temps, d'économiser de l'argent pour l'investir dans la production française. Mais si cette option est décidée par le Gouvernement, il faut le dire clairement. France Ô est isolée et nous passons notre temps à faire des allers et retours entre le siège et Malakoff. L'arrêt de France Ô sur la TNT ne doit pas signifier l'arrêt de France Ô. Que ce soit à Malakoff ou dans le bâtiment de France Télévisions, l'araignée doit continuer à tisser sa toile. L'immeuble de Malakoff porte le nom de Pierre Bourdan, un grand résistant. L'esprit de résistance doit continuer à animer l'âme des salariés qui y travaillent.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

L'usage des tablettes gomme progressivement le rôle fédérateur des familles que remplissait la télévision.

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Gérald Prufer

Vous avez raison mais si nous remplissons bien nos missions - informer, divertir, éduquer - nous ne supplanterons pas le rôle des parents. Le numérique a de nombreux avantages : une émission faite à l'école peut être postée, devenant alors accessible n'importe où, 24 heures sur 24. L'enseignant peut inviter ses élèves à se connecter sur France info ou sur Polynésie La 1ère, onglet « vie scolaire » et à regarder avec lui l'émission. Dans certaines classes, des tablettes sont distribuées, à l'image de ce qui avait été réalisé dans le cadre du plan Fabius, avec l'introduction d'ordinateurs dans les écoles. Il faut équiper nos écoles de terminaux pour permettre de regarder des émissions ; des équipes pourraient être dédiées pour fabriquer des émissions en partenariat avec l'Éducation nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jocelyne Guidez

En Martinique, en Guadeloupe, des écoles disposent de tablettes. Je ne suis pas sûre qu'en métropole la chose soit aussi facile à réaliser. France Ô est aussi destinée aux Antillais de métropole, afin qu'ils puissent découvrir ce qui se passe chez eux. Je trouverais dommage qu'on ne se préoccupe plus des Antillais ou des Polynésiens qui vivent en métropole.

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Gérald Prufer

France Ô et les chaînes La 1ère, nous sommes le lien dans les deux sens. Nous produisons à destination de la métropole et des équipes de Malakoff produisent à notre demande. Quand nous réalisons une émission interactive, nous demandons à France Ô d'aller faire des reportages, on les diffuse à la télévision ou à la radio. De chez nous, on appelle la famille en métropole et on met les gens en relation. J'étais à Mayotte quand Kassav a annoncé que des billets gratuits pour son spectacle du Zénith seraient mis à disposition des ultramarins. Nous avons créé un concours local avec un sponsor pour prendre en charge les billets d'avion de deux personnes. Deux Mahorais ont pu faire le voyage. Je voudrais vous citer un second exemple : France 3 avait organisé un concours d'histoire sans penser à associer les outre-mer. J'ai appelé le producteur de l'émission ; une modification leur a permis d'y participer... et c'est un Réunionnais qui a gagné !

Dans la tranche horaire de 5 à 7 heures du matin de France Inter, les auditeurs les plus actifs se trouvent être de La Réunion, grâce au décalage horaire de 2 heures. Ils jouent et ils gagnent ! Bien souvent, des émissions - sur le public ou sur le privé - qui invitent les téléspectateurs à jouer donnent un numéro de sms ; or celui-ci ne fonctionne pas dans les outre-mer ! Pourtant, les impôts de l'outre-mer servent aussi à financer l'audiovisuel public.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

France Ô est regardée par les ultramarins de l'hexagone et par des personnes sans lien avec l'outre-mer mais intéressées par ce qu'il s'y passe. Quand les émissions vont disparaître de la TNT, ne risque-t-on pas de perdre cette clientèle ?

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Gérald Prufer

À l'origine, la création de RFO Sat, chaîne de télévision généraliste française dédiée à l'outre-mer, visait à créer une offre nouvelle. Il ne faut pas être crédule : la chaîne future ne donnera pas ses créneaux les plus porteurs à 3,5 % de la population française. En 1986, année de la création de la Route du rhum, RFO Guadeloupe et M 6 ont organisé un grand plateau avec toutes les vedettes de l'époque. J'ai demandé au producteur de diffuser Kassav sur M 6. Il m'a répondu que, quand il diffusait Kassav, il s'adressait à 500 000 à 1 million de téléspectateurs alors que quand il diffusait un clip d'un prince du raï, il s'adressait aux 10 millions de Français d'origine maghrébine. Le rapport de force est en notre défaveur.

Le CSA dit que la télévision française publique et privée consacre aujourd'hui 9 % de l'antenne à 3,5 % de la population française, en agrégeant France Ô. Si on enlève France Ô, ce taux ne représente plus que 0,3 %. Le chantier numérique est un chantier pour demain car, d'ici 3 à 5 ans, les difficultés techniques que nous connaissons aujourd'hui seront réglées. Nous nous battons pour avoir dans les outre-mer une diffusion numérique en 4K qu'on nous présentait jusqu'à récemment comme le summum de la technique. La NHK japonaise vient d'inaugurer une diffusion en 8K ! Nous nous battons également pour avoir une diffusion en HD dans les outre-mer, usuelle en métropole depuis des années.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Le fil conducteur de la délégation sénatoriale aux outre-mer est d'amener nos collègues métropolitains à s'intéresser aux problématiques de nos territoires. Je suis surpris que des services dont la mission est de diffuser la connaissance ne prennent pas en compte tous les publics.

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Je crains que bien des membres du Gouvernement n'aient du mal à situer les onze territoires ultramarins sur une carte. J'ai fait la même expérience à France Télévisions. Un des producteurs de Thalassa m'a même demandé où était Mayotte ! Une telle question de la part de gens qui s'intéressent à la mer en dit long sur la méconnaissance de nos compatriotes. Dans le passé, le ministre Louis Le Pensec était venu en Nouvelle-Calédonie après un cyclone. Au cours d'un exposé sur l'aide de la France, il avait confondu l'archipel des Belep avec un nom de famille...

Le fait d'amener l'encadrement de France Télévisions dans les départements et territoires ultramarins permet à celui-ci d'acquérir une meilleure connaissance de nos spécificités. Au moment de la bascule vers la TNT, France Télévisions avait fait en sorte qu'un membre du comité directeur soit présent dans chaque territoire d'outre-mer. À chaque changement de présidence, il faudrait que l'équipe dirigeante vienne dans les outre-mer. Votre visite du site de Malakoff était une visite dans l'urgence. Il faudrait que chaque année les élus nationaux fassent le déplacement.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Vous avez rappelé les statistiques établies par le CSA. Ne doit-on pas se battre pour garder France Ô sur la TNT ?

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Gérald Prufer

Vous êtes notre seule bouée de sauvetage. Si votre rapport n'est pas une sommation, tout l'édifice peut disparaître sur l'autel des économies. On va rendre invisibles 3,5 % de la population française qui n'aura droit qu'à 0,3 % de présence sur les chaînes. Vous êtes les seuls à pouvoir dire qu'il faut laisser à France Ô une chance sur le numérique et revoir les moyens alloués aux outre-mer. Faisons le deuil de la TNT mais allons-y franchement sur le numérique, en donnant la chance à France Ô d'être la première chaîne nationale publique française à diffusion numérique, en reliant l'ensemble des outre-mer.

Le budget pour France Ô, 1 600 salariés, est de 25 millions ; celui de France 2, 2 000 salariés, est de 500 millions. À la création de France Ô, la dotation qui avait été allouée était minime ; elle l'est restée. Nous avons trouvé un système de partage des coûts entre les stations qui fonctionne. La Cour des comptes valide nos comptes lors de chacune de ses visites.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je comprends que la TNT va à terme disparaître. Il faut se battre pour que France Ô soit la première chaîne nationale de diffusion mondiale en haut débit numérique.

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Cela ne sert à rien de se battre pour la TNT. Ce qui est valable pour France 4 l'est pour France Ô.

Quand le général de Gaulle a été en difficulté, il est venu dans les outre-mer. La diffusion des images de populations en liesse lui a permis de retrouver une légitimité en métropole. Il faut susurrer cela à l'oreille du président de la République qui pourrait mettre à profit son déplacement à Tahiti, en fin d'année, pour un sommet France-Océanie.

Debut de section - PermalienPhoto de Maurice Antiste

En trois points, quelle serait la meilleure stratégie ?

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Gérald Prufer

Le premier élément est la sensibilisation sur l'aléa climatique. Nos chaînes La 1ère sont les premières sentinelles de l'évolution climatique, de la montée des eaux ; le deuxième est d'insister sur le dispositif mondial dont nous disposons ; le troisième est de rappeler que ce dispositif a une tête, à Malakoff. Il faut sauvegarder l'ensemble.

L'idée force, c'est le numérique. Il faut investir dans le numérique. On n'efface pas une chaîne qui a une telle répercussion sur la vie des gens. N'oublions pas également que l'impact économique de France Ô est important. Il y a tout un tissu économique qui est irrigué. Les régions participent aussi à l'économie numérique. Tous les territoires des outre-mer sont dotés aujourd'hui de bureaux d'aide au développement numérique. Le poids de votre rapport et le lobbying des régions devraient amener le Gouvernement à prendre conscience que les outre-mer ne représentent pas seulement 3,5 % de la population, mais sont aussi porteurs de cultures parce que nos histoires sont plurielles et que nous faisons partie de l'histoire de la France.

On nous disait qu'après les présidents Mitterrand et Chirac la sensibilisation aux outre-mer diminuerait. Nous le ressentons tous les jours. Aujourd'hui, cette liaison a un peu disparu parce qu'il y a tellement de problèmes dans l'hexagone que ceux des outre-mer, si lointains, passent en arrière-plan. Les Français originaires des outre-mer s'intègrent sans difficulté, ils participent à la vie de la Nation ; leurs lieux d'expression privilégiés sont la télévision, la radio. Prenons donc les moyens de gagner la bataille du numérique. Nous devons travailler pour la génération de demain.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Être à l'avant-garde est la solution pour éviter la dilution des outre-mer. Toutefois, la transition n'est-elle pas trop rapide ?

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Gérald Prufer

Il faut effectivement phaser les opérations dans le temps, agir en douceur avec une bonne communication pour que le virage soit pris par tout le monde. En 2020, il y aura les Jeux olympiques. Compte tenu du décalage horaire, tous les écrans de France Ô seront importants. La suppression d'une chaîne est le choix du Gouvernement mais le travail des parlementaires est important pour définir des garde-fous.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Nous espérons que le Gouvernement tiendra compte des préconisations de notre délégation.

Debut de section - Permalien
Gérald Prufer

Le peuple des outre-mer est derrière vous, vous êtes notre seul rempart. Pour conclure cet entretien je reprendrai une citation de Césaire « vous êtes la voix des sans voix ».