Intervention de Michèle Vianès

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 20 juin 2019 : 1ère réunion
Les enjeux du prochain g7 : quelle dynamique mondiale en faveur de l'égalité femmes-hommes et des droits des femmes et des filles

Michèle Vianès, présidente de Regards de femmes :

Le sommet du G7 à Biarritz sera l'occasion de mettre en oeuvre une diplomatie féministe. Celui de Women Seven des 9 et 10 mai fut un moment utile d'échange et de partage. Les Japonaises ont rappelé le patriarcat théologique dont souffre leur pays - quel plus grand misogyne que Bouddha ? - les Américaines ont fait part de leur dilemme alors que le prochain G7 sera organisé par les États-Unis et les Canadiennes ont livré un témoignage bouleversant d'une femme autochtone enlevée de sa réserve pendant l'enfance, placée en orphelinat et en famille d'accueil puis ramenée à l'âge de dix-sept ans dans une réserve dont elle ne maîtrisait ni la langue ni les usages. Des jeunes femmes d'Afrique de l'Ouest ont partagé leur énergie et leur détermination en matière de droits sexuels et reproductifs et de lutte contre les traditions néfastes que constituent les mutilations sexuelles et les mariages forcés.

Le fait que les droits des femmes soient inclus à l'ordre du jour des réunions ministérielles du G7 de Biarritz est une évolution très favorable. Néanmoins je regrette que ne figure aucune référence, dans les recommandations adoptées lors du rassemblement du Women 7 en mai, aux centaines de millions de femmes privées du droit à une identité juridique. Je déplore également l'absence de consensus des ministres chargés des droits des femmes en matière de droits sexuels et reproductifs.

L'enregistrement à l'état civil est essentiel pour les femmes. Pensez que deux femmes sur trois, dans les régions rurales, ne sont pas déclarées à la naissance et que, parmi le 1,1 milliard de personnes privées d'identité, la majorité, selon la Banque mondiale, est constituée de femmes.

Ces femmes sont dépourvues du droit fondamental, celui qui permet l'accès à tous les autres droits : l'identité juridique. L'absence d'état civil les prive de passeport, de téléphone, de compte en banque, du droit de vote et d'éligibilité ! Cette situation empêche de lutter contre les mariages précoces et autres abus dont elles sont victimes. Pour des raisons géographiques, économiques ou patriarcales, des femmes se trouvent aussi dans l'incapacité de déclarer leurs enfants. La 63e session de la Commission de la condition de la femme organisée au siège des Nations Unies au mois de mars a souligné l'importance du sujet, soutenu par ONU Femmes. Au Sénat comme au sein de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, la sénatrice Claudine Lepage, que je salue, sensibilise à cette problématique encore méconnue. Il convient de poursuivre les actions de sensibilisation des États et des populations. Le comité de pilotage de Women Seven soutient notre engagement en ce sens. Je vous invite à notre réunion du 11 novembre sur les enfants fantômes en Afrique.

Il est plus que regrettable de n'avoir pas obtenu un plus grand consensus sur les droits sexuels et reproductifs des femmes, qui sont un aspect très important de la diplomatie féministe de la France. Vous n'avez sans doute pas oublié le discours de notre ambassadeur François Delattre devant le Conseil de sécurité des Nations unies, déclarant « intolérable » que le choix d'interrompre leur grossesse ne soit pas reconnu aux femmes et aux filles qui ont subi des violences sexuelles en temps de conflit. Inutile de rappeler devant vous que les femmes recourent à l'avortement, qu'il soit légal et sécurisé ou non, et que ce sont les femmes qui n'ont pas les moyens financiers de se rendre à l'étranger pour avoir accès à un tel avortement qui font partie de celles qui en meurent - toutes les 9 minutes ! - ou restent handicapées.

Je voudrais vous alerter enfin sur les effets de la diplomatie américaine sur les droits des femmes. Depuis 2017, Donald Trump a mis en place une politique étrangère consistant à ne pas financer les organisations internationales engagées en faveur de l'avortement ou qui fournissent des informations sur l'avortement et la contraception - en particulier, le Fonds des Nations unies pour la population, consacré à la planification familiale et aux soins apporté aux mères et aux enfants dans plus de 150 pays. Cette restriction s'étend aux programmes d'éducation, s'il y est fait référence dans leur description à l'éducation sexuelle... Résultat : pour continuer à bénéficier des subsides américains, de nombreuses associations internationales ou locales ne font plus référence à l'éducation sexuelle des filles et des garçons. Or depuis quelques temps, la puberté des filles survient de plus en plus tôt et les grossesses précoces se multiplient, parfois dès l'âge de 9 ans, dans un grand nombre de pays d'Afrique de l'Ouest, et ailleurs. Les fillettes sont, comme on dit là-bas, « enceintées » par leurs enseignants ou leurs camarades de classe. Les garçons continuent à aller à l'école, pas les filles.

L'éducation sexuelle est indispensable aux filles et aux garçons. C'est une question de survie ! Il serait important qu'une partie des 120 millions d'euros parvienne bien, en Afrique de l'Ouest notamment, aux associations locales qui agissent sur ces questions et sur celles qui permettent aux filles et aux femmes d'avoir un état civil et une identité juridique fiable. Les femmes restent hélas assignées au biologique, ce qui ne gêne pas les « machocrates ». Ils et elles - car ce sont aussi des femmes - ne supportent pas que les femmes aient la maîtrise de leur fécondité et décident par conséquent de leurs activités professionnelles, sociales ou politiques.

Les alliances, à l'ONU et dans d'autres instances internationales, entre extrémistes politiques et religieux contre les droits des femmes sont de plus en plus fréquentes. Cette mondialisation de la réaction s'appuie sur un retour aux traditions et coutumes patriarcales, ce qui est totalement contraire à la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et entraîne une séparation des femmes selon leurs origines. La réponse ne peut résider que dans l'affirmation de l'universalité des droits humains des femmes. C'est le critère qui permet de mesurer le respect des droits, leur jouissance et leur indivisibilité. La diplomatie féministe est pour moi simplement l'application de la pensée de Condorcet : toutes les femmes ont les mêmes droits, ou aucune n'en a, et celle qui vote contre les droits humains des femmes a perdu les siens.

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