Madame la Présidente, mes chers collègues, ce déplacement charentais a débuté à Cognac, le 23 mai, par le diner-débat dont Daniel Laurent vient de vous parler. Mais la Charente est loin de se limiter au cognac- dont la moitié du vignoble est planté en Charente-Maritime, et j'espère avoir pu montrer à nos collègues la diversité du tissu entrepreneurial de mon département, la Charente, qui ne se conjugue pas au pluriel, je le précise.
Après un diner-débat consacré à la filière du cognac, nous avons ainsi pu visiter trois entreprises : Lysipack, Cortex Production et Nayade, et rencontrer des entrepreneurs charentais à l'occasion d'une table ronde à Angoulême, composée avec l'aide de l'Union patronale de la Charente.
Notre première visite s'est déroulée dans l'entreprise Lysipack, société d'emballage alimentaire flexible située à Merpins.
Nous avons été accueillis à Merpins près de Cognac par M. Charvin, directeur de la société, qu'il a reprise après y avoir été salarié, alors qu'elle était au bord de la faillite. C'est une belle réussite. En effet, Lysipack est aujourd'hui leader dans l'emballage de produits laitiers et notamment du beurre (sa production concerne à 86 % des produits laitiers et à 68 % du beurre), avec 13,5 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2018. Il y a de fortes probabilités que le beurre que vous consommez se présente dans un emballage Lysipack !
L'entreprise a réussi à se développer sur le segment concurrentiel de l'emballage de produits laitiers tout en mettant en place une stratégie écologique ambitieuse, à travers notamment la construction d'une station solaire, et le développement d'emballages dont la part non recyclable est réduite.
Cette entreprise florissante nous a cependant fait part de ses grandes difficultés à recruter du personnel : il n'existe pas de formation d'opérateur sur machine et les métiers industriels sont dévalorisés dans notre société. Pour preuve, certains des intérimaires que l'entreprise emploie refusent d'être recrutés en contrat à durée indéterminée (CDI), et une partie des apprentis formés ne restent pas ensuite dans l'entreprise, le fonctionnement en trois huit de l'entreprise semblant agir comme un repoussoir. La croissance de cette dernière en est freinée et elle compte désormais sur les acquisitions extérieures (dans l'industrie pharmaceutique et cosmétique) pour se développer.
Nous nous sommes ensuite rendus à La Couronne, dans la banlieue d'Angoulême, pour visiter la société Cortex Production, studio d'animation 3D à l'origine de ce qui est appelé le « Tumulte », un bijou de technologie permettant une immersion en 3D, à 360 degrés, en relief interactif.
Nous avons été accueillis par M. Andreas Koch, ingénieur et gérant, qui nous a décrit le travail « artisanal » nécessaire au développement de cette technologie inédite, qui a réussi là où les ingénieurs de grands studios d'animation comme Disney estimaient le concept infaisable.
Cette société qui porte le label « Jeufountne entreprise innovante » a pu bénéficier d'aides publiques pour développer son produit, comme le Crédit Impôt Recherche (CIR), utile mais dont M. Koch a déploré la complexité et les coûts supplémentaires induits par la nécessité d'une aide extérieure pour le montage des dossiers.
Cortex développe ses propres outils d'animation ainsi que leurs contenus, du film médical qui permet de naviguer dans le flux sanguin et les cellules, à des projets plus ludiques sur des planètes inconnues. 90 % de son chiffre d'affaires est réalisé à l'export, avec comme produit phare le « Tumulte », sorte de tonneau dans lequel on se tient debout, et dont la diffusion en 3D interactive est si immersive qu'on en oublie la technologie.
Après ces deux visites de terrain, nous avons pu échanger lors d'une table ronde à Angoulême avec une douzaine d'entrepreneurs du département, qui adapte son patrimoine à l'innovation économique.
Parmi les sujets évoqués, ici encore l'inadéquation entre offre et demande d'emplois a été citée comme principal problème au développement des entreprises, notamment industrielles, qui n'arrivent pas à recruter dans un contexte de croissance de leur activité. L'inadéquation entre offre d'emplois et formation a été également déplorée, ce qui n'est bien sûr pas sans lien.
Une raison d'espérer cependant : un entrepreneur a estimé que les problèmes de recrutement dans les secteurs industriels pourraient trouver une solution, au moins partielle, avec « l'usine 4.0 », les évolutions technologiques permettant de rendre moins pénibles un certain nombre de métiers.
Parmi les autres difficultés récurrentes, je peux citer celles posées par les complexités administratives et l'instabilité normative, la difficulté de financement de l'activité par les banques, le manque de business angels, l'absence de fléchage de l'épargne vers l'économie réelle, l'incongruité de la taxation des contrats courts quand de nombreux intérimaires et employés en contrat à durée déterminée (CDD) refusent un contrat à durée indéterminée (CDI)...
Après ces riches échanges, nous sommes partis chez Nayade, société de production de films en images de synthèse, où nous avons été accueillis par Nadia et Yannick Violin, respectivement gérante et directeur de production.
Cette entreprise part des technologies existantes pour développer des films d'animation aux qualités techniques et narratives incontestables, avec des réalisations allant du mapping, aux films d'animation en 3D, en passant par des réalisations en caméra avec « hyperjaillissement » ou des séquences en casques de réalité virtuelle. Je précise que le mapping vidéo est une animation visuelle projetée sur des structures en relief, par exemple un monument historique, telle la façade de l'Hôtel de Ville d'Angoulême à Noël.
Il s'agit véritablement d'un travail d'orfèvre, avec des milliers d'heures de travail pour produire quelques minutes de séquences animées, au réalisme saisissant, comme ont pu le constater nos collègues lors de l'immersion qu'ils ont effectuée au paléolithique.
L'entreprise Nayade a été une des seules entreprises à nous dire ne pas rencontrer de difficultés de recrutement : en effet, l'écosystème existant autour du pôle image d'Angoulême et de ses 12 écoles de formation reconnues à l'international et formant annuellement 1 300 étudiants, permet la constitution d'un vivier disponible et qualifié.
Ce fut un plaisir de faire découvrir la diversité et la robustesse du tissu économique de la Charente à mes collègues de la Délégation aux entreprises.
Je voulais montrer que l'emploi industriel est encore bien présent dans le département, malgré de graves difficultés de recrutement, en inadéquation avec la croissance économique retrouvée et le chômage persistant.
Je tenais également à remercier notre collègue Michel Boutant, sénateur de Charente, qui nous a fait le plaisir de sa présence pendant cette journée.
Je veux enfin témoigner de l'étonnement manifesté par les chefs d'entreprise à chaque fois qu'une délégation sénatoriale leur rend visite, de leur fierté également d'être écouté par les sénateurs, qui souligne que nous restons des élus de terrain. Je vous remercie.