Je veux revenir tout d'abord sur les prémices qui nous conduisent ici aujourd'hui, à savoir la transformation attendue de l'entreprise telle qu'elle a été annoncée d'abord par la ministre de la culture, Françoise Nyssen, puis par le Premier ministre, en juillet 2018, il y a six mois exactement.
Cette transformation se décline sur plusieurs axes :
- celui de la transformation éditoriale, avec la nécessité de refondre les grilles et de redéfinir le bouquet de chaînes linéaires traditionnelles ;
- cela passe aussi par un renforcement de l'information avec France info d'un côté et une refonte des éditions et des magazines, pour plus de culture et d'éducation sur toutes nos antennes qu'elles soient linéaires ou numériques - nous avons d'ailleurs déjà lancé un média social de la culture - et nous devons, avec les autres partenaires de l'audiovisuel public, construire une nouvelle plateforme éducative pour les parents, enfants et professeurs, sur la base de France TV Éducation ;
- le troisième axe concerne l'Europe, avec de l'innovation dans la fiction pour créer des fictions qui s'exportent, notamment chez nos homologues européens du service public. J'ai passé en octobre dernier une alliance avec les télévisions allemande et italienne, la ZDF et la RaÏ, pour coproduire ensemble des fictions qui seront diffusées dans nos pays. Nous avons déjà six projets lancés et cette alliance devrait être prochainement étendue à d'autres pays européens, notamment d'Europe du Nord. Je rappelle en outre le lancement de SALTO, également, pour constituer avec TF1 et M6 une offre de programmes français, sans avoir vocation à rivaliser avec Netflix ;
- le quatrième axe concerne la proximité avec un doublement des programmes régionaux de France 3 mais aussi une offre commune avec France Bleu de Radio France et une présence renforcée des outre-mer, appuyée en premier lieu par les outre-mer.
Lorsque l'on parle des outre-mer à France Télévisions, on a tendance à penser à France Ô car c'est ce que nous voyons dans l'hexagone mais, en réalité, la partie la plus importante ce sont les stations La 1ère. Ces stations, et c'est une particularité, sont à la fois télévision, radio et web. Il n'y a pas eu de séparation entre radio et télévision dans les stations ultramarines et c'est une bonne chose ; les équipes sont plutôt en pointe sur le média global et nous nous en inspirons d'ailleurs pour réaliser la plus forte régionalisation de France 3, d'une part, et l'évolution des métiers, d'autre part. Nous avons également une transformation technologique. Même si les chaînes de télévision sont encore très puissantes, on perd de plus en plus de téléspectateurs, notamment chez les plus jeunes. Jusque-là, on avait une durée de présence devant la télévision relativement stable, autour de 3 h 40 par jour pour un citoyen moyen de plus de 4 ans. En 2018, pour la première fois, cette durée a baissé : on perd ainsi 6 minutes en moyenne et 15 minutes chez les plus jeunes. L'attirance des réseaux sociaux, de Youtube, d'internet au sens large, fait que ces réseaux et plateformes numériques sont désormais nos premiers concurrents et prendront désormais une place de plus en plus importante dans l'attention des jeunes publics, mais pas seulement eux. C'est cette révolution qu'il faut préparer. Dans cet esprit, le Gouvernement a décidé l'arrêt de la diffusion hertzienne de France 4 et de France Ô, avec une bascule numérique sur ces deux sujets : créer à la fois une plateforme numérique pour les enfants de moins de 13 ans pour suppléer l'arrêt de la télévision traditionnelle et, dans le même esprit pour France Ô, mettre en place une plateforme numérique pour rendre plus accessible que ça ne l'est aujourd'hui et plus puissante surtout la visibilité sur le numérique, dans l'hexagone, de ce qui se fait dans nos stations ultramarines. Cela s'accompagne d'un doublement du budget numérique d'ici à 2022 mais aussi de nouveaux moyens de production - produire des fictions numériques d'abord ou des documentaires, ce sont des manières plus légères de produire que les manières traditionnelles, qu'il faut que l'on s'approprie. Cela nécessite une évolution des droits de diffusion, que nous avons aujourd'hui uniquement sur les antennes traditionnelles. C'est pourquoi j'ai récemment annoncé que nous avions conclu un accord avec les syndicats de producteurs pour avoir désormais - ce que la loi de 1986 ne nous permettait pas jusque-là - des droits numériques au même titre que nous avons aujourd'hui les droits de diffusion linéaire. Cela devra trouver une conclusion à un moment ou un autre dans la loi audiovisuelle mais il fallait, en attendant, que nous puissions commencer à investir le numérique.
Il y a évidemment la transformation de l'entreprise. Vous l'avez vu, j'ai annoncé le début d'une négociation pour une rupture conventionnelle collective afin d'abaisser les effectifs de l'entreprise d'un peu plus de 10 % à un horizon de 4 ans. Il n'est possible de fonctionner avec 10 % d'effectifs en moins que si l'on simplifie beaucoup notre façon de travailler, si l'on numérise nos processus internes, si l'on allège les structures d'encadrement, si l'on arrive à repositionner nos équipes sur de nouveaux métiers du numérique. Nous renégocierons, après rupture conventionnelle collective, l'accord collectif qui régit l'organisation et le temps de travail. Tout cela a pour but de faire des économies supplémentaires par rapport à ce qui nous a été demandé ces dernières années puisque l'on devra faire face à un retrait de la ressource publique de 160 millions par rapport à 2018, ce qui implique - c'est en net, alors que nous avons les glissements salariaux et 100 millions d'euros à mettre sur le numérique - un effort pour l'entreprise d'à peu près 400 millions d'euros.
La méthode que nous avons retenue pour transformer l'entreprise a été de consulter d'abord les publics. Nous avons lancé avec Radio France une grande consultation appelée « Ma télé demain / Ma radio demain », qui a recueilli un grand nombre de contributions : 127 000 entre le 8 octobre et le 4 novembre, soit au-delà de nos espérances - nous nous étions fixé un objectif de 100 000, largement dépassé. Nous avions découpé cette consultation en plusieurs blocs, libre à chaque contributeur de répondre à son choix. Comme nous savions qu'il y avait une problématique sur la représentation des outre-mer dans l'hexagone, nous avons consacré un bloc spécifique à l'outre-mer. Nous allons dévoiler les résultats avec Radio France début février. Il y avait des questions fermées - vite exploitables -, mais aussi beaucoup de questions ouvertes qui requièrent un travail d'analyse sémantique pour comprendre ce qui est dit à travers ces réponses.
Pour les salariés, des ateliers ont démarré. D'une part, pour redéfinir la place de l'outre-mer dans la nouvelle organisation du secteur des antennes et les programmes, qui est un secteur de l'entreprise qui s'est réorganisé depuis le début du mois de janvier. D'autre part, pour reconfigurer le bouquet, puisque l'on va passer de six chaînes à quatre chaînes : il ne s'agit pas de dire que l'on en supprime deux et que les autres restent intactes, il va falloir complètement repenser le bouquet dans son ensemble pour mieux prendre en compte dans les chaînes restantes à la fois l'offre jeunesse et l'offre ultramarine. Enfin, définir la nouvelle ambition numérique du groupe, en particulier pour la jeunesse et les outre-mer. Nous travaillons évidemment également avec les élus au travers des groupes de travail parlementaires pour élaborer des indicateurs de suivi de cette transformation, avec l'entreprise et les ministères concernés. La transformation d'une entreprise est un travail de longue haleine et j'imagine que nous aurons des points d'avancement réguliers.
Il y aura enfin, comme toujours à France Télévisions, un bilan annuel des efforts et de leurs résultats.
Je voudrais tout d'abord faire un état des lieux de France Ô et la délégation sénatoriale était hier sur le site de Malakoff. France Ô est redevenue une chaîne centrée sur l'outre-mer depuis 2015. Sous le mandat de mon prédécesseur, France Ô avait quelque peu changé d'objet et était devenue une chaîne de la diversité, cette terminologie étant peu explicite, et je dois dire que cela fâchait nos collègues ultramarins qui s'interrogeaient sur la définition à donner à ce mot. Quand je suis arrivée, j'ai fait le pari de dire que France Ô était la chaîne des outre-mer et non de la diversité et qu'il fallait recentrer France Ô sur sa vocation première. J'ai créé également un pôle outre-mer au sein du comité exécutif, dirigé par Wallès Kotra et qui regroupe à la fois l'ensemble des stations ultramarines et la chaîne France Ô.
Plus de la moitié de la grille de France Ô est aujourd'hui dédiée à l'outre-mer, contre un tiers en 2015 : on a vu en effet progresser la place de l'outre-mer sur France Ô. Beaucoup de programmes sont notamment produits ou coproduits avec les chaînes La 1ère, soit 20 % de la grille en 2017 contre 15 % en 2015. Là aussi, la fonction de « tête de réseau » des équipes que vous avez pu rencontrer se traduit par une augmentation des programmes coproduits avec les stations ; certains sont cités dans le document que nous vous remettons aujourd'hui et il y en a un certain nombre.
On a recentré France Ô sur les outre-mer mais c'est une chaîne dont l'audience est assez faible, il faut le dire. On a continué à faire de France Ô un soutien aux productions locales - pièces de théâtre, captations de concerts, compétitions sportives. Nous sommes assez fiers d'avoir pu obtenir la coupe du monde de football pour nos stations ultramarines ce que, dans l'hexagone, nous ne pouvions faire puisque c'est TF1 qui a obtenu les droits de diffusion. Les programmes n'ont jamais permis de dépasser une audience moyenne de 0,8 %, la part d'audience étant en baisse avec le recentrage sur les outre-mer. Il faut également le dire, les programmes les plus fédérateurs ne sont pas ultramarins : c'est « James Bond contre Dr No » et un certain nombre d'autres, notamment des fictions - soap et sitcoms. A contrario, les programmes qui sont vraiment ultramarins ont moins de succès : « Passion outre-mer » c'est 287 000 téléspectateurs - pas rien, mais pas non plus colossal... - et les « Témoins d'outre-mer », dont nous sommes assez fiers, représente 36 000 téléspectateurs.
J'en viens à l'information et aux programmes des autres chaînes nationales. On a une offre d'information pour laquelle le reproche nous était souvent fait de ne parler des outre-mer qu'en cas de catastrophe climatique ou de crise sociale particulière, mais jamais comme on parlerait de n'importe quelle région française, à l'occasion des grandes enquêtes ou des sujets d'investigation particuliers. Néanmoins, un premier tournant a été pris en 2016 avec France info puisqu'avec cette toute nouvelle chaîne on a considéré qu'il fallait relayer aussi bien l'information nationale que l'information des régions et en particulier des outre-mer. Ce sont les équipes de Malakoff qui construisent les programmes quotidiens parlant des outre-mer sur France info, sur la chaîne mais aussi le numérique, qui est très puissant puisque c'est la première offre d'information numérique en France. Nous avons également mis en place un comptage des sujets qui parlent spécifiquement des outre-mer présents dans les grandes éditions de France 2 et France 3, en précisant leur nature.
Sur les programmes autres que l'information, on a recensé une demi-douzaine de premières parties de soirée consacrées aux outre-mer. On compte des documentaires mais aussi des fictions, comme « Meurtres en Martinique » ou la très belle fiction « Le rêve français » diffusée l'année dernière. Nous nous étions engagés à faire un comptage, un bilan pour voir ensuite la progression qui sera la nôtre.
Sur le numérique, tout est à construire. Comme je le disais, les stations La 1ère sont tout à fait pionnières dans le média global radio-télé-web : les journalistes radio travaillent de concert avec les journalistes de télévision et assurent ensemble la présence sur les sites internet, qui fonctionnent bien. Ils sont aussi pionniers car il y a dans les stations ultramarines une forme de polyvalence et polycompétence qui n'existe pas dans l'hexagone aujourd'hui : il y a une vraie avancée de pratiques professionnelles dans les outre-mer. Quelques chiffres : les sites des chaînes La 1ère ont atteint plus de 48 millions de visites en 2018, ce qui marque une progression très nette par rapport à 2017. Il en va de même pour les « fans » sur Facebook. Il y a enfin une contribution très vertueuse de l'information ultramarine sur France info et l'identité même de la chaîne.
Nous avons néanmoins une ergonomie perfectible pour les internautes qui se plaignent régulièrement de ne pas pouvoir accéder à certains programmes ultramarins, la diffusion s'interrompant et affichant un écran noir. On se heurte ici à une difficulté qui est celle des droits. Nous avons parfois des droits dans les stations ultramarines que nous n'avons pas dans l'hexagone : c'est typiquement le cas, classique, du sport, mais aussi de certaines fictions. C'est une difficulté objective, exogène à notre organisation mais qu'il faut que nous arrivions à traiter. Nous avons un écosystème numérique qui n'est pas assez fort et doit être amélioré : cela vaut pour l'ensemble de l'offre de France Télévisions, et en particulier pour l'offre ultramarine.
Les attentes gouvernementales telles qu'elles ont été exprimées sont retracées dans le document dont vous disposez : il s'agit du communiqué de presse du Premier ministre qui tient lieu pour nous de feuille de route. Comment l'avons-nous traduite ? Nous avons premièrement besoin d'un réflexe outre-mer dans le traitement de l'information. Il ne faut pas uniquement aller interroger - je caricature à dessein - la mère d'élèves du 15e arrondissement de Paris à la rentrée des classes, mais penser à élargir le champ d'investigation, à parler de ce qu'il se passe dans les différentes régions de France, dans les banlieues et aussi dans les différents pays ultramarins qui n'ont pas forcément les mêmes contraintes et les mêmes sujets. Nous avons mesuré ce qu'il s'est passé sur nos différentes chaînes de septembre à fin décembre : au total, nous comptons 154 sujets ou duplex diffusés dans les grandes éditions de France 2. 42, plus contextuels, étaient en lien avec une actualité spécifique : d'une part, une actualité politique majeure avec le référendum en Nouvelle-Calédonie et, d'autre part, la crise des gilets jaunes avec le cas particulier de La Réunion. 112 sont sans lien particulier avec cette actualité spécifique. Depuis septembre, nous avons systématiquement au sein des conférences de rédaction, où se construisent les différentes éditions, un coordinateur des outre-mer qui permet de faire exister bien davantage les sujets spécifiques ou communs entre Paris, l'hexagone et les outre-mer ; cela aide beaucoup les conférences de rédaction à s'ouvrir à d'autres sujets et façons d'aborder les problèmes. C'est grâce à cela que nous avons pu faire des reportages sur des événements qui ne sont ni des catastrophes climatiques ni des conflits sociaux : la rentrée des classes, j'en parlais, ou bien Halloween.
Sur France 3, on a 110 sujets ou duplex diffusés. À titre de comparaison, sur la même période, on a traité 25 sujets sur la Corse et 110 sur la région Occitanie.
Avec 180 sujets, France info s'impose comme la seule chaîne qui intègre pleinement les outre-mer, et c'est normal puisque nous l'avions conçue ainsi dès le départ et nous allons continuer. Il est vrai que c'est un moteur très puissant sur le numérique ; cela permet aussi de faire éclore l'accès à l'information via le numérique sur les chaînes La 1ère. Au-delà de ces chiffres, il y la volonté et les liens que l'on tisse avec les hommes. Pour préparer la couverture du référendum en Nouvelle-Calédonie, Wallès Kotra a emmené le patron de l'information de France Télévisions en Nouvelle-Calédonie pour qu'il comprenne sur place l'importance de ce qui se jouait. À son retour, celui-ci a relayé le caractère majeur du sujet et donné une impulsion très positive pour que la rédaction nationale, à la fois de France 2 et France 3 fusionnées - traitent finement ce sujet complexe. Cela a permis de ne pas être dans l'information pure mais de fournir, en s'appuyant sur l'expertise de leurs collègues de Nouvelle-Calédonie, un décryptage et une contextualisation. Nous avons fait de même sur un tout autre sujet qu'est la Route du Rhum, entre France 3 et certaines de nos stations. Là aussi, cela permet de tisser des liens, d'apprendre à se faire confiance, ce qui n'était pas jusque-là fréquent dans notre entreprise.