Intervention de Delphine Ernotte-Cunci

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 22 janvier 2019 : 1ère réunion
Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public — Audition de Mme Delphine Ernotte-cunci présidente de france télévisions

Delphine Ernotte-Cunci, présidente de France Télévisions :

J'entends vos propos et votre préambule était assez clair. Je tiens à redire ici qu'en tant que présidente de France Télévisions, pas plus que mes prédécesseurs je n'autodétermine les missions et les COM qui nous sont confiés. Vous évoquez un COM 2011-2015 auquel je n'ai pas pu contribuer : j'ai été nommée en 2015 et aucun de nous trois aujourd'hui n'était en poste à cette date. Je vais répondre par une petite pirouette : peut-être que l'entreprise n'a pas répondu au cahier des charges mais l'État non plus. Les financements prévus au COM 2011-2015 n'ont jamais été versés comme ils l'auraient dû. Nous avons peut-être un problème global : l'entreprise ne tient pas sa part mais on peut dire que le COM n'a été respecté ni d'un côté, ni de l'autre. Quant au COM suivant, c'est exactement la même chose. C'est sans doute ici un problème de gouvernance plus large.

Sur la visibilité des outre-mer, je rejoins globalement ce que vous dites. Vous avez raison et c'est d'ailleurs ce constat qui nous pousse à changer nos pratiques, à la fois à mesurer, à objectiver les choses mais aussi à entraîner par des liens beaucoup plus forts entre les hommes, sur la base d'une confiance qui n'existait pas jusque-là entre les journalistes de la rédaction nationale et les journalistes des stations ultramarines. Il faut bien voir que France Télévisions est une entreprise qui s'est construite par fusion de plusieurs entreprises : France 2, puis France 3, puis RFO. En réalité, la greffe, d'une certaine manière, n'a jamais vraiment été réalisée. Et cet ostracisme à l'égard des sujets ultramarins comme des sujets régionaux, que l'on peut légitimement ressentir, est un peu la maladie endémique de cette maison. Ce manque de confiance que nous essayons de corriger a toujours existé et pas seulement entre les rédactions nationales et les outre-mer. Dans tous les secteurs de la maison, nous sommes dans une configuration de silos qui ne communiquent pas.

Vous preniez comme exemple, madame la sénatrice, le fait que l'on n'annonce pas les programmes de France Ô depuis les autres chaînes. Cette annonce qui précède la première partie de soirée a été un combat incroyable, pour France Ô comme les autres. Cela est très récent : il était inimaginable il y a encore quelques temps que France 2 annonce les programmes d'une autre chaîne. C'est cette transversalité, le fait de sentir que nous oeuvrons pour le même objectif que nous sommes en train de construire dans l'ensemble de cette maison.

Vous le disiez, nous ne restituions pas assez bien l'information. C'est vrai, je ne peux pas dire autre chose. C'est pour cela que nous avons commencé à mesurer et que nous allons continuer afin d'objectiver. La mesure ne fait pas tout : on voit bien qu'à l'occasion d'une catastrophe naturelle on peut avoir beaucoup de sujets et cela ne répond pas à l'objectif qui est de parler des outre-mer en dehors des grands événements. Vous citiez Maryse Condé : c'est vrai que l'on n'en a peut-être pas parlé dans le journal mais François Bunuel l'a interviewée dans la seule émission sur les livres en Europe, en première partie de soirée, dans « La grande librairie ». Ce n'est pas parfait, mais ce n'est pas rien non plus... Cela est venu en plus de la soirée spéciale sur France Ô.

Vous m'interrogiez sur les aspects financiers. France Ô coûte aujourd'hui 25 millions d'euros, dont 10 millions qui sont en réalité partagés avec les stations ultramarines. Quand nous disons que nous maintenons les 10 millions d'euros, il s'agit de cette partie dédiée aux coproductions avec les chaînes ultramarines. Nous allons investir sur le numérique 15 millions. Cette somme est très réduite au regard des efforts demandés à l'entreprise. Ce que je veux dire par là, c'est qu'au fond, ce n'est pas l'arrêt de France 4 ni de France Ô qui va régler la question des efforts nécessaires de l'entreprise pour rentrer dans l'épure budgétaire.

Pour ce qui est du fond, il m'appartient de mettre en musique ce que l'État actionnaire a décidé, mais il y a aussi ce que je vois dans les autres pays européens. J'ai pris depuis le 1er janvier des responsabilités au sein de l'Union européenne de radio (UER) et cela me donne une ouverture sur ce qu'il se passe dans les autres services publics européens et me permet de voir comment ceux-ci ont évolué et sont parfois « en avance » sur nous mais au mauvais sens du terme. Je prends l'exemple des pays du nord de l'Europe : le premier média en Suède est Netflix, loin devant la SVT qui est pourtant une télévision publique plébiscitée par ses citoyens. Il en va de même en Norvège : l'entreprise préférée des Norvégiens est leur télévision publique et, pourtant, elle est de plus en plus bousculée par les plateformes américaines. C'est un phénomène qui dépasse les services publics. Toutes ces entreprises - et nous le sommes aussi - sont obligées de faire des choix drastiques sur leurs chaînes traditionnelles qui vont être amenées pour certaines d'entre elles à disparaître afin de pouvoir investir sur le numérique. C'est un phénomène qui n'est pas proprement français. Tout le monde s'interroge : quand nous avons demandé à la patronne de la télévision suédoise combien de chaînes de télévision il lui resterait, elle considérait qu'une seule avait un avenir certain.

Cela n'est pas forcément négatif mais prend acte du fait que de plus en plus de gens - les jeunes, c'est certain, mais pas que les jeunes - considèrent qu'ils ont le choix entre une télévision publique programmée à heure fixe et un catalogue exceptionnel de programmes - Netflix, Amazon Prime video, demain des offres chinoises - ; ils arbitrent entre ces choix et vont de plus en plus vers les programmes américains. On peut considérer que, si c'est au bénéfice des consommateurs et téléspectateurs, tant mieux... Mais il y a un problème : si demain il n'y a plus que des programmes américains et chinois regardés par nos concitoyens, serons-nous encore complètement français ? Il y a un besoin de soutenir et maintenir cette culture française.

Je comprends que vous puissiez trouver cette décision difficile mais, sans parler de France Ô ou France 4 en particulier, la réduction du nombre de chaînes en linéaire pour pouvoir avoir les moyens d'investir sur le numérique se voit partout en Europe. Je pense que c'est une nécessité car notre financement baisse et que nous devons nous adapter aux nouveaux usages.

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