Je voudrais revenir sur une question à laquelle je n'ai pas répondu tout à l'heure et qui fait écho à ce que disait Victorin Lurel. Il faut certes sortir du diktat de l'audience à tout prix. Mais il est impensable d'entretenir une chaîne de télévision publique regardée par moins de 2 % des Français. On ne peut pas consacrer autant d'argent à travers la redevance, lever autant d'impôt, pour ne concerner que 2 % des Français. Je ne parle pas ici des stations ultramarines dont les audiences sont très bonnes et dont nous sommes très fiers. Quant à France info, on ne peut pas comparer France Ô à cette chaîne qui a seulement deux ans et dont les audiences progressent. L'audience de France Ô n'atteint d'ailleurs plus 0,8 %, elle a encore baissé, mais nous ne sommes pas là pour une bataille de chiffres.
Par ailleurs, nous ne faisons pas la course à l'audience. Quand le jeudi soir nous avons un magazine d'information comme sur le glyphosate la semaine dernière, ce n'est pas pour faire de l'audience. Quand nous avons sur France 3 l'autre jour un documentaire sur les enfants placés, qui a fait beaucoup parler, ce n'est pas une formidable audience. Quand on relance « Le grand échiquier » - il y a eu 2 millions de téléspectateurs - on est très content avec ce chiffre mais on est très en deçà des barèmes de la chaîne : peu importe. Je pense que ce n'est ni le diktat de l'audience - et nous savons délibérément sur certains sujets que nous n'atteindrons pas les standards de la chaîne, mais ce n'est pas grave à condition que ce soient des sujets de service public -, mais, en même temps, on ne peut pas dire que l'on fasse fi de l'audience moyenne. Si l'on ne parle à personne, nous n'avons plus d'utilité. Ce qui justifie l'utilité sociale du service, ce sont ceux qui nous regardent, soit sur la télévision soit sur le numérique.
Nous sommes par ailleurs entrés dans un monde où nous ne sommes plus obligatoires. On raisonne parfois encore en se disant qu'en mettant un programme sur une chaîne il sera regardé : non. Les gens hésitent aujourd'hui entre la télévision, les réseaux sociaux, Netflix, Youtube, Amazon Prime. Ils ne sont plus tributaires de ce qu'il se passe à la télévision comme autrefois quand nous avions une, deux ou trois chaînes. Nous sommes dans un monde totalement concurrentiel. La part de temps que nous occupons dans l'imaginaire et dans la vie de nos concitoyens est là très importante.
La question des taux d'audience ne doit pas être omniprésente mais il faut un public. Nous allons sans doute changer les critères : l'audience instantanée ne veut pas dire grand chose, nous regardons ce que nous appelons la couverture. Il faut savoir qui l'on atteint en France chaque semaine par catégorie de population, par exemple les jeunes. On touche aujourd'hui 70 % de téléspectateurs toutes les semaines, 90 % tous les mois, 50 % tous les jours. Comment arrive-t-on à progresser ? Comment peut-on s'assurer que l'on touche autant les 15-25 ans que les 65-80 ans ? Cela nous préoccupe beaucoup : c'est le fondement de notre légitimité.
Le fait que l'audience de France info baisse est un sujet et cela veut dire que ce n'est peut-être pas le bon moyen de s'adresser aux jeunes notamment. C'est vrai pour France info, c'est vrai sur les autres chaînes. C'est pour cela qu'il faut que nous investissions sur le numérique. Ce n'est pas simplement parce que c'est la mode.
Vous parliez de la ligne éditoriale, qui est essentielle évidemment. Ce que nous disons, c'est que puisque nous avons changé d'univers, puisque nous ne sommes plus dans un monde où l'on émet et où l'on est regardé car il n'y a pas le choix, il faut répondre aux attentes des téléspectateurs. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé cette grande enquête. Que nous disent-ils ? L'information est très importante, avec une demande de lutte contre les fake news. La culture, au sens de connaissance, est importante sur le service public, avec du documentaire historique, sérieux, d'actualité. Le divertissement, il faut être lucide : la télévision reste un divertissement nécessaire. La fiction, enfin, la fiction française en particulier recueille l'adhésion du plus grand nombre et on le voit à la fois sur les chaînes linéaires et sur le numérique.
La ligne éditoriale doit être assez complète : il ne s'agit pas d'exclure un genre mais de voir plutôt la façon de concevoir ce genre. Sur le service public, que ce soit un jeu, un divertissement, une fiction ou un documentaire, il faut apprendre quelque chose. Il ne faut pas bannir un genre réputé moins noble, il faut une manière de l'exercer qui doit être la spécificité du service public.
Nous avons néanmoins renforcé la culture et la connaissance sur nos chaînes. J'évoquais de grands sujets et documentaires, comme « L'histoire d'une nation », qui ne sont pas des programmes qui feront des dizaines de millions de téléspectateurs mais qui sont des programmes importants, utilisés ensuite par les collèges et les lycées ; ils ont une deuxième vie grâce à l'éducation nationale et France TV éducation - nous faisons des master classes à partir de ces outils.
Il ne m'appartient pas en tant que présidente de France Télévisions de prendre les décisions sur ce que doit être la vision du service public. Il m'appartient en revanche de mettre en oeuvre de façon intelligente et de veiller à une bonne concordance entre les attentes et les moyens. Souvent, on ajoute des attentes et on enlève des moyens et là, je dois le dire, je pense que nous avons atteint une limite.
Vous en parliez, l'accompagnement des salariés est ma première préoccupation. Il ne s'agit pas des salariés qui vont partir - ce n'est que sur la base du volontariat - mais de ceux qui vont rester. Comment fait-on avec -20 % de salariés en 10 ans pour exercer nos métiers ? Peu d'entreprises publiques ont connu cela. Par chance, il y a une évolution technologique et des méthodes de travail qui font que l'on peut produire de manière beaucoup plus légère que par le passé : c'est cela qu'il faut que nous nous appropriions. Il y a par ailleurs une polycompétence qui existe ici ou là, notamment dans les stations ultramarines mais aussi sur France info ou sur la chaîne NOA, qu'il faut que nous partagions plus largement. Il y a enfin trop de fonctions supports et trop de management.
C'est avec ces trois conditions-là : qu'on embrasse les nouvelles technologies - que l'on numérise au maximum les processus pour simplifier -, que l'on installe de vrais parcours professionnalisant avec de la formation et des mobilités et enfin que l'on réduise tout ce qui est superfétatoire et permette d'avoir une organisation plus légère, plus réactive mais aussi plus responsabilisante. Cela n'est pas facile, surtout que nous avons 4 ans pour atteindre l'objectif, mais cela est faisable. Il faut en revanche une forme de pérennité dans l'action et une constance, pas de revirements tous les six mois. Une entreprise se pilote comme un paquebot. Il y a besoin aussi de discuter avec les salariés et organisations syndicales et il faut pouvoir compter sur un soutien de l'ensemble de la sphère publique, notre actionnaire, avec un cap qui ne varie pas afin de pouvoir avancer sereinement, sinon nous n'y arriverons pas.
Concernant Malakoff, j'apprends une rumeur sur la cité du cinéma... elle n'est pas arrivée jusqu'à moi. Il n'y a aucun projet à cet endroit et il n'y a aucun projet de fermeture de Malakoff, aucun.