Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 11 juillet 2019 à 14h30
Orientation des finances publiques règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2018 — Débat puis discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Bruno Le Maire :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver – c’est désormais la troisième fois – pour ce débat d’orientation sur les finances publiques, qui nous donne l’occasion, à Gérald Darmanin et moi-même, de présenter les grandes orientations économiques et budgétaires du Gouvernement.

Permettez-moi tout d’abord de faire un point sur la situation économique de la France.

La croissance française reste solide malgré un ralentissement marqué et préoccupant de la croissance mondiale, lié en particulier aux tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine.

À ce stade, nous estimons notre croissance à 1, 4 % en 2019, contre 1, 3 % pour la zone euro et 0, 8 % en Allemagne. Ces prévisions sont proches de celles des principaux instituts de conjoncture, ce qui confirme la sincérité à laquelle Gérald Darmanin et moi-même sommes attachés.

Le niveau de chômage est au plus bas depuis 2009. Nous avons créé plus de 500 000 emplois depuis 2017, dont 26 000 dans le secteur industriel, un chiffre auquel j’attache beaucoup d’importance. C’est en effet la première fois depuis quinze ans que nous recréons des emplois dans ce secteur, et nous sommes totalement déterminés à accélérer le mouvement dans cette direction.

La conjoncture économique est inédite. Elle ouvre un cycle nouveau dans lequel l’inflation faible se conjugue avec une croissance mondiale faible et des taux d’intérêt durablement bas, voire même négatifs sur le court et moyen terme. Je veux faire quelques remarques à cet égard.

Tout le monde me dit que cette situation est bonne pour la dette française et pour la charge de la dette. Je rappelle néanmoins que la charge de la dette reste de l’ordre de 35 milliards d’euros par an, et qu’il faut payer cette somme. Cela étant, une croissance plus faible entraîne forcément une réduction des recettes fiscales, laquelle l’emporte sur la réduction de la charge de la dette. Par conséquent, il n’y a pas de cagnotte budgétaire liée à la diminution des taux d’intérêt.

Des débats s’ouvrent par ailleurs sur l’opportunité d’un endettement supplémentaire. Certains économistes, comme Olivier Blanchard, estiment qu’avec ces taux d’intérêt plus faibles, voire négatifs, ce serait le moment d’aller vers plus d’endettement.

Si ce raisonnement peut être valable pour certains États, j’estime qu’il ne s’applique pas à un État comme la France, qui a vu sa dette publique augmenter de 30 points entre 2007 et 2017. Je rappelle que notre dette publique avoisine maintenant les 100 % de notre produit intérieur brut et que notre dépense publique est la plus importante de tous les pays de l’OCDE.

J’ai eu l’occasion de dire à plusieurs reprises que la dette était un poison lent ; c’est sans doute un poison de plus en plus lent, mais cela reste toujours un poison. Nous sommes donc totalement déterminés à poursuivre le rétablissement de nos finances publiques et à réduire la dette française, même si nous assumons un niveau et un rythme de réduction plus lent, compte tenu de la situation conjoncturelle que je viens de décrire.

Quels sont, dès lors, nos choix de politique économique ?

Tout d’abord, c’est sur la politique de l’offre que le Président de la République a été élu en 2017, avec comme objectif d’avoir plus d’investissements, plus d’innovation, plus d’emplois. Le chef de l’État a confirmé, en avril dernier, qu’elle serait maintenue.

Cette politique se traduit notamment par des choix fiscaux qui allègent la fiscalité sur les entreprises. La bascule du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, en allégement de charges pérennes en 2019, pour 20 milliards d’euros, en est un premier signal très clair.

Le deuxième signal, c’est la baisse de l’impôt sur les sociétés pour toutes les entreprises. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner ce matin à cette même tribune, le taux de cet impôt sera porté pour toutes les entreprises, sans exception, à 25 % d’ici à 2022 et il baissera pour toutes les entreprises, sans exception, dès 2020. Pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros, le taux passera de 33, 3 % à 31 %. Pour les autres, la baisse, déjà entamée, se poursuivra, puisque le taux passera de 31 % à 28 %.

Nous demandons un effort aux entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros, mais elles bénéficieront elles aussi, dès 2020, de la diminution de l’impôt sur les sociétés.

Si nous sommes attachés à cette baisse et au cap des 25 % en 2022, c’est tout simplement parce que cette mesure permet à nos entreprises de dégager plus de profitabilité pour investir, innover, créer des emplois et gagner la bataille technologique, clé absolue du XXIe siècle, mais également parce qu’elle rend notre pays plus attractif pour les investissements étrangers, lesquels sont créateurs d’emplois – vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs, les mieux placés pour savoir que les investissements étrangers, notamment dans le secteur industriel, ce sont des emplois et de l’activité pour nos territoires.

Aujourd’hui, la France est devenue le pays le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe. Nous devons nous en réjouir et ne surtout pas changer de cap.

Au total, les impôts baisseront de 13 milliards d’euros pour nos entreprises sur le quinquennat.

Vous connaissez par ailleurs ma conviction quant à la poursuite de la réflexion que nous avons engagée ensemble au moment de l’adoption de la loi Pacte sur les impôts de production, qui, je le rappelle, sont beaucoup plus élevés en France que chez nos partenaires européens, et qui pénalisent en particulier les entreprises industrielles. Le pacte productif dont le Premier ministre et le Président de la République m’ont confié la mise en œuvre sera l’occasion de faire des propositions sur le long terme sur les impôts de production.

Nous disposons déjà des travaux très solides du Conseil d’analyse économique et des députés Sacha Houlié et Pierre Person, qui nous ouvrent une voie. Je précise juste que je ne suis pas convaincu par un financement qui reposerait sur une remise en cause des allégements de charges, et donc une hausse du coût du travail. Je crois à la stabilité pour les entreprises et nous devons donc, me semble-t-il, travailler sur d’autres modalités de financement.

Notre second choix économique, après la politique de l’offre, c’est la rémunération du travail. Le travail doit payer, et il doit payer mieux. La crise des gilets jaunes est pour moi une crise du travail, une crise de la rémunération du travail, une crise de la reconnaissance du travail, une crise de la considération qui est donnée par le travail.

Nous allons donc poursuivre la politique visant à mieux rémunérer les personnes qui travaillent, l’un des fils rouges du quinquennat. Nous allons notamment baisser les impôts des personnes qui ont un emploi.

Comme vous le savez, nous avons déjà décidé de revaloriser la prime d’activité, de mettre en place une prime de fin d’année défiscalisée, de rétablir la défiscalisation des heures supplémentaires et de supprimer toute taxe sur l’intéressement pour développer massivement l’intéressement dans les années qui viennent. La diminution de 5 milliards d’euros, pour 17 millions de Français, dès le 1er janvier 2020, de l’impôt sur le revenu s’inscrit exactement dans la même philosophie : le travail doit payer et les personnes qui ont un emploi doivent pouvoir vivre dignement de leur activité.

Au total, ce sont 27 milliards d’euros d’impôts en moins pour les ménages sur l’ensemble du quinquennat, lesquels s’ajoutent aux 13 milliards d’euros de baisses d’impôts pour les entreprises, soit 40 milliards d’euros de diminutions d’impôts sur la durée du quinquennat. C’est l’une des baisses les plus importantes des dernières années, qui nous permet de rompre avec dix ans d’augmentation massive de la pression fiscale sur les entreprises comme sur les ménages.

Quelles sont les conséquences en termes de finances publiques des choix que Gérald Darmanin et moi-même nous vous proposons ? Le rétablissement des finances publiques reste notre objectif et notre ligne stratégique.

Le désendettement de la France, dont je viens de parler, est une nécessité à la fois pour notre bonne santé économique et pour notre indépendance politique de long terme.

Le déficit public continuera de baisser. Il passera de 2, 3 % hors CICE cette année à 2, 1 % en 2020, soit nettement sous la barre des 3 %, que nous respectons depuis le début du quinquennat.

La baisse de l’impôt sur le revenu en 2020 sera en partie financée par une diminution des niches fiscales sur les entreprises, conformément à la mission qui m’avait été confiée par le Président de la République et le Premier ministre.

Trois niches fiscales principales vont être concernées : le gazole non routier, le mécénat et le crédit d’impôt recherche.

S’agissant du gazole non routier, ce choix est évidemment cohérent avec notre volonté d’accélérer la transition énergétique de la France et de moins dépendre des énergies fossiles, ce qui est à la fois économiquement coûteux et de nature à porter atteinte à notre indépendance politique et stratégique. Nous avions déjà abordé ensemble, dans cette enceinte même, cette question de la remise en cause de la niche sur le gazole non routier. Notre méthode n’était sans doute pas la bonne, je le reconnais bien volontiers. Elle était trop brutale, trop rapide et pas assez concertée avec les acteurs du bâtiment et des travaux publics, les premiers concernés par cette mesure.

Nous proposons aujourd’hui une baisse de cet avantage fiscal qui a été préparée en concertation étroite avec l’ensemble des professionnels concernés, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics et du terrassement.

Gérald Darmanin et moi-même avons demandé à l’inspection générale des finances et au conseil général de l’économie d’évaluer, secteur par secteur, l’incidence de cette baisse.

Le tarif réduit du gazole non routier sera supprimé en trois ans, et non en une seule fois. À la demande des professionnels, la première hausse interviendra non pas au 1er janvier 2020, mais au 1er juillet 2020, ce qui laisse un an aux acteurs concernés pour s’adapter à cette augmentation. Ni les agriculteurs ni le transport ferroviaire ne seront touchés par cette suppression du tarif réduit.

Je le redis, ce changement sera progressif sur trois ans – dans la version initiale, il s’opérait en une seule année. Il ne touchera que certains secteurs et n’interviendra, à la demande des professionnels, qu’au 1er juillet 2020, non au 1er janvier, afin de laisser le temps d’adaptation nécessaire.

La suppression de ce tarif réduit permettra de dégager 900 millions d’euros à terme, un peu plus de 200 millions d’euros dès 2020.

Par ailleurs, elle s’accompagnera de mesures de compensation qui ont été discutées avec les professionnels. Ainsi, nous mettrons en place une clause générale de révision des prix sur les contrats publics et privés et des mesures d’incitation financière sous forme de suramortissement pour acquérir du matériel moins polluant – je pense notamment à l’achat de petites machines de terrassement ou de certains matériels électriques.

Nous instaurerons également des mesures de dérogation pour les industries qui sont les plus exposées à la concurrence internationale, notamment les industries extractives et la manutention portuaire. Les industries extractives seraient trop lourdement pénalisées par une baisse globale de cet avantage fiscal et nous ferons une exception pour la partie immobile de leurs matériels.

Nous élargirons le fonds de compensation de la TVA – le FCTVA – aux travaux de maintenance lourde des réseaux, dont le coût sera pris en charge par l’État – je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous serez particulièrement attentifs à ce sujet.

Deuxième dispositif fiscal : le mécénat.

Le mécénat d’entreprise connaît une croissance extraordinairement dynamique : les dons et le nombre de mécènes sont en nette augmentation. Tant mieux ! Il n’est pas question de fragiliser cette dynamique, mais comme nous y invite le rapport publié l’année dernière par la Cour des comptes, certaines dérives doivent être corrigées. Pour cela, nous suivrons certaines propositions de la Cour des comptes et le ministre de la culture, Franck Riester, et le secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Gabriel Attal, annonceront les modalités précises de la mesure dans quelques semaines, à l’issue des concertations qu’ils conduiront avec les entreprises mécènes et les établissements et associations bénéficiaires.

Troisième niche : le crédit d’impôt recherche, le CIR.

Je vais être très clair : le CIR est un magnifique succès français. Il permet de rendre notre territoire beaucoup plus attractif en termes d’innovation. Grâce à lui, un ingénieur français est, aujourd’hui, deux fois moins cher qu’un ingénieur américain. Il n’est donc en aucun cas question de le remettre en cause ou de toucher à ses grands équilibres.

En revanche, nous pouvons le rendre plus efficace, en suivant les recommandations de Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, et celles de la Cour des comptes.

Ce qui est le moteur de l’innovation, ce sont les ingénieurs et les investissements, beaucoup plus que les dépenses de fonctionnement. La Cour des comptes proposait de ramener le taux qui s’applique aux frais de fonctionnement dans une fourchette comprise entre 40 % et 46 % contre 50 % aujourd’hui. Nous fixerons ce taux à 43 %, ce qui permettra de dégager un rendement de 200 millions d’euros dès 2021.

Au total, le montant des réductions sur les niches fiscales, en incluant une évolution de la déduction forfaitaire spécifique, DFS, dont le ministre de l’action et des comptes publics vous précisera les modalités tout à l’heure, sera de l’ordre de 600 millions d’euros en 2020 et de 1, 4 milliard d’euros à partir de 2021, soit au-dessus de notre cible qui était de 1 milliard.

Enfin, notre vision budgétaire nationale se prolonge naturellement dans une stratégie européenne et internationale de relance de la croissance.

La zone euro n’a pas vocation à vivre durablement avec une croissance faible. Il sera très difficile d’expliquer à nos concitoyens qu’elle est un succès, si la croissance des États-Unis atteint 3, 5 % et celle de la Pologne 5 %, tandis que la zone euro se contente de 1, 2 %. La zone euro a été créée pour garantir la stabilité de notre monnaie et lutter contre l’inflation – elle y parvient d’ailleurs parfaitement. Elle a été créée pour nous permettre de disposer d’une monnaie souveraine capable de rivaliser avec le dollar ou avec la monnaie chinoise – nous sommes en passe d’y arriver. Mais elle a aussi été créée pour apporter à nos compatriotes de la prospérité, des emplois, de l’activité, des industries, des usines !

Il est donc indispensable de réfléchir, en cette période de taux faible et dans l’environnement particulier que je vous ai décrit, à des moyens de relancer la croissance dans la zone euro. J’ai fait une proposition de pacte de croissance que j’ai présentée à plusieurs responsables allemands : mon homologue, M. Scholz, la présidente de la CDU, Mme Kramp-Karrenbauer, le président du patronat, notamment.

Cette proposition me semble équitable, juste et responsable. Elle tient compte de l’environnement monétaire, beaucoup plus favorable, et de la baisse des taux d’intérêt. Elle prévoit d’avancer dans trois directions, en tenant compte des différences de situation qui existent entre les dix-neuf États membres de la zone euro.

Pour certains, la priorité sera le premier pilier : poursuivre les réformes de structure pour gagner en compétitivité et en productivité. C’est en particulier le cas de la France qui avait un retard de compétitivité à combler ; la politique de l’offre que nous menons va dans ce sens comme toutes les réformes que la majorité a engagées depuis 2017 : le marché du travail, la formation, la qualification, la transformation fiscale, ou encore l’indemnisation du chômage.

Le deuxième pilier, c’est le respect des engagements européens. On ne peut pas faire une proposition de pacte de croissance à dix-neuf, si chacun s’exonère de ses responsabilités en matière de finances publiques – je rappelle que chaque pays a fait ce choix en toute souveraineté. Si nous voulons être crédibles, il nous faut respecter les engagements que nous avons souverainement souscrits vis-à-vis de nos partenaires européens.

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