Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce rendez-vous est à la fois une heure de vérité sur l’année écoulée et un moment pour regarder ensemble l’avenir de nos finances publiques.
S’agissant des administrations de sécurité sociale, que je suis plus particulièrement chargé d’examiner, l’année 2018 est plutôt satisfaisante de prime abord.
Le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, s’est, une nouvelle fois, significativement réduit : 1, 2 milliard d’euros « seulement », au lieu de 5, 1 milliards en 2017 et, période pas si lointaine, de 10, 8 milliards en 2015. C’est également mieux que le solde que nous avons voté lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, puisqu’un déficit de 2, 2 milliards d’euros était alors prévu.
En élargissant la perspective à l’ensemble des administrations de sécurité sociale, les ASSO comme l’on dit, l’excédent a augmenté en 2018 pour atteindre 10, 8 milliards d’euros, soit 0, 5 % du PIB.
En citant ces chiffres, qui contrastent avec ce que nous avons pu entendre de la situation financière de l’État, nous pourrions croire que l’objectif tant attendu de retour à l’équilibre de la sécurité sociale est enfin atteint, et que le fameux « trou de la sécu » appartiendra bientôt au passé.
Hélas, je dois tempérer cet optimisme.
Tout d’abord, parce que le résultat de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la Cades, qui correspond au montant de la dette qu’elle a amortie l’année dernière, dépasse à lui tout seul l’excédent global des ASSO. Alors, certes, on peut considérer que, comme le dit l’adage, « qui paye ses dettes s’enrichit », mais, hors Cades, il est plus juste de parler de déficits amoindris que d’excédents dégagés par les ASSO.
Ensuite, parce que l’amélioration des comptes de la sécurité sociale tient avant tout au fort dynamisme des recettes : hausse de 3, 4 % en 2018 pour le régime général et le FSV, à 394, 5 milliards d’euros. Plusieurs facteurs ont joué dans le sens de cette augmentation : en premier lieu, le dynamisme de la masse salariale, celle-ci ayant augmenté de 3, 5 % en 2018, comme en 2017, ce qui a fait croître dans les mêmes proportions, ou presque, l’assiette de la plupart des recettes sociales ; en second lieu, le dynamisme d’autres recettes, comme les prélèvements sur les revenus patrimoniaux et les droits sur le tabac.
En revanche, il faut relever que les dépenses de la sécurité sociale, soit 395, 7 milliards d’euros pour le régime général et le FSV, ont, elles aussi, augmenté davantage que ce que nous avions prévu dans le cadre du PLFSS, et davantage que le PIB. La part des dépenses de la sécurité sociale dans la richesse nationale a donc continué de croître. Ne nous y trompons pas, la question du financement de la protection sociale reste un défi de long terme pour notre pays qu’un solde favorable une année donnée ne saurait masquer.
Les principaux facteurs de croissance des dépenses sont bien connus.
Il s’agit tout d’abord des dépenses maladie, même si l’Ondam a été respecté, au prix de réels efforts. Il s’est établi à 2, 2 %, ce qui n’est pas négligeable en masse financière.
Ensuite, les dépenses de retraite sont reparties à la hausse, à 2, 9 %, sous le double effet de la revalorisation de 0, 8 % des pensions intervenue en octobre 2017 et de la fin des effets du recul progressif de l’âge de départ à la retraite.
À ce propos, messieurs les ministres, pouvez-vous nous dire ce qu’il en est des mesures paramétriques que certains souhaiteraient voir prises lors du prochain PLFSS, avant la réforme systémique ?
Enfin, mon enthousiasme mesuré face à ces chiffres de 2018 tient évidemment aux perspectives de dégradation qui s’annoncent dès cette année. En effet, les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, confirmées par la Cour des comptes, sont pessimistes pour 2019.
Ainsi, la croissance ralentit. La prévision du Gouvernement est désormais de 1, 4 % en 2019, comme en 2020. Dès lors, la croissance de la masse salariale devrait, elle aussi, être moins forte. Dans le même temps, les dépenses poursuivront leur hausse, avec notamment un Ondam légèrement desserré. Ce seul effet croissance suffira à provoquer une légère rechute du « patient sécurité sociale » en 2019, avec un déficit du régime général et du FSV qui se creuserait à 1, 7 milliard d’euros sans mesure nouvelle.
Cette rechute pourrait être beaucoup plus sérieuse en cas d’absence de compensation des mesures d’urgence économiques et sociales prises dans le cadre de la crise des gilets jaunes. Le déficit pourrait alors atteindre 4, 4 milliards d’euros, effaçant presque les gains de 2018 et rendant plus complexes les perspectives de retour à l’équilibre.
Dès lors, messieurs les ministres, je me tourne vers vous. Ce débat s’appelle « débat d’orientation des finances publiques ». Si les mots ont un sens, c’est le bon moment pour nous dire clairement vos intentions sur cette question importante de la compensation des mesures d’urgence. De quelles pertes de recettes pour la sécurité sociale liées à ces mesures proposerez-vous la compensation ou l’absence de compensation ?
De plus, comme nous l’avons déjà évoqué lors de votre audition par la commission des affaires sociales, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, un déficit du régime général et du FSV compromettrait le transfert à la Cades de 15 milliards d’euros de dette actuellement supportés par l’Acoss, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, et, plus généralement, l’objectif de boucher complètement le « trou de la sécurité sociale » d’ici à 2024.
Alors, bien sûr, certains soulignent à quel point il est facile d’emprunter en ce moment pour les émetteurs publics français. C’est vrai : le directeur de l’Acoss nous a dit lui-même que l’Agence, qui peut lever des fonds à taux négatif, allait une nouvelle fois être rémunérée pour emprunter, donc s’enrichir. Mais nous savons bien que céder à cette facilité ne serait pas de bonne politique et qu’il vaudrait mieux avoir traité la question de la dette le jour où les marchés se retourneront.
Dans ces conditions, messieurs les ministres, pensez-vous qu’il sera possible de transférer une partie de la dette sociale actuellement supportée par l’Acoss à la Cades et, si oui, dans quelles conditions juridiques ?
Par ailleurs, comme le Sénat l’avait dit dès l’année dernière, est-il bien raisonnable de mettre en œuvre, à partir de 2020, les réductions successives de la part de TVA dévolue à la sécurité sociale prévues par la loi de finances pour 2019, en préemptant des excédents qui risquent de ne pas exister ? Là encore, ce débat me semble être le bon moment pour prendre une position claire sur cette question.
Pour conclure, mes chers collègues, on pourrait dire que les comptes de la sécurité sociale ont connu une rémission en 2018. Hélas, une rechute est attendue pour cette année, mais sa gravité reste à déterminer. Elle dépendra pour partie des choix que nous ferons lors de l’examen des prochains textes financiers cet automne.