Intervention de Pascale Bories

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 9 juillet 2019 à 17h45
Projet de loi relatif à l'énergie et au climat — Examen du rapport pour avis

Photo de Pascale BoriesPascale Bories, rapporteure pour avis :

Ce texte comportait initialement huit articles et avait peu d'ambitions, puisque son but principal était de modifier les objectifs de politique énergétique fixés par la loi relative à la transition énergétique de 2015 pour tenir compte de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en cours de finalisation, et qui acte notamment le report à 2035 de la réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique. La PPE étant un acte réglementaire, qui ne peut pas être en contradiction avec les objectifs fixés par la loi, il convenait de modifier la loi.

Ce projet de loi devait donc être une « petite loi » sur l'énergie et le climat. Il s'est progressivement enrichi au fil des dernières semaines, d'abord par une lettre rectificative qui a ajouté quatre nouveaux articles, puis au cours de son examen à l'Assemblée nationale, les députés ayant notamment adopté plusieurs dispositions relatives à la rénovation énergétique des bâtiments. Il compte désormais 55 articles.

Malgré cette multiplication par sept du nombre d'articles, nous n'avons eu qu'une semaine pour étudier le texte adopté par l'Assemblée nationale. J'ai d'ailleurs pu constater, au cours de la dizaine d'auditions que j'ai menées, que, pour certaines dispositions importantes introduites à l'Assemblée, les principaux acteurs concernés n'avaient même pas été consultés. Je ne peux que regretter ces délais si courts, qui traduisent un important manque de considération à l'égard du travail parlementaire. Nous avons eu l'occasion de le rappeler à M. de Rugy lors de son audition la semaine dernière.

Notre commission a reçu une délégation au fond de la commission des affaires économiques sur neuf articles, et en particulier sur les articles 2, portant sur le Haut Conseil pour le climat (HCC), et 4, sur l'autorité environnementale. Elle s'est également saisie pour avis de plusieurs articles, notamment l'article 1er, sur les objectifs de la politique énergétique, et l'article 3, qui prévoit la fermeture des centrales à charbon en 2022.

Force est de constater que l'inflation du texte n'a pas permis de pallier ses insuffisances au regard des attentes de nos concitoyens. Il est en effet difficile d'identifier dans ce projet de loi un ensemble de réponses efficaces et cohérentes pour lutter contre le réchauffement climatique.

Ainsi, l'article 1er prévoit de réviser plusieurs objectifs de la politique énergétique afin, notamment, de renforcer l'objectif de réduction de la consommation d'énergies fossiles de 30 % à 40 % en 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050, en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à 6. Si l'intention est évidemment louable, je ne peux que m'interroger quant à la portée concrète de cet engagement. Le titre du premier rapport du Haut Conseil pour le climat, remis en juin dernier, est pourtant clair : « Agir en cohérence avec les ambitions ». La fixation d'objectifs ambitieux, la définition de programmations pluriannuelles ou encore de budgets carbone ne sauraient avoir du sens que si elles sont suivies par des faits. Or la stratégie nationale bas-carbone publiée en novembre 2015 et les plafonds d'émission qu'elle fixe n'ont pas été respectés ces dernières années.

Outre le manque d'engagements concrets, je déplore le manque d'anticipation du Gouvernement s'agissant des conséquences de la politique énergétique qu'il mène.

L'article 3 prévoit la fermeture des centrales à charbon en 2022 en fixant un plafond d'émissions de gaz à effet de serre pour les installations de production d'électricité. Cette fermeture concernera quatre centrales encore en activité, dont deux sont gérées par EDF - au Havre et à Cordemais - et deux par Uniper, à Saint-Avold et à Gardanne. Certaines centrales sont lancées dans des projets de conversion biomasse, dont la faisabilité technique sur le long terme n'est pas garantie. La fermeture de la centrale de Cordemais, couplée avec les incertitudes sur la date de mise en service de l'EPR de Flamanville et de la centrale à gaz de Landivisiau, pose la question de la sécurité de l'approvisionnement électrique de l'Ouest français, notamment lors des pointes de consommation hivernales. L'article 3 renvoie par ailleurs à une ordonnance le soin de définir des mesures d'accompagnement des salariés de ces centrales. À un an et demi de leur fermeture, nous sommes donc dans l'incertitude totale quant au devenir des salariés et des sites concernés, ce qui traduit un manque criant d'anticipation de la part du Gouvernement.

Toutefois, les députés ont introduit un nouvel article 1er bis A, qui prévoit qu'à partir de 2023, et tous les cinq ans, une loi de programmation devra fixer les objectifs de politique énergétique pour les années à venir, ce qui permettra au Parlement de débattre de la définition de la PPE en amont- et non pas en aval comme nous le faisons aujourd'hui.

J'en viens aux principaux articles sur lesquels notre commission est saisie au fond.

L'article 2 prévoit la mise en place du HCC. La création d'une instance composée d'experts pouvant apporter un éclairage indépendant sur la politique du Gouvernement en matière de climat est bienvenue. Toutefois, cet article ne fait qu'inscrire dans la loi un organe qui existe déjà, puisqu'il a été créé en novembre 2018 et que ses missions ont été définies par un décret en date du 14 mai 2019. Ce Haut Conseil rendra un rapport annuel sur la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre et l'efficacité des politiques de lutte contre ces émissions, et fera des propositions. Il pourra également être saisi par le Parlement pour donner un avis sur un projet ou une proposition de loi. L'Assemblée nationale a par ailleurs prévu à l'article 2 bis que les avis du HCC devront être pris en compte par les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).

L'article 4 revoit le fonctionnement de l'autorité environnementale. Il s'agit d'un sujet relativement complexe. Actuellement, les projets de travaux et d'ouvrages susceptibles d'avoir des incidences sur l'environnement doivent faire l'objet d'une évaluation environnementale pouvant être, en fonction de seuils, soit systématique, soit effectuée, au cas par cas, sur décision de l'autorité environnementale. L'autorité environnementale est également compétente pour émettre un avis sur l'évaluation environnementale réalisée par le porteur de projet. Jusqu'à présent, cette autorité environnementale pouvait être, en fonction des projets, le ministre chargé de l'environnement, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), les missions régionales d'autorité environnementale (MRAe) ou le préfet de région. Mais, dans une décision du 6 décembre du 2017, le Conseil d'État a annulé les dispositions permettant aux préfets d'être à la fois l'autorité en charge de donner un avis sur l'évaluation environnementale d'un projet et l'autorité compétente pour autoriser ce projet, considérant qu'elles plaçaient les préfets en situation de conflit d'intérêt.

L'article 4 du projet de loi entend par conséquent séparer les fonctions d'autorité chargée de l'examen au cas par cas des projets, qui pourraient être laissées aux préfets, de celles d'autorité chargée d'émettre un avis sur l'évaluation environnementale des projets, qui seraient confiées aux missions régionales du CGEDD, qui bénéficient d'une autonomie par rapport au préfet. Toutefois, cette solution ne règle pas toutes les difficultés qui pourraient se poser en termes de conflits d'intérêts, et je vous proposerai un amendement pour y remédier.

Enfin, l'article 4 quater confie le contentieux relatif aux éoliennes en mer au Conseil d'État en premier et dernier ressort, une solution qui ne me paraît pas pertinente alors qu'il existe déjà une juridiction spécialisée pour traiter ce contentieux : la Cour administrative d'appel de Nantes.

Au fil des auditions que j'ai menées, une idée saillante s'est dégagée : la définition de grands objectifs ambitieux peine à trouver une déclinaison dans nos territoires. Il est frappant de voir à quel point ces grands objectifs sont pensés sans y intégrer une perspective territoriale. Pourtant, comme le souligne le projet de stratégie nationale bas carbone, « 70 % des actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont liées à une décision de niveau local. » Les élus locaux ont donc un rôle central à jouer pour transformer ces objectifs ambitieux en réalité tangible.

Un autre manque concerne l'anticipation des conséquences de la politique énergétique. Le principal enjeu d'anticipation pour les années à venir concerne la fermeture des réacteurs nucléaires. L'objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique doit s'accompagner d'une feuille de route définissant la future stratégie de démantèlement des réacteurs. Et le plan stratégique d'EDF, réalisé après la publication de la PPE, doit comporter un volet relatif à l'accompagnement des salariés qui seront concernés par ces fermetures.

Je vous proposerai également un certain nombre d'amendements pour clarifier les missions et les modalités de saisine du HCC.

Enfin, reprenant une des dispositions qui avait été votée au Sénat au cours de l'examen de la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux déposée par M. Vaspart, un amendement permet la mise en place d'installations photovoltaïques dans certaines zones littorales dégradées qui seraient définies par décret.

Même avec ces amendements, ce texte est loin d'être à la hauteur des ambitions auxquelles il prétend répondre.

- Présidence de M. Hervé Maurey, président - 

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