Intervention de Agnès Canayer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 juillet 2019 à 9h30
Justice prud'homale — Examen du rapport d'information

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer, rapporteur :

Voilà plus de dix-huit mois que vous nous avez confié la mission de travailler sur le fonctionnement de la justice prud'homale. Cette mission se situe dans la continuité des travaux de la mission d'information de la commission des lois sur le redressement de la justice, qui n'avait que partiellement abordé la question de la justice prud'homale compte tenu de son très vaste champ.

Vous le savez, le contentieux de l'exécution et de la rupture du contrat de travail relève en France, et depuis très longtemps, de juridictions particulières que sont les conseils de prud'hommes. Ces juridictions sont fortement ancrées dans le paysage judiciaire français et constituent l'une des plus anciennes institutions de notre pays. Elles incarnent à la fois la proximité - il existe au moins un conseil de prud'hommes dans chaque département, avec un total de 210 - et le paritarisme.

La durée très longue de notre mission nous a permis d'effectuer vingt-huit auditions et tables rondes et d'organiser un vaste programme de déplacements. Nous nous sommes rendus dans le ressort de huit cours d'appel pour y rencontrer les conseillers prud'hommes et les fonctionnaires des greffes : nous avons visité treize conseils et nous avons également rencontré, lors des déplacements, les représentants de treize autres conseils, soit des échanges avec 13 % des conseils de prud'hommes de France métropolitaine, sans compter des contributions écrites spontanées sur la base du questionnaire que nous avions établi et qui a parfois suscité de fortes réactions.

Nous n'avons toutefois pas limité nos travaux aux conseils de prud'hommes, considérant qu'ils étaient l'un des chaînons de la justice du travail, qui ne peut être étudié que dans ses relations avec les autres acteurs - juges départiteurs, conseillers des cours d'appel ou encore avocats. Nous avons également rencontré les organisations professionnelles et syndicales, ainsi que des experts et auteurs de rapports récents sur le sujet.

Nos déplacements ont même dépassé le cadre de l'hexagone, puisque nous nous sommes rendus en Belgique afin d'y étudier l'ordre juridictionnel du travail.

Les conseils de prud'hommes font l'objet de critiques. Certaines sont assises sur des préjugés infondés. On entend parfois que tel conseil de prud'hommes donnerait systématiquement raison aux employeurs, tel autre aux salariés, ou que les décisions rendues seraient aléatoires, non motivées ou infondées en droit.

Néanmoins, les critiques récurrentes traduisent parfois de réelles difficultés.

La fonction de conciliation de la justice prud'homale, pourtant traditionnelle et centrale, est aujourd'hui marginale, avec un taux de conciliation de 8 % au niveau national.

La fonction de jugement semble défaillante, avec des délais de plus de seize mois en moyenne, plus longs que pour toutes les autres juridictions de première instance. Un taux d'appel des deux tiers, qui dépasse, et de loin, celui de toutes les autres juridictions, engorge les cours d'appel et témoigne d'un manque d'acceptabilité des décisions rendues. En outre, le taux d'infirmation en appel est non négligeable. De nombreux conseillers des chambres sociales des cours d'appel nous ont d'ailleurs dit que, si les jugements pouvaient sembler de bon sens dans la solution retenue, ils péchaient en général par un manque de motivation et de raisonnement juridique.

Suite à différents rapports dressant un état des lieux des difficultés de la justice prud'homale, un certain nombre de réformes ont été prévues, en particulier, par la loi « Macron » du 6 août 2015 et par le décret du 20 mai 2016 pris pour son application. Ces réformes sont encore récentes et il est sans doute trop tôt pour en mesurer pleinement les effets. Force est toutefois de constater qu'elles n'ont pas considérablement amélioré la situation et qu'elles sont souvent mal voire pas appliquées.

Nos déplacements et nos auditions ont fait évoluer les idées que nous pouvions, les unes et les autres, avoir au départ et nous ont permis de dresser plusieurs constats.

Premièrement, la justice du travail bénéficie grandement de l'intervention de juges non professionnels, qui connaissent le monde du travail pour en être issus.

Deuxièmement, les statistiques nationales et le prisme parisien cachent des disparités parfois très fortes d'un conseil de prud'hommes à l'autre. Du point de vue du justiciable, de telles disparités ne sont pas satisfaisantes : selon que le conseil de prud'hommes compétent fonctionne bien ou est embolisé, il attendra moins de six mois ou près de deux ans pour que son affaire soit traitée. La situation est très variable, trop variable, d'un conseil à l'autre, en termes de charge de travail, de respect de la procédure, d'implication dans la conciliation, etc. Empiriquement, nous avons vu que les choses fonctionnaient généralement mieux dans les petites et moyennes juridictions, où les conseillers se connaissent et ont l'habitude de travailler ensemble, à la différence des plus grosses, mais ce n'est pas une règle absolue.

Troisièmement, les causes de ces difficultés sont multiples. Les conseils de prud'hommes pâtissent des difficultés dont souffre, d'une manière générale, le service public de la justice, à commencer par le manque de moyens humains et matériels.

Enfin, le rôle de juge à part entière des conseillers prud'hommes est trop souvent insuffisamment intériorisé par les magistrats professionnels, les justiciables, les avocats, mais également par les conseillers prud'hommes eux-mêmes. Nous avons ainsi pu constater que certains conseils de prud'hommes peinent à fonctionner comme de vraies juridictions et tendent à reproduire au sein de ce qui devrait être un lieu de justice impartial les tensions sociales, voire politiques, locales.

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