Intervention de Pascale Gruny

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 juillet 2019 à 9h30
Justice prud'homale — Examen du rapport d'information

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny, rapporteur :

Afin d'améliorer le fonctionnement des conseils de prud'hommes, nous recommandons d'accroître les prérogatives de leurs président et vice-président, pour en faire de vrais chefs de juridiction et renforcer leur autorité auprès des autres conseillers, en leur confiant expressément la responsabilité du bon fonctionnement du conseil et du respect de la procédure et des délais de jugement. Cela leur permettrait notamment d'organiser la juridiction, de rappeler la procédure et d'harmoniser les pratiques entre les sections. Ces nouvelles tâches impliqueraient d'adapter en conséquence leur statut matériel.

Le fonctionnement interne des conseils de prud'hommes pourrait être fluidifié par la mise en place d'une instance, qui pourrait être nommée conférence des présidents, chargée notamment de délibérer des sujets d'intérêt commun et d'harmoniser les pratiques, regroupant les présidents et vice-présidents du conseil et des sections sous l'autorité des premiers.

L'organisation des conseils de prud'hommes en sections correspond au principe du jugement par les pairs. Toutefois, la répartition des conseillers entre les différentes sections n'apparaît pas toujours adaptée aux évolutions sociales et économiques. Nous proposons donc d'aller plus loin dans l'assouplissement qui a déjà été permis, en autorisant le président et le vice-président du conseil de prud'hommes à transférer de façon définitive un conseiller d'une section à l'autre, selon des modalités simplifiées.

La dernière campagne de désignation des conseillers prud'hommes a mis en lumière une certaine crise des vocations. Les règles de candidature pourraient être assouplies pour permettre par exemple aux retraités de se porter candidats dans les conseils de prud'hommes de ressorts voisins de celui de leur domicile.

La justice prud'homale est, et doit rester, une justice de proximité. La question de l'accessibilité ne se résume toutefois pas à la proximité géographique. En effet, la complexification du droit du travail rend parfois difficile pour certains de nos concitoyens, en particulier pour les plus fragiles, la saisine du conseil de prud'hommes.

À cet égard, le nouveau formulaire de saisine mis en place depuis 2016 a fait l'objet de nombreuses critiques. Toutefois, il convient de rappeler que ce formulaire n'est pas obligatoire, mais qu'il vise uniquement à aider le justiciable à rédiger une demande comportant tous les éléments nécessaires à sa recevabilité. Plutôt que de revenir sur ce formulaire, nous considérons qu'il est nécessaire que les conseils de prud'hommes développent des partenariats avec les différentes structures d'accès au droit que sont notamment les conseils départementaux d'accès au droit et les maisons de la justice et du droit, afin que les justiciables soient mieux accompagnés.

Dans le cadre de la carte judiciaire actuelle, il pourrait par ailleurs être intéressant de développer les audiences foraines afin de renforcer la proximité de la justice du travail dans des sites judiciaires dépourvus de conseil de prud'hommes. Nous l'avons, par exemple, vu en Belgique, où la réduction du nombre de juridictions, opérée il y a quelques années, s'est accompagnée d'un maintien des lieux de justice.

La création des défenseurs syndicaux par la loi de 2015 a visé à renforcer une possibilité qui existait déjà. Il existe un nombre important de défenseurs syndicaux, mais il semble qu'ils interviennent peu auprès des conseils de prud'hommes. Afin d'être en mesure d'évaluer cette réforme et surtout d'appliquer réellement la règle selon laquelle un défenseur syndical est rayé de la liste régionale s'il n'a aucune activité pendant un an, il conviendrait de mettre en place un suivi de l'activité des défenseurs syndicaux, en demandant aux greffes de tenir des statistiques relatives à la participation des défenseurs syndicaux aux audiences.

Le contentieux de l'inaptitude, qui concerne des décisions du médecin du travail, a été transféré aux conseils de prud'hommes. Il nous semble qu'il serait souhaitable qu'il soit transféré aux tribunaux judiciaires, les magistrats professionnels étant plus habitués à demander des expertises médicales.

L'ensemble de ces mesures vise in fine à poursuivre deux grands objectifs, alors que la justice prud'homale nous semble aujourd'hui au milieu du gué, compte tenu des réformes passées et des difficultés persistantes.

D'une part, l'ancrage de la justice prud'homale dans l'institution judiciaire doit être renforcé et le mouvement de professionnalisation des conseillers prud'hommes poursuivi. De nombreuses propositions y contribuent.

D'autre part, il est indispensable de remédier aux difficultés de fonctionnement de la justice prud'homale, laquelle est d'abord rendue dans l'intérêt du justiciable. Cela concerne la procédure autant que l'organisation interne ou les moyens matériels.

Au-delà de ces mesures, qui nous apparaissent nécessaires, il nous semble qu'un certain nombre de réformes plus profondes pourraient être expérimentées afin que leurs effets puissent faire l'objet d'une évaluation objective.

La répartition des sections des conseils de prud'hommes apparaît parfois inadaptée aux évolutions du tissu économique local. En tout état de cause, le découpage en sections et les effectifs de chaque section relèvent aujourd'hui de la loi et du décret, ce qui est une source de grande rigidité. Il pourrait être permis, à titre expérimental, de laisser aux présidents et vice-présidents de conseils de prud'hommes la possibilité de supprimer ou de regrouper certaines sections.

Certains litiges complexes pourraient justifier l'intervention d'un magistrat professionnel, non pas pour décider à la place des conseillers prud'hommes, mais pour les aider à décider. Nous recommandons donc que soit expérimenté, dans le ressort de deux ou trois cours d'appel, le renvoi systématique devant une formation de départage de certaines affaires. Il pourrait s'agir, par exemple, des affaires portant sur un montant supérieur à un certain seuil ou des licenciements dont la nullité est alléguée.

Enfin, notre déplacement en Belgique nous a permis d'étudier le modèle belge, qui nous a paru particulièrement intéressant. La Belgique avait jusqu'aux années 1970 un système proche du nôtre, mais l'a réformé en introduisant, d'une part, des magistrats professionnels en première instance et, d'autre part, des juges non professionnels en appel. Ce système semble donner satisfaction à tous les acteurs de la justice du travail, chacun constatant la complémentarité que l'autre peut lui apporter. Nous recommandons donc d'expérimenter, dans le ressort de deux ou trois cours d'appel, la présence systématique de magistrats professionnels dans les formations de jugement des conseils de prud'hommes et, dans le même temps, l'introduction de conseillers prud'hommes au sein des cours d'appel, quand elles ont à connaître de recours contre des jugements de conseils de prud'hommes, permettant de combiner la connaissance du monde du travail et les compétences juridiques et juridictionnelles.

Pour conclure, les quarante-six propositions du groupe du travail s'inscrivent dans la philosophie de la justice prud'homale. Si certaines organisations affirment craindre la disparition des prud'hommes, a fortiori avec l'amendement adopté par nos collègues députés pour mutualiser les greffes des conseils de prud'hommes et des futurs tribunaux judiciaires, qui regrouperont les tribunaux de grande instance avec les tribunaux d'instance de leur ressort, dans le cadre de la loi de programmation et de réforme de la justice, tel n'est pas le postulat duquel nous sommes parties et telle n'est pas non plus la conclusion à laquelle nous sommes parvenues.

Rien ne pourra remplacer les spécificités de cette justice du travail. Pour autant, la réforme est aujourd'hui nécessaire pour conforter, peut-être malgré elle, cette juridiction en difficulté.

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