Intervention de Annick Billon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 11 juillet 2019 : 1ère réunion
Échange de vues sur le plan national d'action visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines

Photo de Annick BillonAnnick Billon, présidente :

Mes chers collègues, nous allons commencer cette réunion, qui devrait être la dernière de la session 2018-2019, par un rapide bilan du travail de la délégation depuis octobre 2018. Puis nous allons parler du « Plan national d'action visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines », présenté par le Gouvernement le 21 juin. Ensuite nous avons des mesures à prendre au sujet du vingtième anniversaire de la création de la délégation. Enfin, nous pourrons évoquer ensemble des pistes de réflexion sur notre programme de travail à venir, qui fera l'objet d'une validation, comme chaque année, dès le début du mois d'octobre.

Vous avez reçu les chiffres clé du travail de la délégation pendant cette session. S'agissant de notre rythme de réunions, nous avions souhaité, il y a un an, mieux adapter le travail de la délégation aux contraintes du calendrier parlementaire. Notre bilan ne s'est pas ressenti de cet effort d'organisation. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : quatre rapports d'information (cinq prochainement avec le rapport sur les violences faites aux femmes handicapées), deux colloques, trois tables rondes et une résolution adoptée à l'unanimité par le Sénat.

S'agissant de la communication sur les travaux de la délégation, nous avons nettement accru le nombre de communiqués de presse. Par ailleurs, la tribune sur le féminicide dont nous avons pris l'initiative, co-signée par 152 sénateurs et publiée vendredi dernier par le journal Libération, a été abondamment relayée et a permis, à mon avis, de rendre visible l'implication de notre institution contre ces violences.

J'en viens au « Plan national d'action visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines », dont le texte vous a été communiqué.

Vous le savez, notre délégation a beaucoup travaillé sur ce sujet l'année dernière, avec le rapport de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac adopté en mai 2018, puis la proposition de résolution examinée à l'initiative de la délégation en séance publique le 14 mars dernier et adoptée à l'unanimité. Je précise que pour l'examen de ce texte, le Gouvernement était représenté dans notre hémicycle par le secrétaire d'État auprès de la ministre des Solidarités et de la santé chargé de la Protection de l'enfance.

Si l'on peut bien évidemment se réjouir que le Gouvernement se mobilise contre les mutilations sexuelles féminines, on peut regretter que nos travaux ne soient jamais cités par ce plan. Pourtant, le Sénat, à travers sa résolution, est l'une des institutions de notre pays les plus impliquées contre ces violences.

De plus, certains passages du plan rappellent des phrases entières de notre rapport ou de notre résolution, sans jamais s'y référer. Je pense par exemple au développement sur la terminologie « mutilations sexuelles féminines » préférée à celle d'excision ou de « mutilations génitales féminines », ou à la déclaration selon laquelle « Aucune tradition ne saurait être invoquée pour justifier les mutilations sexuelles féminines »...

D'ailleurs, les rares propositions concrètes du plan ressemblent à des recommandations que nous avons formulées, là encore sans citer nos travaux. Je pense notamment au signalement systématique des filles, adolescentes et femmes mutilées qui accouchent dans les maternités françaises (proposition n° 4 de notre rapport), à la sensibilisation des étrangers arrivant dans notre pays au cadre législatif français interdisant l'excision (proposition n° 7), ou encore à l'identification, dans les établissements d'enseignement scolaire du second degré, des jeunes filles quittant sans motif le système éducatif à l'âge de l'obligation scolaire, « afin de mieux identifier les victimes potentielles de mutilations sexuelles féminines ». Ce passage du plan reprend, vous l'avez compris, notre proposition n° 2.

De surcroît, on déplore une nouvelle fois un certain manque de substance derrière les propositions du Gouvernement. En effet, ce plan ne donne pas de précisions sur les moyens qui financeront les mesures prévues et l'action des associations oeuvrant au quotidien pour lutter contre l'excision. Car dans ce domaine aussi, les associations sont le « bras armé » des politiques publiques. Or, comme souvent, on a l'impression d'en rester à des effets d'annonce et à de la communication. Il manque du concret !

Je relève également que sur dix-neuf pages, dix seulement concernent réellement le coeur du sujet. Plusieurs pages du plan sont ainsi en réalité dédiées à mettre en valeur le bilan du Gouvernement en matière d'égalité femme-homme, érigée en « grande cause du quinquennat »...

Je remarque par ailleurs que le plan du Gouvernement cite la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, sans mentionner la disposition introduite par le Sénat, à l'initiative de la délégation, pour étendre explicitement les missions de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) au repérage des mutilations sexuelles féminines.

Je m'étonne également que le plan se réfère au seul travail de la Maison des femmes de Saint-Denis en matière de chirurgie réparatrice, sans citer le Women Safe et le Docteur Foldès, qui a pourtant opéré des milliers de femmes victimes de mutilations ! Nous avons, bien sûr, été très impressionnés par l'engagement du docteur Ghada Hatem, que nous avons entendue avec beaucoup d'intérêt, et par les remarquables qualités de la structure qu'elle dirige à Saint-Denis. Mais il semble inapproprié de ne pas rendre hommage aux autres acteurs de cette lutte, pour laquelle on a besoin de tous les talents et de toutes les énergies...

Enfin, un dernier aspect qui me paraît problématique est l'absence de référence au continuum des violences. Le plan aborde les mutilations sexuelles féminines comme un phénomène isolé, sans prendre en compte la continuité évidente des violences qui existe entre mutilations, mariages des enfants ou mariage forcé, et grossesses précoces. Nos travaux ont pourtant bien établi ce lien indéniable.

Notre délégation a publié, comme vous le savez, après avoir pris l'attache de nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, co-rapporteures, un communiqué de presse synthétisant ces réactions au « Plan du gouvernement pour éradiquer les mutilations sexuelles féminines », afin de rappeler que la délégation, mais aussi le Sénat, ont été forces de proposition contre l'excision, et d'exprimer des interrogations sur la portée effective du plan, en l'absence de précisions sur les financements qui y seront associés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion