Lorsque Thierry Carcenac et moi-même avons décidé de nous intéresser au recouvrement des amendes de circulation et des forfaits de post-stationnement (FPS) un an après l'entrée en vigueur de la réforme du stationnement payant, nous étions loin de nous attendre à une telle complexité.
Le recouvrement, c'est d'abord trois fonctions : identifier les redevables, leur proposer des solutions de paiement diversifiées et, enfin, les poursuivre s'ils ne veulent pas honorer leurs obligations. Tout cela semble simple. Pourtant, derrière cette mission, ce sont plus d'une dizaine d'acteurs qui doivent travailler ensemble et se coordonner.
Prenons un cas d'apparence simple : un automobiliste parisien revenant d'un week-end à Brive. Peu scrupuleux, il a reçu une amende pour excès de vitesse et un forfait de post-stationnement, qui remplace depuis le 1er janvier 2018 l'amende pour stationnement impayé. S'engage alors un véritable jeu de piste. Pour contester son FPS, envoyé par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai), située à Rennes, il doit exercer son recours administratif préalable obligatoire à Brive et, éventuellement, contester la décision devant la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP), installée à Limoges. S'il veut payer en argent liquide, il doit se rendre dans une trésorerie parisienne. De là, l'encaissement est signalé à la direction régionale des finances publiques de Bretagne et d'Ille-et-Vilaine, qui recalculera ensuite les sommes à reverser à la ville de Brive. S'il ne paye pas, l'Antai transformera son FPS en FPS majoré, qu'il pourra contester à Limoges et payer à Paris. La partie majorée ira à l'État. Si, dans le même temps, il souhaite contester son amende pour excès de vitesse, il doit le faire devant les officiers du ministère public du centre national de traitement de Rennes, le cas échéant devant ceux de Brive s'il y a besoin d'une analyse au fond. Si le cas est porté devant le juge judiciaire, le tribunal de Brive sera compétent.
Vous pouvez comprendre que tout ceci apparaisse bien obscur à nos concitoyens et même à tous les acteurs de la mission recouvrement. C'est pour cette raison que notre recommandation prioritaire vise à répondre à cette fragmentation. Nous proposons que soit instauré un point de contact unique, auquel tous les acteurs du recouvrement pourraient avoir accès pour remonter leurs problèmes et leurs recommandations. Le dispositif est très coûteux pour l'État. Quand on cherche des pistes de baisse de la dépense publique, il faut aussi s'attaquer aux problèmes d'organisation managériale de l'administration publique, notamment des finances.
Nous proposons que soit instauré un point de contact unique, auquel tous les acteurs du recouvrement pourraient avoir accès pour remonter leurs problèmes et leurs recommandations. Ce point de contact serait assuré par un préfet coordonnateur, chargé de faire la liaison entre, d'une part, les collectivités territoriales, qui ont compétence sur les forfaits de post-stationnement, la délégation à la sécurité routière et les autres administrations centrales impliquées dans le recouvrement. En parallèle, il nous semble essentiel de renforcer la clarté des informations données aux redevables, qui ne savent pas eux-mêmes à qui s'adresser.
Pourtant, les enjeux sont considérables. En 2018, 26 millions d'avis de paiement de contravention ont été envoyés et 8 millions de forfaits de post-stationnement. Cela représente potentiellement plus de 2,3 milliards d'euros pour l'État et les collectivités territoriales. Pourtant, force est de constater que nos taux de recouvrement ne sont pas bons ; pire encore, ils sont en baisse. Sur les amendes forfaitaires majorées et les forfaits de post-stationnement majorés, les deux produits pour lesquels la DGFiP enclenche des procédures de recouvrement forcé, les taux de recouvrement ne dépassent pas 28 %, contre quasiment 38 % en 2010. En 2017, les admissions en non-valeur ont ainsi représenté près de 700 millions d'euros.
Non seulement ces taux sont bas, mais nous ne disposons pas non plus du coût détaillé de la mission recouvrement pour chaque produit, exception faite de l'Antai, seule capable de fournir le coût de ses propres missions. Elle estime ainsi que le traitement de chaque amende de circulation coûte 3,1 euros, un chiffre en légère hausse en 2018 du fait de la diminution drastique du nombre de contraventions notifiées aux automobilistes - un certain nombre de radars n'étant plus en fonctionnement en novembre et décembre derniers. Ce chiffre n'inclut pas les actions et les effectifs mobilisés sur le recouvrement forcé, lequel relève de la DGFiP.
Si ces problèmes concernent tant les amendes de circulation que les forfaits de post-stationnement, nous nous sommes plus particulièrement intéressés, avec Thierry Carcenac, aux difficultés suscitées par la réforme du stationnement payant entrée en vigueur le 1er janvier 2018. Cette réforme, introduite par le Sénat lors de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM), a dépénalisé et décentralisé le stationnement payant. Cette modification devait permettre aux collectivités territoriales de définir elles-mêmes leurs politiques de mobilité et d'adapter les conditions du stationnement payant aux circonstances locales. De ce point de vue, nous avons pu constater, lors de nos auditions, que la réforme était un vrai succès.
Toutefois, la dépénalisation du stationnement payant a eu des effets non anticipés, qui ont pu rendre le recouvrement plus difficile. D'abord, l'ensemble des conventions internationales adoptées par la France pour soutenir le recouvrement des amendes infligées contre les propriétaires de véhicules immatriculés à l'étranger, du fait de la dépénalisation, ne s'appliquent plus au stationnement payant. Si la directive européenne du 11 mars 2015 visant à faciliter les échanges d'information concernant les infractions en matière de sécurité routière est en cours de renégociation, elle ne sera pas modifiée avant, au mieux, le premier semestre 2021. Cela crée donc un sentiment d'impunité pour les automobilistes étrangers, situation qui pourrait en retour nuire à l'acceptabilité sociale du stationnement payant pour les conducteurs français.
Les personnes que nous avons auditionnées ont souligné une seconde difficulté, liée au stationnement gratuit pour les personnes à mobilité réduite. Si nous nous opposons bien sûr à toute remise en cause de cette disposition, nous avons été sensibles à la hausse constatée des cas de fraudes. Par exemple, dans certains arrondissements de Paris, mais également dans d'autres villes, le nombre de cartes de stationnement apposées sur les véhicules a augmenté de 15 à 20 %. L'agent verbalisateur ne peut pas vérifier l'authenticité de ces cartes placées sous le pare-brise. Il s'agit surtout des cartes dites « cartes européennes de stationnement », qui sont en cours de remplacement par la carte mobilité inclusion, beaucoup plus difficile à falsifier. Ces cas de fraude nuisent avant tout aux personnes à mobilité réduite qui font usage à raison du droit qui leur a été octroyé. En effet, certaines collectivités attribuent automatiquement un forfait de post-stationnement : elles préfèrent le retirer après que la personne a prouvé sa bonne foi que manquer une occasion de sanctionner un abus et voir leurs recettes diminuer.
Cela nuit aux personnes à mobilité réduite puisque chaque redevable qui souhaite contester un forfait de post-stationnement ou un FPS majoré doit d'abord le payer. Cette règle a eu d'autres effets surprenants : une personne victime du vol de son véhicule ou d'une usurpation de sa plaque d'immatriculation doit ainsi payer son forfait de post-stationnement avant de pouvoir le faire retirer. Face à ces situations, qui ne font que compliquer davantage la vie de nos concitoyens de bonne foi, vos rapporteurs spéciaux proposent d'introduire des exceptions à la règle du paiement préalable.
Ce sont des modifications marginales, mais qui pourraient conduire à améliorer le fonctionnement de la mission recouvrement. D'autres problèmes se sont résorbés d'eux-mêmes. Les loueurs de véhicules de courte durée ont, par exemple, adapté leurs conditions générales de location afin de pouvoir prélever automatiquement le locataire du véhicule au moment de l'infraction. De même, si vous avez certainement en tête les premiers « ratés » constatés à Paris au début de l'année 2018, qui avaient conduit à l'annulation de près de 200 000 forfaits de post-stationnement, du fait du comportement des prestataires, ces cas sont finalement devenus marginaux.