Intervention de Dominique de Legge

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 juillet 2019 à 9h35
Contrôle budgétaire — Gestion des ressources humaines dans les armées - communication

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge, rapporteur spécial :

Je me suis intéressé à la gestion des ressources humaines dans les armées pour trois raisons : tout d'abord, fin 2018, on a constaté un excédent de 211 millions d'euros qui n'ont pas été consommés et je voulais en connaître la raison ; ensuite, la ministre des armées a indiqué que la dernière loi de programmation militaire (LPM) était, avec le plan famille, une loi « à hauteur d'homme » ; enfin, nous sortons d'une longue période de déflation des effectifs et amorçons, depuis 2015, une phase de « remontée en puissance ».

Les armées ont fait l'objet d'une profonde mutation depuis 25 ans. Le service militaire a été supprimé en 1996. L'effort de la nation est passé en 60 ans de 6,5 % à 2 % du PIB ; la diminution a été de 50 % ces 25 dernières années. Quant aux effectifs, ils étaient de 276 000 en 2014, contre 330 000 en 2004, soit une diminution de 25 % en 10 ans.

Cette mutation est aussi d'ordre opérationnel, du fait du changement de type de menaces, de l'apparition du risque « cyber », de l'importance des engagements sur les théâtres extérieurs et de l'intervention sur le sol français avec l'opération « Sentinelle ».

Il a été difficile pour nos armées de passer d'une culture de déflation à une culture de remontée en puissance.

Si la réalisation des cibles de recrutement ne pose pas de difficulté majeure, les résultats apparaissent toutefois moins satisfaisants sur le plan qualitatif : les viviers apparaissent plus fragiles - inaptitudes médicales plus fortes, augmentation des candidats ayant des antécédents judiciaires -, et une importante « déperdition » de candidats subsiste entre le premier contact dans les centres de recrutement et l'incorporation.

Reste à gagner la bataille de la fidélisation des effectifs incorporés. Ce problème touche notamment les spécialités particulièrement sollicitées, comme les fusiliers marins, ainsi que celles en concurrence directe avec le secteur privé : atomiciens, maintenanciers aéronautiques, etc.

De manière générale, les armées sont confrontées à un raccourcissement de la durée des contrats des nouveaux recrutés. L'armée de terre enregistre ainsi une nette diminution des contrats de cinq ans, qui sont passés de 77,7 % en 2014 à 60,3 % en 2017, soit une baisse de plus de 20 %. Dans le même temps, les contrats longs - ceux de plus de huit ans - qui représentaient jusqu'à aujourd'hui en moyenne 3,2 % de l'ensemble, sont passés en 2017 à 0,5 %.

Des mesures indemnitaires visant à renforcer la fidélisation ont été prises, tournées vers les spécialités en tension et en concurrence avec le privé. Ces mesures risquent d'être insuffisantes, compte tenu de la faiblesse des soldes militaires.

Le premier enjeu pour l'institution est le maintien des savoir-faire techniques en évitant des départs trop rapides, particulièrement critiques pour la marine nationale. Cette armée est en effet caractérisée par des effectifs plus limités et l'existence de nombreuses spécialités techniques. Ainsi, 75 % de ses effectifs appartiennent à des spécialités qui recouvrent chacune moins de 1 % des effectifs. Le risque existe de ne pas pouvoir armer des sous-marins, par exemple.

Autre enjeu : la nécessité d'une armée jeune.

L'armée doit être composée de militaires jeunes, en raison du niveau d'engagement qu'implique l'état militaire. Ce principe, qui suppose l'existence d'un fort taux de rotation, constitue la principale spécificité des armées par rapport aux autres administrations de l'État en termes de modèle RH. La défense, qui constitue une mission éminemment régalienne, est assurée, à hauteur de 65 % des effectifs, par des contractuels.

La durée moyenne d'engagement des militaires du rang au sein de l'armée de terre est de 6 ans. La direction des ressources humaines a fait état en audition de sa volonté de porter cette durée à 7 ans, ce qui permettrait d'« optimiser les coûts de formation et de disposer de soldats ayant une bonne expérience opérationnelle, ayant connu des régimes de vie et d'alerte différents qui garantissent la stabilité émotionnelle et la compétence technique ».

Un enjeu essentiel pour les militaires eux-mêmes est la mobilité géographique. L'ancien schéma, qui avait prévalu jusqu'aux années 1990, a explosé. Désormais, les conjoints de militaires souhaitent exercer une activité professionnelle, ce qui est peu compatible avec l'obligation de mobilité. En conséquence, le taux de célibat géographique est en augmentation.

Quant au train de vie des ménages de militaires, il est inférieur à celui des autres agents de la fonction publique, de nombreux conjoints ayant renoncé à travailler.

Un sujet très sensible est celui des retraites. On entend souvent dire que les militaires bénéficient d'un régime dérogatoire. C'est une erreur sémantique. La pension que touche un militaire au bout de 17 ans de service, qui n'est pas une retraite à taux plein, est la compensation de sa disponibilité de chaque instant lorsqu'il était dans l'armée et du non-paiement des heures supplémentaires.

Il y a donc une inquiétude, aggravée par le fait qu'il est difficile de retrouver un emploi dans le privé après l'âge de 45 ans. La tentation existe donc de partir en retraite encore plus tôt.

Dans l'éventualité d'une remise en cause du principe de la reconnaissance de la nation envers ces personnes qui ont donné leurs années de jeunesse à l'armée, tout en supportant les contraintes de mobilité et de disponibilité, on peut craindre des difficultés de recrutement à l'avenir.

Je conclurai par quelques pistes.

La première est liée à l'attractivité du métier. La question de la revalorisation des rémunérations se posera inévitablement. En France, les militaires sont plutôt moins bien payés que dans les autres pays.

Il conviendrait de limiter la mobilité aux nécessités liées au service et à l'acquisition des compétences.

Il nous faut également apporter des réponses sociales, en particulier pour le logement. De nombreux cadres militaires doivent venir à Paris à un moment de leur carrière ; compte tenu du niveau des loyers dans la capitale, ils renoncent à le faire ou sont contraints au célibat géographique.

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