Selon vous, « le logiciel est une infrastructure ». Cette formule apporte une véritable valeur ajoutée à notre raisonnement. Mais, à ce sujet, jugez-vous irréversible l'appropriation d'internet par un petit nombre de grands opérateurs au comportement monopolistique, notamment dans le domaine des systèmes d'exploitation ? Dans quelles conditions les logiciels libres peuvent-ils reconquérir une part de marché significative ? D'ailleurs, seront-ils destinés à tous ou bien seront-ils réservés à la valeur ajoutée de ceux qui créent de l'activité et qui innovent ?
Votre expérience de la recherche et de l'industrie vous donne-t-elle le sentiment qu'il existe, à cet égard, des obstacles typiquement français ? Vous évoquez la question des talents : à ce titre, on pense aux problèmes de financement et aux effets de taille. Comment rivaliser avec les acteurs américains, qui sont de taille mondiale, qui disposent de financements en conséquence et qui peuvent s'offrir les talents dont ils ont besoin ? Au fond, dans ce monde ouvert, marqué par une certaine unité culturelle, où le brain drain doit marcher à fond, la lutte n'est-elle pas profondément déséquilibrée ? L'Europe en général et la France en particulier ne sont-elles pas structurellement mal outillées pour cette chasse aux talents ?
L'Inria considère-t-il que la France est suffisamment présente dans les instances de gouvernance et de normalisation des systèmes numériques mondiaux ? Nous avons été étonnés de voir certains organismes se retirer de cette gouvernance au motif qu'en définitive il ne s'y passait rien d'important. À ce sujet, quel est votre sentiment et quelle devrait être selon vous la politique de la France ? Dans le même esprit, comment soutenir les logiciels libres ? La commande publique, pour l'équipement des administrations, peut-elle être un levier d'action ? À l'inverse, ne risque-t-on pas de nourrir l'illusion d'un cloud national souverain ? Bref, quel doit être le jeu d'une grande puissance qui n'est pas, hélas ! la première en la matière - à savoir la nôtre ?
Enfin, en tant que représentants des territoires, nous sénateurs regardons avec une certaine inquiétude la métropolisation à l'oeuvre. L'Île-de-France n'a rien perdu de sa superbe, bien au contraire. Heureusement, quelques métropoles émergent en dehors d'elle, parce que l'industrie les a choisies comme points d'appui : ainsi de Toulouse ou de Bordeaux pour l'aéronautique. Mais, au-delà, nous avons le sentiment que les universités de province s'essoufflent un peu et sont désormais sur la défensive. Le ressentez-vous également ?