Intervention de Bruno Sportisse

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 2 septembre 2019 à 15h40
Audition de M. Bruno Sportisse président-directeur général de l'inria

Bruno Sportisse, président-directeur général de l'Inria :

J'ai simplement mentionné la dynamique singulière des logiciels libres : mon discours n'était en aucun cas exclusif. Chaque année, une centaine de nouveaux logiciels sont reconnus par les équipes de l'Inria. Certains sont libres, d'autre non, car la création de valeur ne le permet pas. Sur ce sujet, il ne faut pas avoir de dogme dans un sens comme dans l'autre.

Cela étant, le monde du logiciel libre permet souvent aux acteurs économiques de recruter les talents dont ils ont besoin en puisant dans les communautés de développeurs. Il est important que les acteurs européens, notamment français, y prennent leur part.

Au sujet d'internet, la dynamique des standards ouverts peut être un levier d'action pour la France et pour l'Europe. Le web s'est précisément constitué sur la base de quelques standards ouverts, partagés par une communauté construite il y a plus de vingt ans, à savoir le W3C. Ce dernier repose sur quatre piliers, dont l'un est à Sophia Antipolis, où l'Inria a d'ailleurs l'un de ses centres régionaux. Je suis moi-même président de ce noeud européen du web. Cette dynamique de standards ouverts s'inscrit dans un cadre multilatéral et, si elle est renforcée, elle est de nature à ne pas tomber dans les biais que vous avez évoqués. En d'autres termes, les instances multilatérales existent déjà : il faut être capable de les faire vivre dans la durée en se gardant de toute naïveté.

Pour ce qui concerne l'articulation entre la recherche et l'industrie, la clef est la mobilité entre le monde académique et le monde de l'entreprise. Le secteur numérique s'y prête bien, et la loi Pacte est de nature à renforcer cette articulation dans la durée. À ce titre, pour ce qui concerne le numérique, je suis plutôt optimiste : il existe de nombreux exemples de mobilité réussie dans la durée, notamment en Amérique. De son côté, la France a des marges de progression.

En revanche, le brain drain est un grave sujet de préoccupation, qui impose de se pencher sur l'environnement de recherche offert à nos talents. C'est tout l'enjeu du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche annoncé par le Premier ministre. Nos talents doivent rester durablement dans nos laboratoires pour créer de la valeur en France. Pourquoi, à trente-cinq ans, un chercheur de niveau mondial resterait-il en France, dans le secteur public, avec des conditions salariales significativement dégradées ? Les grands du numérique disposent de laboratoires de recherche menant des travaux tout aussi fondamentaux que nos laboratoires publics. En revanche, ainsi privatisée, l'action d'un chercheur ne sera peut-être plus à même de créer des emplois. Il est donc essentiel de garder ces chercheurs dans le secteur public, en lien avec l'industrie, car il faut sans cesse former de nouveaux jeunes. C'est l'enjeu du plan Intelligence artificielle et de la constitution d'instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle, les 3IA ; c'est l'enjeu de la programmation pluriannuelle ; et ce combat doit être mené dans la durée. Si le brain drain devient massif, s'il n'y a plus de talents, il n'y aura plus de souveraineté.

Vous évoquez les instances de gouvernance mondiale et la question de la standardisation. C'est un sujet clef, qui suppose une bonne coordination entre la recherche et l'industrie. Un nombre significatif de nos chercheurs est engagé dans des actions de standardisation, et l'un des volets du plan Intelligence artificielle y est consacré. Il s'agit à la fois d'un enjeu éthique et d'une question industrielle.

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