Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes plusieurs dans cette enceinte à aimer nous référer à notre riche histoire parlementaire, où l’on puise parfois de belles leçons sur la fabrication de la loi. C’est le cas pour la loi Bichet, qui après des débats très animés sur les modalités du démantèlement du monopole d’Hachette a jeté, dès 1947, les bases d’un système de distribution efficace ayant perduré jusqu’à nos jours, par-delà les alternances politiques.
Je note au passage que Robert Bichet, député de Seine-et-Oise, n’était pas communiste, comme beaucoup l’ont pensé, mais MRP ! §Quoi qu’il en soit, il a suivi l’esprit du programme du Conseil national de la Résistance, et nous saluons le choix du Gouvernement d’avoir maintenu ce cadre législatif.
Monsieur le rapporteur, vous l’avez rappelé : en 1947, il s’agissait principalement de garantir une distribution indépendante de la presse, afin qu’elle ne puisse dépendre de nouveau du bon vouloir d’un opérateur à la merci du pouvoir politique. La réponse du législateur de l’époque avait été particulièrement innovante, puisqu’elle établissait un système coopératif unique au monde.
La question qui nous est posée aujourd’hui est légèrement différente : il convient d’adapter économiquement ce système aux évolutions technologiques et à la diversification des modes d’information de nos concitoyens.
Tout d’abord, l’émergence de la télévision et d’internet a durablement affecté les ventes de titres de presse nationaux, la presse régionale réussissant à tirer son épingle du jeu. Notre presse d’information politique et générale a, semble-t-il, tardé à adapter son modèle économique à la diffusion en ligne, par rapport aux grands titres de la presse anglo-saxonne.
En outre, les dysfonctionnements liés à la situation monopolistique de Presstalis ont aggravé le décalage entre le mode de vie des Français, pour qui l’immédiateté tient désormais une place importante, et la livraison de titres papiers, parfois perçue comme archaïque. Ces dysfonctionnements ne sont d’ailleurs pas sans conséquences économiques pour les points de vente qui quadrillent nos territoires.
Nous observons donc avec satisfaction que ce texte met un terme à quelques anomalies, en particulier le maintien d’un acteur économique défaillant comme Presstalis l’est devenu. S’il avait été confronté à la seule loi du marché, il n’existerait probablement plus aujourd’hui.
Ce projet de loi permet également de prévenir les dévoiements constatés du fait de l’ouverture de ce généreux système de diffusion à un grand nombre de publications de divertissement. La crise de Presstalis nous a imposé de reconsidérer l’accessibilité, afin de mieux la recentrer sur l’intérêt général, donc sur la mission d’information de nos concitoyens, sans toutefois mettre en danger la presse spécialisée.
Enfin, ce texte apporte une réponse aux préoccupations des kiosquiers et de leurs clients. Il s’agit d’un enjeu majeur dans les territoires tenus en marge de la transition numérique par les retards d’installation d’infrastructures.
Malgré l’ouverture à la concurrence du « deuxième niveau », celui des diffuseurs, et la remise à plat des modalités de la régulation désormais confiée à l’Arcep, les grands principes de la loi Bichet ont été maintenus : nous nous en félicitons également. Les élus du groupe du RDSE, et ma collègue Françoise Laborde en particulier, s’étaient d’ailleurs attachés à ce que la garantie du pluralisme nécessaire à un débat d’idées équilibré figure désormais parmi les objectifs de l’Arcep. En effet, il nous paraît essentiel d’inclure cette préoccupation dans le logiciel du nouveau régulateur, afin qu’il puisse adapter ses pratiques dans ce nouveau champ de compétences qui s’offre à lui.
Nous saluons donc le maintien de notre amendement. Nous nous réjouissons par ailleurs d’avoir été entendus quant aux modalités de saisine en urgence de l’Arcep en cas de manquement à l’obligation de distribution d’un titre de presse.
À l’inverse, nous avons entendu les arguments concernant notre proposition, adoptée par le Sénat, de transformer l’avis simple des maires en avis conforme, en cas d’installation de points de presse en zone commerciale. Il s’agissait de permettre aux maires de protéger la vitalité de leurs centres-villes. Nous verrons à la longue s’il faut y revenir : nous n’y reviendrons pas pour l’instant.
Il nous faudra encore veiller à la vitalité des titres de presse, point que nous avions souligné au moment des débats sur les conditions de diffusion des premiers numéros.
Nous soutiendrons ce projet de loi. Mais, à l’heure de l’adopter, la faiblesse de notre droit s’agissant de la diffusion d’informations en ligne reste ma plus grande préoccupation. Peu de nos concitoyens le savent : les modalités d’acheminement de l’information sur internet échappent aux règles garantissant le pluralisme et les grands principes de la loi Bichet, y compris sur les sites internet de grands titres de presse. C’est la conséquence du modèle économique adopté par les acteurs du numérique, qui, en traitant toutes les informations comme des produits sans isoler l’information politique et générale, conduit à rendre les choix éditoriaux plus opaques et à enfermer le citoyen dans un algorithme de « préférences » sollicitées ou déduites de son activité en ligne, sur lequel nous n’avons que peu de prise !