Je souhaiterais, à titre liminaire, évoquer notre méthode de travail. Nous avons discuté en amont avec les présidents de groupes politiques, avec les deux rapporteurs de votre commission, ainsi qu'avec le Président Gérard Larcher, et nous nous sommes inspirés des travaux menés au Sénat par les commissions et la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Nous souhaitons bâtir un texte le plus consensuel possible, pragmatique et qui permette de proposer des réponses concrètes aux enjeux du bloc communal. Les questions relatives à l'articulation entre l'État et les collectivités territoriales feront l'objet d'un autre projet de loi. Le présent texte doit également traduire les ambitions du grand débat, durant lequel le Président de la République et les maires ont échangé pendant quatre-vingt-seize heures. Il ne s'agit pas de légiférer en défensive au regard de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, mais de tirer les conclusions opérationnelles de l'application des lois successives sur les questions territoriales et d'adapter notre droit en conséquence. Nous souhaitons enfin répondre à trois sentiments exprimés par les élus locaux.
Le premier sentiment réside dans le fait qu'il apparaît plus difficile qu'autrefois d'exercer un mandat local, en raison notamment d'un accroissement des contraintes normatives d'origine législative ou réglementaire. Nous proposons donc diverses mesures de simplification. Certaines obligations deviendront ainsi optionnelles, ce qui ne manquera pas d'animer nos débats. À titre d'illustration, mon ministère reçoit déjà de nombreux courriers et questions écrites sur la création des conseils de développement que nous souhaitons laisser au choix des élus. Je pense de même à la proposition de loi proposée par le groupe socialiste du Sénat sur les funérailles républicaines où les débats avaient été vifs, chaque partie faisant état d'arguments de bonne foi. De fait, toute mesure de simplification entraîne un débat de doctrine entre la liberté et l'égalité. Le débat parlementaire permettra sûrement d'intégrer au texte d'autres mesures de simplification. Certaines dispositions ressortent davantage d'un assouplissement, comme cette mesure chère à Stéphane Bern concernant les 80 % de subvention maximale pour un maître d'ouvrage, y compris sur du patrimoine non classé. Elle permettra concrètement à des communes rurales de sauver des édifices en péril. Réglementairement, le Gouvernement a récemment rehaussé les seuils de déclenchement de mise en concurrence dans le cadre des marchés publics. Il s'agit d'actes concrets en faveur de la liberté et de la souplesse d'exercice des mandats locaux.
Le projet de loi tente également de répondre au sentiment de dépossession, souvent lié à l'organisation intercommunale, exprimé par les élus locaux et relayé par les travaux du Sénat et de l'Association des maires de France. Nous proposons à cet effet plusieurs mesures autour du triptyque compétences-gouvernance-périmètre, qui essaient de répondre aux injonctions contradictoires des élus hésitant entre une volonté profonde de corriger les irritants de la loi NOTRe et un désir de stabilité institutionnelle. Il s'agit de régler des situations locales parfois délicates sans rejouer un grand soir les collectivités territoriales. En matière de gouvernance, le texte réaffirme qu'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) n'est pas une collectivité territoriale, mais un établissement public au service du bloc communal. Dès lors, les maires et les conseillers communautaires élus se trouvent au centre de sa gouvernance. Quant au périmètre des EPCI, il convient de rappeler qu'une modification n'est jamais sans incidence sur les dotations. La prudence doit donc rester de mise. En supprimant la révision sexennale des schémas départementaux de coopération intercommunale, de même qu'en étendant aux communautés d'agglomération la procédure dérogatoire de retrait d'une commune qui existe aujourd'hui dans les communautés de communes, nous reprenons des propositions du Sénat.
Pour ce qui concerne, enfin, les compétences, le texte assouplit les délégations en matière d'eau et d'assainissement. Nous ne pouvons pas constater que les intercommunalités s'agrandissent sans imaginer des outils de différenciation pour demain. Le schéma des compétences actuel ressort d'un système par bloc : une compétence appartient à la commune ou à l'intercommunalité, avec des impacts sur le coefficient d'intégration fiscale (CIF) et sur les dotations - les questions institutionnelles ne peuvent être déconnectées des questions financières. Nous proposons d'inventer une forme de différenciation au niveau intercommunal : certaines communes peuvent vouloir conserver leur régie, en particulier dans les zones de montagne où la ressource en eau varie considérablement d'un territoire à l'autre, tandis que d'autres ont besoin que l'intercommunalité exerce les compétences « eau » et « assainissement ». Au sein des grandes intercommunalités, des compétences techniques qui demandent de la solidarité et de l'interconnexion méritent peut-être des solutions juridiques autorisant le conseil communautaire à faire preuve de souplesse dans le partage des compétences en déléguant à des communes volontaires. Certains voudraient voir ce mécanisme étendu aux autres compétences, mais il faut veiller à ne pas désintégrer progressivement les ensembles intercommunaux. Notre proposition offre une forme de liberté et d'innovation.
J'en viens aux questions liées aux attributions du maire en tant qu'agent de l'État et autorité de police municipale. Là aussi, nous avons voulu répondre à un sentiment de dépossession. Au-delà des événements tragiques de cet été à Signes, il apparaît anormal qu'un maire ne dispose pas des moyens d'exécuter convenablement ses arrêtés de police. Je ne sais ce qu'ont répondu les 3 812 maires au questionnaire de la commission des lois, mais parmi ceux que j'ai rencontrés lors de mes déplacements, aucun n'a déclaré ne plus vouloir être officier de police judiciaire (OPJ). Ils souhaitent, en revanche, bénéficier des moyens suffisants pour exercer leurs tâches, notamment en matière de police administrative. Des compétences qui appartiennent au préfet pourraient être confiées au maire, en particulier dans le domaine de l'urbanisme. Les élus sont compétents sur la stratégie comme sur le contenu des documents d'urbanisme : pourquoi ne pas leur confier le pouvoir de sanction ? Il s'agit d'une mesure de bon sens. Les amendes administratives établies par le maire doivent profiter au budget communal, ce qui participera à la vie citoyenne dans la commune.
Le troisième sentiment exprimé par les élus locaux concerne le besoin de protection juridique et psychologique. J'ai reçu les maires agressés ces derniers mois. Ils font avant tout état d'un profond sentiment de solitude, y compris psychologique. J'étais président d'un service départemental d'incendie et de secours (SDIS) : quand un sapeur-pompier volontaire ou professionnel est victime de violence, une mesure d'accompagnement psychologique est automatiquement déclenchée. Il n'y a aucune raison que tel ne soit pas le cas pour les élus ! Désormais, il sera possible d'activer un dispositif d'accompagnement pris en charge par l'État dans chaque commune. La protection juridique constitue également un enjeu majeur. Or il est peu fréquent qu'un élu présente une facture de frais d'avocat au conseil municipal d'une commune rurale, de même que ces collectivités s'assurent rarement contre le risque juridique. Nous avons vu des maires arriver seuls au tribunal correctionnel, tandis que leur agresseur avait requis les services d'un avocat ! Le projet de loi rend obligatoire l'assurance juridique pour les communes, avec une prise en charge par l'État pour les plus petites d'entre elles.
Nous souhaitons également renforcer la formation des élus, trop rare dans les communes rurales, notamment depuis qu'elle n'est plus guère assurée par les partis politiques. Le droit individuel à la formation (DIF) a constitué un premier élément de réponse, mais les crédits, gérés par la Caisse des dépôts et consignations, sont déjà largement consommés. Nous solliciterons à cet effet une habilitation à légiférer par ordonnance, car le dispositif nécessite une concertation technique avec les services du ministère du travail, notamment pour créer une passerelle avec le compte personnel de formation. Parallèlement, nous travaillons avec les instituts d'études politiques et les universités sur la valorisation des acquis de l'expérience. Quand on a été adjoint à la commande publique ou aux finances pendant douze ans, il ne semble pas illégitime de se voir reconnaître un crédit universitaire dans ces champs de compétence.
Les indemnités de fonction représentent enfin un sujet délicat, sur lequel Jacqueline Gourault et moi-même nous sommes sentis assez seuls. Il reste culturellement difficile, en France, de parler d'élus, de politique et d'argent... J'ai adressé un courrier à François Baroin, président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), sur ce thème, resté sans réponse, contribution, ni recommandation. Étant moi-même adhérent de l'AMF, j'avoue me sentir quelque peu orphelin... André Laignel, premier vice-président délégué de l'AMF, s'est exprimé vivement sur le sujet. Je crois qu'il convient plutôt de le traiter à froid, en restant dans le cadre d'un équilibre vigilant et en évitant toute démagogie ou « élus bashing ». Le texte propose de gommer les effets de seuil. Comment expliquer au maire d'une commune de 485 habitants qu'il peut obtenir 600 euros d'indemnités par mois, alors que son collègue maire d'une commune de 505 habitants, dont la charge est sensiblement identique, bénéficie de 1 200 euros mensuels ? Par ailleurs, le Gouvernement regardera avec bienveillance, en levant l'irrecevabilité, les amendements qui rétabliront la possibilité d'indemniser les présidents et vice-présidents de syndicats infracommunautaires. Il ne s'agit nullement d'une mesure démagogique : le président d'un syndicat endosse une responsabilité pénale en tant qu'acheteur public et employeur et il semble normal qu'il soit indemnisé en conséquence. La question indemnitaire a accéléré le calendrier parlementaire, car la loi NOTRe prévoit la suppression des indemnités syndicales au 1er janvier 2020. Enfin, il sera possible de répartir avec davantage de souplesse les enveloppes indemnitaires entre les élus, dans le respect des règles de transparence et du contrôle de légalité. À titre d'illustration, vous ne pouvez actuellement pas nommer un conseiller municipal délégué au sein du conseil municipal si le tableau d'adjoints n'est pas complet et si les adjoints n'ont pas tous reçu une délégation de fonction : il s'agit d'une rigidité qui empêche le maire d'organiser la vie municipale. Par ailleurs, les frais de déplacement des conseillers communautaires au sein de l'intercommunalité pourront être pris en charge.
Je terminerai par plusieurs sujets qui pourraient apparaître au cours des débats, soit par un amendement du Gouvernement, soit à l'issue d'un travail de coproduction mené avec les rapporteurs. S'agissant de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, je crois savoir que plusieurs sénateurs du département des Bouches-du-Rhône déposeront conjointement un amendement visant à reporter de quelques années le transfert de la voirie à la métropole. Mme Delattre et le groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) ont déposé une proposition de loi relative au médiateur territorial. En séance publique, je m'étais engagé à reprendre un dispositif jugé opérationnel dans le présent projet de loi : un amendement en ce sens sera donc accepté par le Gouvernement. En revanche, les propositions relatives à la police municipale à Paris n'y ont pas leur place ; ils concernent le texte qui sera présenté l'année prochaine par mes collègues Christophe Castaner et Laurent Nunez sur le continuum de sécurité. Un livre blanc est en préparation, y compris sur les sujets de police privée et de sécurité dans les collectivités territoriales. Il conviendra, à cette occasion, de réfléchir à des mutualisations et d'imaginer une doctrine d'emploi de la police municipale en milieu rural. S'agissant de la protection fonctionnelle et des frais de garde, après échanges avec les associations d'élus et avec les rapporteurs, le Gouvernement vous proposera en séance publique de rehausser le seuil de prise en charge de 1 000 habitants à 3 500 habitants, afin de prendre en considération la diversité de la ruralité.