Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à titre liminaire, je veux citer trois éléments fondamentaux qui ont nourri la réflexion qui m’a conduit à déposer cette proposition de loi.
Premièrement, j’ai lu, dans l’éditorial d’une revue spécialisée, que « tout se passe comme si, dans l’esprit de nos contemporains, le recours à la violence était en passe de devenir un moyen légitime de défendre ses intérêts et de promouvoir ses convictions. »
Deuxièmement, je veux rappeler les termes de l’article V de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché ».
Troisièmement, je veux citer un extrait de la lettre que deux membres du Gouvernement, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, et Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, ont adressée au rapporteur du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité avant la réunion de la commission mixte paritaire le 25 juin dernier : « Le Gouvernement reconnaît que certaines formes d’actions militantes contreviennent au libre exercice d’activités autorisées par la loi et que ce sujet mérite d’être examiné par le Parlement. »
Je suppose, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez échangé avec vos collègues sur ce sujet ! Cette lettre faisait suite à l’adoption par le Sénat d’un amendement visant à sanctionner les entraves aux activités cynégétiques, à une majorité très significative – 222 voix contre 90.
Je veux également insister sur l’ambiance actuelle et affirmer de manière très claire que la France rurale souffre : pas une semaine et pas une journée ne s’écoulent sans que l’on apprenne, par les réseaux sociaux ou un communiqué de presse, qu’à tel ou tel endroit de la France – aucun n’est épargné – des activistes voulant imposer leurs idées par la force ont entravé, menacé ou violenté.
Ainsi, récemment, des bâtiments d’élevage ont été incendiés dans l’Orne. Récemment, les quatre boucheries de Lamotte-Beuvron, dans le Loir-et-Cher, ont été taguées au cours de la même nuit. Récemment, dans mon département du Loiret, alors que le département était parfaitement en règle pour réaliser un franchissement de la Loire, projet engagé voilà vingt ans, on a vu un certain nombre d’activistes s’allonger sur la route pour empêcher l’accès des engins au chantier – c’est ce que l’on appelle de l’obstruction passive.
Je ne m’attarderai pas sur le fait que de multiples permanences parlementaires ont été attaquées dans toute la France, certaines ayant parfois été simplement bloquées, sans violence, par des activistes stationnés devant l’entrée.
Pour revenir à la chasse, cet été, de nombreuses fédérations de chasseurs ont vu leur siège attaqué ou incendié.
Tous ces exemples, que l’on pourrait multiplier à l’envi, montrent que notre société est malade.
Ces actions subversives – c’est peut-être un grand mot – suscitent une très forte attente dans le monde rural. Je puis d’ailleurs vous dire que l’inscription à l’ordre du jour du sujet de cette proposition de loi a incité de nombreux représentants des activités rurales, commerciales ou artisanales à me solliciter, souhaitant être reçus pour m’exposer leurs souffrances et leur peur quotidienne.
Au-delà des agriculteurs, des semenciers et des éleveurs, les bouchers, charcutiers et poissonniers – tous les commerces de bouche, en fait – sont eux aussi concernés. Prévoir des sanctions contre ceux qui attaquent ou détériorent leur commerce ne suffit pas. Actuellement, stationner devant leurs portes pour dissuader passivement les clients d’y accéder n’est pas sanctionné.
Il était nécessaire de faire évoluer l’arsenal répressif pour l’adapter à ces nouvelles formes de contestation que constituent l’entrave ou l’obstruction passive, véhiculées sur les réseaux sociaux par des activistes souvent non solvables, pour qui la sanction contraventionnelle reste sans effet.
Il était donc impératif d’adapter l’article 431-1 du code pénal à cette évolution relativement récente, pour rendre la sanction plus universelle, avec comme principe de base le fait que chacun puisse défendre ses idées dans un cadre légal par la communication, la persuasion, voire des propositions faites au législateur, mais pas par la force et la violence. C’est du simple bon sens, qu’il faut traduire en droit.
L’équilibre a été difficile à trouver entre une rédaction très générale, qui risquait d’être sanctionnée par le Conseil constitutionnel, comme l’était celle du texte à l’origine, et la nécessité de prévoir toutes ces nouvelles formes d’obstruction que nous connaissons.
Nous y avons beaucoup travaillé ensemble. J’en profite d’ailleurs pour remercier très sincèrement M. le président de la commission, M. le rapporteur et mes collègues du groupe Union Centriste.
Mes chers collègues, je vous invite à voter l’amendement qu’a déposé hier notre collègue Jean-Paul Prince : il me semble traduire cette recherche d’un équilibre entre la nécessité de prévoir de manière précise les attitudes à sanctionner – en particulier, en opérant une graduation dans les sanctions en fonction de la gravité des entraves – et le souci de se prémunir contre une censure constitutionnelle.
La démarche était extrêmement difficile, mais je pense que nous avons atteint notre objectif. Je le répète, l’attente est très forte dans tous les départements ruraux.
Pour conclure, je sais que certains nous reprocheront de présenter un texte liberticide. C’est tout le contraire ! Ce texte permet de rendre à chacun la liberté d’agir légalement sans risquer d’être lui-même menacé ou ostracisé. C’est son fondement même. Je rappelle que, aux termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une activité prévue par la loi ne peut pas être empêchée.
Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que l’engagement de vos deux collègues permettra à ce texte d’être discuté rapidement à l’Assemblée nationale.
D’ailleurs, lors de la discussion, en commission mixte paritaire, du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Mme Braun-Pivet, avait suivi le même raisonnement que Mme Wargon et M. Fesneau : elle m’avait garanti que la commission des lois verrait avec intérêt un texte voté par le Sénat sur ce sujet particulier.
Mes chers collègues, le Sénat a toujours été très proche des territoires et de la ruralité. Le signe que vous donnerez aujourd’hui en votant ce texte largement s’inscrira dans la continuité des actions permanentes de notre Haute Assemblée en faveur du monde rural !