Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, notre droit est protecteur des libertés. C’est un fondement de notre démocratie, et nous y sommes tout particulièrement attachés.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui part d’une intention louable : celle de renforcer la protection des libertés individuelles et de prendre en compte l’évolution de plus en plus violente des mouvements de contestation.
En particulier, cette proposition de loi vise les entraves à la chasse et les violences répétées menées contre certaines professions – j’y reviendrai.
Avant toute chose, je tiens bien sûr, au nom du Gouvernement, à condamner extrêmement fermement les violences de tout type. La liberté de contester et de s’opposer est un droit fondamental, la violence, elle n’est pas excusable.
Le Président de la République et le Premier ministre ont fait part, à l’issue du grand débat national, de leur volonté qu’un plan contre les violences soit mis en place. Avec le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, nous sommes pleinement mobilisés contre la banalisation de la violence et je veux vous dire notre détermination.
Aussi, le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit d’étendre les dispositions de l’article 431-1 du code pénal sur le délit d’entrave, de deux manières : d’un côté, par la suppression de l’exigence de menaces pour une entrave portant sur la liberté d’expression, de travail, d’association ou de manifestation – l’expression « par des menaces » serait ainsi remplacée par l’expression « par tous moyens », beaucoup plus générale – ; de l’autre, par la création d’une cinquième forme d’entrave, réprimant « le fait d’empêcher la tenue de tout évènement ou l’exercice de toute activité autorisée par la loi ».
Si je comprends parfaitement la volonté des auteurs de la proposition de loi, il ne m’est pas possible d’émettre un avis favorable à son sujet. En effet, le texte qui nous est proposé pourrait s’avérer contreproductif, parce qu’il rend trop flous les éléments constitutifs du délit d’entrave et qu’il existe un risque important que sa rédaction ne soit pas constitutionnelle.
J’ai bien noté qu’un amendement avait été déposé, afin de réécrire l’article du texte et d’apporter un certain nombre de précisions, mais cela ne modifie pas notre analyse – nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion des articles.
La rédaction retenue pour une nouvelle cinquième forme d’entrave demeure extrêmement large et imprécise. Les infractions ne sont pas suffisamment caractérisées. Leur spectre d’application est trop large, ce qui pourrait nécessairement comporter une part d’arbitraire dangereuse pour l’équilibre des droits. De ce fait, il est probable que de telles dispositions soient censurées par le Conseil constitutionnel.
Si cet obstacle est suffisant pour justifier la position du Gouvernement, les modifications apportées par la proposition de loi ne semblent du reste pas nécessaires au regard des objectifs du texte.
En effet, l’exposé des motifs fait état d’un certain nombre de cas où la proposition de loi s’appliquerait. Je ne vais pas en faire la liste, mais on compte notamment les blocus empêchant les spectateurs d’assister à des spectacles, les actions empêchant certains commerçants de réaliser leurs ventes ou encore, comme cela a été mentionné dans les travaux réalisés autour de la proposition de loi, pour entraver la pratique de la chasse.
Or il apparaît que toutes ces entraves sont d’ores et déjà couvertes par l’article 431-1 du code pénal ou sont sous le coup d’incriminations spécifiques. Pour ne citer qu’un exemple, l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement prévoit une sanction en cas d’obstruction à des actes de chasse. De fait, la proposition de loi ne paraît pas utile, et sa constitutionnalité est à nouveau questionnable au nom du principe de nécessité des peines.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais qu’il y a, derrière cette proposition de loi, une crainte que vous rencontrez dans les territoires, celle de la recrudescence des actions violentes, menées notamment par les antispécistes.
Soyez assurés que Christophe Castaner et moi-même sommes pleinement mobilisés sur le sujet. D’ailleurs, la convention signée entre la gendarmerie et la FNSEA continue à se déployer, et la gendarmerie nationale a créé une cellule spécialement consacrée à ce phénomène, afin d’améliorer son action et de mieux travailler en coordination avec les services de renseignement, qui se mobilisent de plus en plus sur ces thématiques.
Comme je le disais au début de mon intervention, nous ne tolérons aucune violence et nous n’acceptons pas que ce phénomène puisse toucher gratuitement nos éleveurs, nos artisans ou nos chasseurs. Nous les soutenons et nous continuerons à chercher avec eux, avec les forces de l’ordre, avec les services de renseignement et les parquets, les meilleurs moyens pour les protéger.
Cette action que nous menons est une réalité : depuis le début de l’année 2019, sur l’ensemble du territoire national, quelque 800 actions effectuées au nom de la défense animale ont été recensées, toutes causes confondues – contre la chasse, la consommation de viande, les spectacles taurins, les parcs aquatiques ou encore la maltraitance animale.
Je tiens à rappeler que, face à ces actions délictuelles, les forces de sécurité sont pleinement engagées : elles réalisent, bien sûr, des opérations de sensibilisation auprès des publics visés, mais, surtout, elles interviennent immédiatement sur les lieux d’infraction, renforcées en tant que de besoin par des unités spécialisées dans le maintien de l’ordre. Elles conduisent également des investigations minutieuses, qui permettent d’identifier les auteurs de ces exactions et de les faire condamner.
À l’instar de M. le rapporteur, qui l’a fait à juste titre, je veux citer certains exemples. Je pense notamment, monsieur Cardoux, à cette intrusion d’antispécistes venus en autobus d’Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas pour bloquer un élevage de porcs à Courdemanges, dans la Marne, en s’enchaînant aux installations.
Un escadron de gendarmerie a immédiatement été déployé sur les lieux, en plus des renforts en unités locales, pour sécuriser le site. Le contrôle d’un certain nombre de militants a été opéré et des investigations judiciaires ont été lancées, y compris avec nos partenaires étrangers.
Je pense également – il est très important que vous le notiez – à l’interpellation en flagrant délit de sept militants qui tentaient d’incendier un abattoir sur la commune de Jossigny, action qui a pu être entravée grâce à l’action de nos services de gendarmerie : dix individus sont aujourd’hui mis en examen sous douze chefs d’inculpation et sont placés sous contrôle judiciaire.
Dans le département du Nord, face à la multiplication d’actions de vandalisme qui ont été perpétrées par des militants radicaux, notamment à l’encontre de boucheries, les investigations ont abouti à plusieurs opérations judiciaires au cours desquelles une dizaine d’individus ont été interpellés et condamnés à des peines allant parfois jusqu’à dix-huit mois de prison…