Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Jean-Noël Cardoux soumet aujourd’hui à notre examen un texte dont l’intitulé peut laisser perplexe et, pour ne rien vous cacher, la première lecture de l’exposé des motifs ne m’a guère davantage éclairé. Plus précisément, je n’avais pas de réponse à une question simple : quels sont précisément les personnes et les actes visés par ce texte ?
Après le débat approfondi que nous avons eu la semaine dernière en commission des lois, il me semble que nous avons une réponse : ce texte vise les actes des militants véganes ou antispécistes à l’encontre des commerces ou de certaines activités comme la chasse.
Je ne méconnais pas l’actualité de ces problématiques et, comme un certain nombre des orateurs qui m’ont précédé, je condamne avec la plus grande force tous ces délits ou contraventions au droit qui posent des difficultés très importantes dans le pays.
Le débat en commission mercredi dernier a été nourri et, comme moi, plusieurs membres du groupe UC ont fait part de leurs réticences sur ce texte. Bien entendu, les critiques formulées ne visent en aucun cas à légitimer telle ou telle forme d’action militante, mais il nous paraît indispensable que, sous couvert d’intentions louables, nous ne portions pas atteinte aux libertés publiques de manière disproportionnée.
Or la rédaction initiale du texte était extrêmement peu précise, visant à faire entrer dans la définition du délit d’entrave le fait d’empêcher « tout évènement ou toute activité autorisée par la loi ». Il convient de rappeler à ce stade que c’est de notre code pénal qu’il est question cet après-midi. Celui-ci, sans être sacré, présente un caractère particulier et la formulation très générale, pour ne pas dire vague, de l’infraction que je viens de rappeler risquait sans doute d’être jugée incompatible avec le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines.
Je précise d’ailleurs que nous sommes en train d’examiner une proposition de loi et que nous ne bénéficions pas de l’éclairage juridique du Conseil d’État avant de l’examiner. Par conséquent, c’est bien à la commission des lois de cette maison d’examiner cette question.
Cet après-midi, il ne s’agit pas de modifier le code de l’environnement, comme c’était le cas avec l’amendement créant un délit spécifique d’entrave à la chasse adoptée par le Sénat, au mois d’avril dernier, lors de l’examen du projet de loi Biodiversité.
Que l’on soit pour ou contre cet amendement défendu par Jean-Noël Cardoux, il avait au moins le mérite de la clarté : il tendait à définir un délit qui ne concernait que l’entrave à la chasse, et il n’était pas question de modifier le droit pénal et le code pénal.
L’ensemble de ces éléments m’a conduit, avec plusieurs de mes collègues, à voter contre cette proposition de loi en commission.
L’opposition que nous avons formulée alors n’a pas été vaine, puisque, aujourd’hui, notre collègue Jean-Paul Prince, en collaboration avec l’auteur du texte, Jean-Noël Cardoux, et avec notre rapporteur, François Bonhomme nous propose une nouvelle rédaction de l’article unique de la proposition de loi. Celle-ci lève de nombreuses imprécisions ; elle permet également d’opérer une distinction salutaire entre les activités professionnelles, qu’elles soient commerciales ou artisanales, et les activités de loisir, comme la chasse.
Il est normal que la peine encourue lorsqu’il s’agit d’entraver une activité de loisir soit plus faible que lorsqu’il s’agit d’empêcher d’exercer une activité professionnelle.
Lors de la réunion du groupe Union Centriste aujourd’hui, nous avons largement débattu de ce texte et, à juste titre, de nombreux collègues ont fait valoir leur indignation face à des comportements violents à l’égard de certains commerçants ou à l’égard de chasseurs, comme face à l’intrusion dans des propriétés privées, comme des exploitations agricoles, ou à des actes de vandalisme.
Tous ces actes sont insupportables, et nous les condamnons évidemment. Quelle que soit la cause que l’on défend, on ne peut pas avoir recours à la violence dans notre pays. Toutefois, n’avons-nous pas déjà les outils juridiques pour faire cesser cette violence exercée contre des personnes ou contre des biens et pour en réprimer les auteurs ? Bien sûr que si !
Il est donc important de faire la part des choses. Nul besoin de légiférer aujourd’hui pour pouvoir poursuivre un militant qui aurait eu un comportement violent envers un boucher ou qui aurait incendié un poulailler. Nul besoin non plus d’un nouveau texte pour condamner l’auteur d’actes de vandalisme dans une exploitation agricole ou de vols d’animaux, ou celui qui viendrait dégrader une permanence parlementaire. L’ensemble de ces comportements tombe déjà, et c’est heureux, sous le coup de la loi pénale.
À juste titre, Philippe Bonnecarrère a rappelé ce matin en commission que ce texte participait d’une tendance préoccupante et alarmante : tout mettre dans la loi pénale et décliner à l’excès notre droit pénal spécial.
Cela explique que, au terme des débats que nous avons eus à la fois en commission des lois, à deux reprises, et lors de la réunion de notre groupe ce matin, nous voterons très majoritairement cette proposition de loi, si l’amendement proposé par Jean-Paul Prince est adopté. Un certain nombre de nos collègues nous ont indiqué vouloir s’abstenir. À titre personnel, je voterai ce texte amendé.
Avant de conclure, je tiens à attirer l’attention de la Haute Assemblée sur un point qui me semble extrêmement important.
Un certain nombre d’organisations agricoles se sont récemment mobilisées, car elles n’ont pas compris la décision prise en commission des lois la semaine dernière. Je pense qu’il faut leur adresser un message très clair : le monde agricole, lors de certaines mobilisations, bloque parfois des ronds-points, l’entrée d’un supermarché ou d’une préfecture, ou entrave la liberté d’aller et de venir, de se rendre dans un commerce ou le fonctionnement de nos administrations.
Je ne voudrais pas que ce type d’actes militants, qui sont socialement assez bien acceptés par nos compatriotes, parce qu’ils sont le fait des agriculteurs, soient pénalement sanctionnés.