Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour apprécier ce texte, il me semble important de le remettre dans son contexte.
Nous voyons bien ce qui est visé par les auteurs de cette proposition de loi : il s’agit de réprimer les entraves à l’exercice des libertés, ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisées par la loi. Nous pouvons tous, cela a été dit, souscrire à cet objectif. En effet, il ne faut pas oublier que l’histoire nous a montré que c’est souvent par des violences interdisant aux citoyens l’exercice de leurs droits et de leurs libertés constitutionnelles que des groupes ou des partis extrémistes ont imposé leur domination à des sociétés jusque-là démocratiques.
De fait, nous désapprouvons les manifestations qui font entrave à des activités légales et à l’expression de libertés publiques. Cela étant, la seule question que nous devons nous poser, en tant que législateur, est celle de savoir si les modifications proposées sont ou non pertinentes au regard du droit existant.
Or, premier constat, l’ensemble des textes existants permet déjà de sanctionner les actes de violence. L’article 431-1 est sur ce point relativement clair.
Deuxième constat, les modifications proposées aboutissent, à notre avis, à ne plus définir strictement le délit d’entrave, cela a été souligné à plusieurs reprises, ce qui est contraire au principe de l’intelligibilité de la loi. En effet, si l’on remplace les mots : « à l’aide de menaces » – l’un des éléments constitutifs du délit d’entrave – par les mots : « par tous moyens » – soit une référence générale –, les juges seront confrontés à la difficulté de caractériser les moyens d’entrave et de les imputer personnellement au prévenu. À cet égard, nous partageons complètement les propos de M. le secrétaire d’État.
À ce problème de preuve s’ajoute la complexification de la qualification. Le droit en vigueur vise le délit d’entrave, alors que l’alinéa 5 de l’article unique de la proposition de loi mentionne le fait « d’empêcher » la tenue d’un évènement. La distinction entre l’entrave et l’empêchement semble incertaine.
Troisième constat, les modifications semblent contraires au principe de légalité criminelle, qui exige la définition par la loi des comportements répréhensibles. En envisageant de réprimer ce qui viendrait « empêcher », qui plus est « par tous moyens », « tout évènement ou toute activité » dont on suppute qu’ils seraient autorisés parce que non expressément interdits, les auteurs de la proposition de loi invitent le législateur à incriminer l’ensemble du champ social.
Dans un état de droit, un comportement punissable doit au préalable avoir été défini comme tel dans la loi, cela a été rappelé. Quels que soient les inconvénients résultant de l’imperfection des textes répressifs et de l’opportunité de sanctionner un comportement déviant inédit, ce principe constitue une garantie contre l’arbitraire. L’article 114-4 du code pénal rappelle ce principe intangible : « La loi pénale est d’interprétation stricte. »
Finalement, compte tenu de la fragilité juridique de la proposition de loi, la commission des lois s’est très majoritairement, mais pas tout à fait à l’unanimité, comme l’a souligné une collègue, prononcée contre le texte.
Nos débats ont montré que, si les termes de l’actuel article 431-1 du code pénal semblent mesurés, l’extension du domaine, telle que la propose le texte, viendrait à dénaturer le sens originel et introduirait dans notre droit un délit d’entrave général disproportionné, voire dangereux, qui viserait toute contestation collective.
Cette proposition de loi est une nouvelle illustration de ce que le doyen Carbonnier appelait « l’effet macédonien », c’est-à-dire une réaction générale et abstraite face à une agression concrète et particulière de moins grande ampleur.
Cela appelle de notre part une grande vigilance, car cette proposition de loi témoigne de ce phénomène, par lequel le législateur est sollicité en vue de restreindre la liberté de tous. Cette vigilance s’est, je crois, largement exprimée lors de l’examen du texte en commission des lois, et c’est plutôt rassurant sur notre institution.
Eu égard à ces éléments, et parce que nous désapprouvons, comme les auteurs de ce texte, les actes violents et répréhensibles qui ont eu lieu contre des activités légalement autorisées, il nous semble plus opportun et proportionné de reprendre la proposition faite par notre rapporteur en commission des lois : préciser que l’entrave réprimée à l’article 431-1 du code pénal peut prendre la forme de menaces, coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, mais aussi d’actes d’obstruction ou d’intrusion, ce qui permettra de qualifier un peu plus le terme « entrave ». C’est dans cet esprit que nous avons déposé l’amendement que nous examinerons tout à l’heure.
En revanche, nous groupe sera opposé à toute extension du champ d’application de l’article 431-1 qui pourrait signifier une criminalisation de l’ensemble du champ social, car cela reviendrait à avaliser l’inversion du rapport entre le principe de légalité criminelle et le comportement répréhensible.
Or il ne faut pas inverser cet équilibre, qui est précieux pour l’exercice des libertés publiques et des libertés constitutionnelles.