Le rapport de notre collègue députée Charlotte Lecocq sur la santé au travail a fait couler beaucoup d'encre depuis sa parution, en août 2018. La proposition d'une révolution copernicienne du système de santé, articulée autour d'une agence nationale, France Santé Travail, et de guichets uniques régionaux, a été diversement accueillie par les partenaires sociaux et les acteurs de la prévention : si certains y ont vu un effort de simplification bienvenu dans un paysage particulièrement fragmenté, d'autres ont regretté une inadéquation du schéma proposé avec le service de proximité que les entreprises, qui financent la santé au travail, sont en droit d'attendre.
Pour autant, le rapport Lecocq a eu le mérite de poser la question de la cohérence de notre système de prévention des risques professionnels et du service rendu aux principaux intéressés, les salariés et les entreprises. Le sujet est politiquement et socialement délicat : au sein du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT), les partenaires sociaux ont échoué à s'entendre sur les orientations à impulser pour la réforme de la santé au travail. Le Gouvernement, qui reste déterminé à intervenir, annonce un projet de loi pour l'année prochaine.
Notre commission a décidé de prendre part à ce débat en se penchant sur les principaux axes de réforme envisagés par le Gouvernement : la gouvernance du système de santé au travail, son financement et ses missions fondamentales. Pascale Gruny et moi-même avons entendu au cours de cinquante et une auditions plus de cent personnes, représentant l'ensemble des parties prenantes ; nous avons également effectué deux déplacements, dans les Hauts-de-France et au Danemark.
Nos propositions s'articulent autour des quatre objectifs qu'il nous semble nécessaire d'assigner à toute réforme de la santé au travail : améliorer la cohérence et la lisibilité de la gouvernance ; garantir un service universel de santé au travail à tous les travailleurs, et pas seulement aux salariés ; renforcer les moyens humains et financiers de la santé au travail ; enfin, faire de la santé au travail une composante à part entière de notre politique de santé publique, en l'imposant comme un levier de la prévention primaire.
En matière de gouvernance, le réseau des services de santé au travail (SST) pâtit de l'absence d'un pilotage national propre à garantir des prestations de qualité sur tout le territoire et pour l'ensemble des entreprises, quel que soit leur effectif. De fait, aucun référentiel national des prestations que les SST sont tenus d'assurer n'existe. En pratique, faute de coordination nationale et de moyens, la politique d'agrément mise en oeuvre par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) a échoué à garantir une qualité des prestations des SST homogène sur le territoire.
Un interlocuteur national unique capable de définir un socle de prestations et d'en assurer l'effectivité nous semble donc s'imposer. C'est pourquoi nous proposons la création d'une agence nationale de la santé au travail, ayant pour missions principales d'établir un référentiel de certification des SST, de fournir à ceux-ci un large éventail d'outils d'intervention en matière de prévention et de favoriser l'utilisation d'un seul système d'information dans tous ces services.
Cette agence, qui rassemblerait en son sein différents organismes nationaux intervenant dans la prévention des risques professionnels, aurait le statut d'un groupement d'intérêt public, avec pour membres l'État, au travers des ministères du travail, de la santé et de l'agriculture, la sécurité sociale, au travers de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et la Mutualité sociale agricole (MSA), ainsi que les agences sanitaires compétentes en matière de santé au travail, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) et Santé publique France.
La procédure de certification des SST suivrait la logique de celle qui a été mise en oeuvre par la Haute Autorité de santé (HAS) pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous considérons en effet la santé au travail comme une mission de service public déléguée à des organismes privés : il n'y a pas de raison que les SST soient les seules structures de santé où se pratique la médecine à ne pas faire l'objet d'une certification, quand bien même la prise en charge y est essentiellement préventive.
Pour ce qui est de l'organisation du réseau territorial de la santé au travail, nous écartons la mise en place d'un guichet unique régional, proposée par le rapport Lecocq. Nous estimons en effet que le réseau doit continuer de reposer sur le service de proximité que les SST doivent incarner. En revanche, des marges de manoeuvre existent dans l'articulation de ces services avec les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et les associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract), pour clarifier la répartition des compétences et mieux distinguer conseil et contrôle.
Les Carsat offrent une vraie valeur ajoutée, compte tenu de la complémentarité de leurs missions d'assureur et de conseil ; en repérant les entreprises à la plus forte sinistralité, elles sont capables d'orienter les actions de prévention vers les entreprises qui en ont prioritairement besoin. Quant aux Aract, elles se sont spécialisées dans l'amélioration de la qualité de vie au travail. Une réunion de ces deux types de structures au sein de caisses régionales de la santé au travail offrirait une expertise couvrant l'ensemble des risques professionnels. Toutefois, aucun rapprochement ne saurait donner lieu à une réduction des effectifs : l'État et la sécurité sociale se sont engagés, dans la convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP, au maintien des effectifs de préventeurs.
La collaboration entre, d'une part, les SST et, d'autre part, les Carsat et les Aract serait renforcée en privilégiant des protocoles d'intervention graduée. Les caisses régionales de la santé au travail alerteraient les SST sur les entreprises à fort risque de sinistralité. Ensuite, les SST mettraient en oeuvre un plan d'action coconstruit avec l'entreprise, le cas échéant avec le soutien humain et financier des caisses. Les caisses n'interviendraient comme contrôleurs qu'en dernier ressort, au cas où l'entreprise n'aurait pas respecté ses engagements.