Intervention de Hugo Huon

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 octobre 2019 à 10h35
Audition de Mme Anne-Claire Rafflegeau porte-parole du collectif inter-urgences

Hugo Huon, président du collectif inter-urgences :

Avoir plus de moyens et se réorganiser n'est pas antinomique, mais nous nous réorganisons à moyens constants depuis trente ans ! Cela ne marche pas, ce n'est plus possible. La ministre oblitère ainsi la question des moyens.

Les 5 milliards d'euros pour les gilets jaunes ne sont pas compensés, construction financière discutable, mais peut-elle être débattue lors du vote ? L'Ondam est une construction artificielle. On ne connaît pas son évolution naturelle, soit-disant de 3,5 à 4 %, comme on maîtrise les dépenses... Les Copermo sont des plans tronqués, puisque les directions s'engagent à signer des projets irréalisables, sinon elles n'obtiennent pas les capacités de se développer. C'est une spirale court-termiste infernale.

Nous ne nous faisons pas d'illusions : la droite comme la gauche ont contribué à la situation actuelle, et le Gouvernement en récolte les fruits. La position de Mme Buzyn est inacceptable, proche de la lutte de classe, avec un certain mépris social. Elle est un médecin parlant aux médecins et qui pense que les médecins résoudront le problème. Cette attitude a contribué à la grève actuelle.

Évidemment, il faut décloisonner avec la médecine de ville. Il y a une mise en concurrence même sur le médico-social ou la précarité. Il y a une segmentation des soins, regardez les maraudes. Dans les unités d'hospitalisation de courte durée (UHCD), unités tampons entre les urgences et les services, à Lariboisière, nous accueillons parfois certains patients deux à trois mois, notamment des vieux fous. Ils sont trop fous pour les gériatres, trop vieux pour les psychiatres ! On ne s'en sort pas...

Nous savons comment faire pour faire sortir un patient en quatre jours. Mais lorsqu'il reste, c'est qu'il y a une demande de mise sous tutelle, d'aide médicale d'État (AME), de couverture maladie universelle (CMU)... La question sociale est importante. Le Gouvernement refuse de mettre un pied dans les secteurs médico-social et social, mais la paupérisation globale de la société va en faveur de la fréquentation des urgences ! On ne peut résoudre le problème du nombre de passages aux urgences sans se poser la question sociale... La redistribution des richesses et la réforme des retraites vont empirer les choses.

Dans une tribune, un gynécologue libéral voulait laisser le social aux généralistes. Mais quelle vision a-t-il du social, sinon une vision hors sol ? Aux urgences, nous gérons des SDF amputés des deux jambes qui défèquent toute la journée sur leur fauteuil... J'ai peut-être une vision particulière liée à la proximité de la Gare du Nord mais nous recevons des personnes dissociées et éclatées ; l'hôpital ne peut en faire l'impasse. Depuis cinquante ans, nous avons toujours cette tension entre un hôpital techniciste et un hôpital centré sur sa fonction d'hospitalité. Avec de telles carences partout, cela prendra du temps à la médecine de ville pour qu'elle s'en occupe.

Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), prévues en 2022, prendront du temps à se mettre en place : il faudra se réunir, échanger, faire des erreurs, rediscuter... Elles ne seront pas mises en place avant 2030... Entretemps, il ne se passera pas grand-chose.

Nous sommes favorables à la délégation de certaines tâches des médecins aux pharmaciens ou aux kinésithérapeutes, mais les médecins y sont opposés car les petits traumatismes rapportent de l'argent à l'hôpital. De la même manière, les infirmières libérales hurlent lorsqu'on leur retire certains actes. Ces corporatismes freinent l'évolution des métiers.

Le Gouvernement veut inscrire dans le référentiel relatif à leurs compétences que les aides-soignants peuvent faire des électrocardiogrammes. Ils le font déjà, touchent 1 500 euros par mois et doivent partir à 40 ans, invalides. Ce n'est pas officialiser qu'ils font des électrocardiogrammes qui va revaloriser leur métier ! Et les infirmières libérales montent au créneau si l'on fait évoluer les tâches des autres professions...

Nous nous opposons à la ministre sur le nouveau métier d'infirmier en pratique avancée (IPA) : le groupe de travail comprend 15 médecins pour un infirmier ! De quel droit les médecins parlent-ils de l'évolution de nos métiers, qui en plus seront soumis au pouvoir médical ? Ce n'est pas comme cela qu'on fera des avant-postes de travail pouvant aider sur la médecine de ville...

Les élections professionnelles sont peu suivies, et il ne suffit pas d'être un demi-million de personnes dans la rue pour que cela serve à quelque chose, la loi « El Khomri » nous l'a montré. Les grèves blanches ont un faible pouvoir de nuisance. Vous devez prendre vos responsabilités. Mme Buzyn nous a écoutés uniquement lorsque nous nous sommes mis en arrêt maladie.

Notre mouvement est présent partout, sauf en Charente. C'est tout le biais des indicateurs. Lorsque vous avez 15 % de grévistes à l'AP-HP, vous n'avez pas 85 % de personnes favorables aux mesures gouvernementales. La plupart sont résignées ou veulent partir... Nous trois, dans quelques mois, nous aurons quitté nos postes. J'aurais pu attendre et me dire que je n'en avais rien à faire. Mon combat, juste, s'arrêtera après le PLFSS mais vous serez les premiers concernés : vous serez grabataires avant moi et vous expérimenterez alors ce que cela signifie d'être incontinent sans pouvoir être changé...

La nouvelle gouvernance issue de la loi HPST, qui fait de l'hôpital une entreprise, est catastrophique. On a transféré le poids de la dette sur les paramédicaux, qui se sont liés aux administratifs plutôt qu'aux médecins. Les contrats de pôle aboutissent à un management vicieux, pour faire toujours plus d'économies. On est passé des mandarins aux grands directeurs, qui ont davantage partie liée avec Bercy qu'avec Mme Buzyn.

Nos systèmes d'information sont obsolètes. À Paris, nous aurons une nouvelle interface, Orbis. Il y a des marges de manoeuvre possibles pour libérer le temps médical, notamment pour nous éviter de recopier des examens biologiques.

Nous ne sommes pas défavorables à votre mesure sur la neuvième année de formation des internes, mais cela ne nous concerne pas directement. Allez-y en douceur : un interne est certes payé par l'État mais il travaille 60 heures par semaine et est traité comme un chien à l'hôpital.

Mme Buzyn propose la création de maisons médicales de garde pour les services d'urgence où passent plus de 50 000 passages, et veut y consacrer 200 000 euros par maison médicale. Que finance-t-on avec une telle somme ? Et à Lariboisière, il y a quinze jours, quand les urgences ont été saturés et que nous avons donné l'adresse du centre de santé le plus proche, les patients se rendaient à l'hôpital Bichat ! Or il y a énormément de centres de santé à Paris, publics ou privés. Au centre de l'Opéra, il y a un excellent plateau technique qui est sous-utilisé : c'est un problème de communication et de culture. Nous ne sommes pas dans la même temporalité que la question des urgences et de l'hôpital.

Pour les spécialistes, Mme Buzyn voulait faire une « mission commando », sans tabou, et parler organisation, sans pour autant mettre les pieds dans le plat. Souvent, les neurologues ouvrent le parapluie et demandent des imageries non nécessaires pour la moindre suspicion d'AVC, tandis que les radiologues mettent plus de 6 heures à accepter les gens pour faire les imageries... Il y a des guerres de chapelle non traitées... Elle a beau jeu de parler organisation sans mettre le doigt là où cela fait mal.

Le collectif inter-urgences se veut lanceur d'alerte : nous ne jouons pas à guichet fermé. Nous dénonçons la situation, et basta ! Nous poussons le collectif inter-hôpitaux à avancer à côté des syndicats. Nous proposons des amendements « de gauche », avec une taxe sur la fortune. Nous savons que cela ne sera pas adopté dans l'hémicycle. Il y a aussi le problème de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), la TVA redistribuée sur la sécurité sociale...

La seule chose qui serait efficace serait un audit public sur les besoins en lits, site par site, dans chaque hôpital.

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