Commission des affaires sociales

Réunion du 3 octobre 2019 à 10h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous accueillons ce matin Mme Anne-Claire Rafflegeau, porte-parole du collectif inter-urgences. Elle est accompagnée de Mme Yasmina Kettal, membre du collectif, et de M. Hugo Huon, son président. C'est à l'initiative de notre collègue Michèle Meunier que nous vous recevons ; j'ai souhaité le faire dans la formation plénière de notre commission, pour que chacun d'entre nous vous entende. Notre commission connaît bien la situation des urgences, qui a fait l'objet d'un rapport de nos collègues Laurence Cohen, Catherine Génisson et René-Paul Savary.

Debut de section - Permalien
Hugo Huon, président du collectif inter-urgences

Ce rapport contient en effet des éléments très intéressants, même si, comme notre mobilisation, il n'a pas fait évoluer la situation sur le terrain. Créé il y a six mois, le collectif inter-urgences regroupe 266 services en grève sur tout le territoire. Nous dénonçons avant tout les conditions de travail et d'accueil des patients.

Les personnes âgées attendent trop longtemps sur les brancards, au prix d'une augmentation de la morbi-mortalité. Celles qui souffrent de troubles psychiatriques sont attachées sans nécessité médicale faute d'effectifs suffisants pour leur surveillance, ce qui pose des questions de respect des libertés individuelles. Enfin l'accès aux soins des personnes précaires est inadapté : nous savons bien qu'un SDF n'ira pas en pharmacie acheter les antibiotiques que nous lui prescrivons. Si un tel traitement est réservé aujourd'hui aux personnes les plus vulnérables, c'est l'ensemble de la population qui en sera victime demain.

Notre analyse s'appuie également sur le rapport de Pierre-Louis Bras, ancien inspecteur général des affaires sociales, qui montre que les dépenses hospitalières sont traitées comme une variable d'ajustement des dépenses de santé dans le but de dégager un solde excédentaire. La modération de la dépense publique à l'hôpital repose sur trois piliers : la modération des salaires, l'augmentation de la productivité et un creusement du déficit hospitalier lié au sous-investissement. Cela se traduit par des salariés qui travaillent toujours plus pour gagner moins dans des locaux inadaptés. Ainsi en quinze ans, les effectifs des urgences ont augmenté de 2 %, la productivité de 15 % alors que le pouvoir d'achat des soignants diminuait de 0,8 %.

C'est un cercle vicieux, avec un management pervers, peu de leviers d'amélioration sur le terrain et un turnover de plus en plus important. La sidération du personnel est telle que chacun songe à partir, faute de croire à la mobilisation et dans l'idée que l'hôpital est voué à la destruction.

C'est dans ce terreau que le collectif s'est forgé, le point de départ de la mobilisation étant les violences contre le personnel. Les urgences ont une forte résonance médiatique, mais les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la psychiatrie sont eux aussi en crise : nous essayons de mobiliser l'hôpital dans son ensemble. Les personnes que je rencontre dans les services, dans leur grande majorité, viennent d'arriver ou s'apprêtent à partir... C'est désespérant. Les soignants sont de plus en plus jeunes et inexpérimentés.

Debut de section - Permalien
Yasmina Kettal

Je suis infirmière aux urgences de l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis. De l'avis des syndicats et des structures hospitalières, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) est très inférieur aux besoins des hôpitaux. La hausse de 2,1 % du budget de l'hôpital prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 est insuffisante : avec l'augmentation prévisible des dépenses programmées, l'inflation, l'augmentation des coûts de traitement, le coût d'achat et d'entretien des équipements, de rénovation et de mise aux normes des bâtis, les mesures salariales et le service de la dette, les dépenses devraient augmenter de 4,4 %.

Ce PLFSS comme les mesures annoncées en réponse à notre mobilisation ne répondent pas à l'urgence. La question de la fuite du personnel n'est pas traitée. Certaines mesures du plan de 750 millions d'euros annoncé par Mme Buzyn reprennent des mesures existantes au lieu de renforcer les structures qui fonctionnent, d'autres ne répondent pas à une réalité de terrain. On ne peut plus faire d'économies sur le dos de l'hôpital, des patients et des soignants. Nous arrivons à un point de rupture, c'est pourquoi nous vous alertons, relayant les demandes des soignants et de la population.

Les patients veulent un accès aux soins de qualité et adapté à leurs besoins. Nous proposons une revalorisation de l'Ondam ainsi que des professions hospitalières par un dégel du point d'indice, en commençant par les plus bas salaires. Nous demandons un audit public sur les besoins en lits, site par site. Nous réclamons que les 750 millions d'euros annoncés bénéficient à l'ensemble des hôpitaux et non aux seules urgences, dans le cadre d'une enveloppe budgétaire supplémentaire. Enfin, nous vous demandons de défendre, dans vos circonscriptions, le service public hospitalier. Nos collègues vous ont probablement alertés sur la situation.

Nous n'avons pas de proposition d'arbitrage budgétaire à formuler, car c'est une responsabilité qui revient au pouvoir politique. Nous exerçons un droit d'alerte, car nous avons l'impression que ce gouvernement ne saisit pas l'urgence de la situation.

Debut de section - Permalien
Hugo Huon, président du collectif inter-urgences

Nous voulons plus de moyens, des effectifs, des lits et une revalorisation salariale. Avant de parler d'effectifs, de nombreux postes sont budgétés dans les hôpitaux mais non pourvus. La fuite du personnel est exponentielle. Dans cinq ans, il sera trop tard, l'hôpital sera en cendres. C'est maintenant qu'il faut montrer les dents, en 2020 et 2021, sans attendre un changement de Gouvernement.

Le plan de refondation des urgences converge avec MaSanté2022. Or selon l'aveu même du directeur de cabinet de la ministre, on ne sait pas si cette loi aura des effets positifs à moyen et long terme, et il n'y a pas de solution de repli. La fuite du personnel continuera, pour les médecins, les kinésithérapeutes, les infirmiers de bloc opératoire, et elle commence pour les infirmiers de soins généraux...

Avec 400 postes vacants à l'assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), des écoles d'aides-soignants dans l'Est avec 40 % de recrutement, c'est catastrophique...

Mme Buzyn déclare qu'il n'y a pas de fermeture de lits pour des raisons comptables ; c'est faux. Soit ces fermetures se font pour des raisons économiques directes, avec un passage en ambulatoire, soit indirectes, lorsque le personnel est insuffisant pour maintenir l'activité. Nous nous sommes saisis des questions de l'ambulatoire, du vieillissement de la population et du plan MaSanté2022 avec dix ans de retard...

Or c'est un choix contestable que de penser que la médecine de ville, qu'on n'arrive pas à réguler par l'Ondam, pourrait contribuer davantage. Mme Buzyn veut transférer le poids des urgences sur tous les secteurs d'activité, qui sont tous surchargés. Cela va craquer de partout.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Vous demandez de modifier le montant de l'Ondam, mais ce n'est pas possible. Nous pouvons seulement modifier sa structure, pas son niveau.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Je vous remercie d'avoir trouvé notre rapport intéressant, vous n'êtes pas les seuls ! La ministre nous a invités à la rencontrer, affirmant qu'elle s'en servirait - mais sans aucune suite. C'est dommage. Nous évoquions dans ce rapport la prise en charge des patients, le management, les lits d'aval, le financement avec une tarification non adaptée à la montée en charge...

Nous ne pouvons pas toucher à l'Ondam hospitalier, de 2,1 %, alors que 4 % seraient nécessaires. Près de 4 milliards d'euros d'économies sont réalisées chaque année ; ils s'accumulent d'année en année, on n'y arrive plus...

Le Gouvernement se satisfaisait d'un PLFSS 2019 en équilibre, or celui-ci a été ensuite complètement déséquilibré, et l'État ne compense rien à la sécurité sociale. Désormais, nous aurons un déséquilibre de 4 à 5 milliards d'euros chaque année jusqu'en 2022-2023. Cela ne va pas arranger les choses...

Il y a une paupérisation des professions paramédicales et médicales. Il y a deux jours, j'étais à un colloque de la Carpimko, la caisse de retraite des infirmiers, des kinésithérapeutes...

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Les professions libérales connaissent le même problème de paupérisation, qui sera aggravé par la réforme des retraites. D'après une étude de M. Nicolas Bouzou, 6 000 postes disparaitront, faute d'attractivité. La moyenne des salaires, en libéral, comme dans le secteur public, est légèrement au-dessus du Smic. Toute modification des paradigmes déséquilibre complètement le personnel concerné...

Les remontées de terrain nous montrent que malgré les problèmes de lits d'aval, les comités interministériels de performance et de la modernisation de l'offre de soins (Copermo) qui définissent les crédits de restructuration et de reconstruction, continuent de fermer des lits.

Dans la Marne, l'hôpital de Reims va être reconstruit, mais contrairement aux engagements pris, il y aura 30 à 40 lits en moins dans le nouvel hôpital, alors que les urgences sont débordées. Les 750 millions d'euros promis vont aggraver le déficit hospitalier, ils sont pris sur les lignes aggravant cette situation dans d'autres domaines. Nous ne manquerons pas d'en débattre

Avec Mme Catherine Deroche, nous rédigeons un rapport sur l'Ondam, sujet très complexe, avec des tuyauteries financières redoutables. Vous évoquiez la fongibilité entre l'Ondam de ville et l'Ondam hospitalier ; avec l'ambulatoire, nous devons le faire évoluer...

Vous devez nous aider : le Sénat avait proposé, et cette position était largement partagée par les différents groupes politiques, que durant la neuvième année de leur formation, les médecins soient sur le terrain pour réduire les déserts médicaux. Acceptez ces mesures nouvelles, même si elles bouleversent un peu l'ordre établi, qui vous mettent face à vos responsabilités, et qui allègeraient les urgences !

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

J'appartiens au groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste. Je me réjouis du discours de M. Savary. Je ne sais pas lequel des deux a déteint sur l'autre...

J'en déduis donc que le groupe majoritaire au Sénat votera différemment cette année, ce qui serait une rupture avec son attitude passée ! Mais je taquine mes collègues... Nous avons des échanges riches et fructueux au sein de notre commission, mais jugeons non seulement les propositions, mais aussi les actes ! Depuis des années, les budgets de la sécurité sociale sont votés par les parlementaires...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

L'Assemblée nationale les a adoptés, pas le Sénat !

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Certes, mais vous demandiez des économies supplémentaires ! Il faut modifier certaines choses. Oui, nous avons atteint un point de rupture, que nous vivons tous dans nos territoires.

Lors de notre tour de France, nous avons visité plus de 150 établissements en France. J'ai été frappée par l'unanimité des professionnels de santé, de l'aide-soignant au médecin, en passant par l'infirmier et le directeur. On ne peut pas aller plus loin dans les restrictions budgétaires, sinon l'hôpital ne tiendra pas debout. Il ne tient que par la conscience professionnelle de ses acteurs.

Nous portons plusieurs propositions. Certes, nous sommes limités par l'article 40 de la Constitution, mais il existe des solutions pour apporter de nouveaux financements. Sans faire de liste fastidieuse, si le Gouvernement supprimait la taxe sur les salaires, les hôpitaux récolteraient 4 milliards d'euros, ce qui donnerait une bouffée d'oxygène importante à chaque établissement. C'est une question de volonté politique.

Les annonces de Mme Buzyn sont un jeu de dupes. Elle prend 750 millions d'euros dans une enveloppe, elle les attribue mais ce n'est pas suffisant. Prenons en compte l'aggravation de la situation des hôpitaux et leurs besoins supplémentaires. Arrêtons de supprimer des lits et des services. En 2014, nous avions proposé un moratoire, mais nous avions été battus. Nous avons proposé de nouveau cette proposition de loi. On ne peut plus continuer ainsi, sinon où met-on les patients ?

Soutenons les hôpitaux, faisons en sorte qu'un centre de santé soit adossé à chaque hôpital ; il répondrait à la demande des professionnels de travailler en équipe. Voilà une mesure parmi d'autres.

Nous n'avons pas réussi à renforcer l'attractivité de ces professions dans le projet de loi relatif à la fonction publique. Il faut revaloriser les salaires et prendre en compte la pénibilité de la fonction et notamment des métiers médicaux et paramédicaux. Nous manquons de personnel, et parfois il n'y a plus d'orthophonistes - et je ne parle pas seulement pour ma chapelle : en cas de trouble neurologique, sans orthophoniste, le patient récupère moins bien.

Les aides-soignants ne peuvent rester à cette fonction ad vitam æternam, compte tenu de la pénibilité... Nous soutenons vos propositions et j'espère que le Sénat aussi.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Vous assistez à l'exposé d'un programme présidentiel...

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Puissat

Quelle est la forme juridique du collectif inter-urgences, et comment vous inscrivez-vous dans la durée ? Pourquoi ne pas vous être appuyés sur les syndicats traditionnels ? Sont-ils intégrés au collectif ? Est-ce que vous les représentez dans les différentes instances et réciproquement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Je reprends un peu le programme de Mme Cohen...

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Nous partageons sans réserve vos constats. L'état dramatique de délitement nous inquiète au plus haut point. Il n'y a pas de mesure miracle, le problème est bien plus profond...

Les urgences sont un réceptacle, le symptôme et le voyant d'une crise profonde, si grave que le système hospitalier perd ses forces vives. Il faudra mettre cartes sur table.

Allons dans trois directions : d'abord, il faut rediscuter des missions de chacun dans le système de soins. L'hôpital ne peut pas tout faire, ce qu'on voudrait qu'il fasse lorsque le système de ville s'est écroulé. On rajoute des missions aux hôpitaux mais on baisse l'Ondam : dans les 2,1 % annoncés est compris le gel... Débattons des missions. Notre société demande à l'hôpital ce qu'il ne peut pas faire.

Ensuite, ayons une conscience partagée des efforts financiers réclamés aux hôpitaux. On ne peut plus continuer à demander tous ces efforts, nous sommes en train de gratter l'os. Nous avons été sincèrement surpris à la découverte du PLFSS. Nous pensions que le Gouvernement ferait un effort dans ce projet de loi au lieu de donner un tour de vis supplémentaire...

Enfin, la gouvernance hospitalière a été profondément modifiée récemment. Cela ne va plus. Les professionnels de santé quittent l'hôpital, épuisés par les modes d'organisation. Il faut des États généraux de l'hôpital, non pas pour se faire plaisir mais pour mettre autour de la table professionnels, usagers, politiques, collectivités territoriales et régler ces questions. Sinon, dans cinq ans, l'hôpital public sera vidé de sa substance, ce qui serait dramatique.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadine Grelet-Certenais

Nous sommes tous concernés. Dans la Sarthe, nous avons d'énormes problèmes avec nos hôpitaux de proximité. Le plus proche de mon domicile est fermé pour quinze jours, jusqu'à mi-octobre, par manque de personnel urgentiste. Défendons ces hôpitaux de proximité, essentiels dans un bassin de 150 000 habitants. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont-ils une bonne solution ? Ne faut-il pas revoir l'organisation pour répondre aux besoins locaux ? Le service mobile d'urgence et de réanimation (Smur) va s'arrêter temporairement faute de moyens. Les ambulanciers devront gérer ces problèmes et sont très inquiets.

Chaque hôpital, théoriquement, a une maison médicale de garde qui lui est accolée mais l'articulation ne se fait pas toujours très bien. Les médecins proposent d'orienter vers la maison médicale de garde avant d'aller aux urgences mais il y a un problème de financement : si les urgences n'ont pas enregistré la première arrivée, elles ne seront pas remboursées de l'accueil ultérieur. Réfléchissons à l'organisation. Mardi prochain, je ne pourrai entendre la ministre car j'ai justement une réunion locale sur ce sujet.

Dans le schéma d'organisation du système de santé, Mme Buzyn demande une nouvelle organisation et une meilleure gestion entre la médecine de ville et l'hôpital. C'est intéressant car c'est en amont et en aval que les difficultés se posent. Tout le système de santé est à revoir. L'AP-HP a émis des propositions pour travailler sur l'amont, stopper la réduction des capacités et repenser les liens.

Que pensez-vous de la délégation de tâches médicales à des infirmiers, des kinésithérapeutes ou des pharmaciens ?

Il faut traiter l'urgence et le long terme, les États généraux sont une solution intéressante. Les financements devront couvrir tout le système de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je rappelle que l'intégralité de la taxe sur les salaires, soit 12,8 milliards d'euros en 2019, revient à la sécurité sociale : 1,4 milliard d'euros revient à l'assurance maladie, 6,4 milliards d'euros aux retraites, 5 milliards d'euros à la famille...

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Dans ma vie privée, pour des soins relatifs à une maladie grave, j'ai fait le choix d'aller dans un hôpital public de ma région, dont j'ai pu juger tant la performance que les difficultés.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle gouvernance résultant de la loi Bachelot de 2009 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

L'hôpital y était vu comme une entreprise et les médecins ont vu leur place reculer dans la gouvernance...

Quels rapports avez-vous avec les syndicats ?

Dans sa présentation du PLFSS, le Gouvernement orchestre politiquement un déficit artificiel. Il n'y a eu ni dérapage des dépenses, ni crédits exceptionnels aux hôpitaux. La décision du Gouvernement de réduire les recettes des hôpitaux, sans les compenser comme le demandaient la loi Veil et l'usage, est un moyen de justifier, demain, de nouvelles restrictions, en affirmant que le système de protection sociale n'est pas viable. Nous dénonçons cette présentation du PLFSS 2020...

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Lassarade

Quel est le poids de vos tâches administratives ? Vos logiciels sont-ils performants ? Pédiatre en maternité, j'utilise un logiciel archaïque, pour lequel la dernière modernisation consiste à enregistrer l'heure où il est ouvert ou fermé, comme un mouchard. C'est humiliant et il me semble que ce cas est de plus en plus répandu...

Quelle est l'utilité des hôpitaux de semaine ? La médecine ambulatoire ou semi-ambulatoire est une perspective intéressante. Mais dans ma région, un hôpital de semaine tout neuf a fermé au bout d'un an, sous prétexte qu'il était déjà obsolète...

Comment vous coordonnez-vous avec le secteur libéral ? Quelle est la place des spécialistes dans le travail des urgences ? Les spécialistes seraient les grands oubliés du financement de la sécurité sociale...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Morisset

Où se trouvent les 270 services que vous dites représenter ? Sont-ils bien répartis sur le territoire, entre zones urbaines et rurales ? Quelles relations avez-vous avec les autorités régionales de santé (ARS) ?

Dans les Deux-Sèvres, sur deux centres hospitaliers, un est en grève depuis longtemps, et l'autre manque de médecins pour accueillir les patients... Nous avons 56 Ehpad ; le vendredi soir, il n'y a plus d'infirmier coordinateur et les patients sont renvoyés dans les urgences si besoin. Nous manquons de personnel qualifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Je vous remercie pour toutes vos informations. Dans la plupart des hôpitaux que nous avons visités, l'ambulatoire a été développé pour réaliser des économies mais les syndicats demandent un moratoire sur la fermeture des lits. La commission peut-elle relayer la demande d'audit public sous la forme d'une mission d'information ou d'une commission d'enquête ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous ne pourrons pas faire de commission d'enquête pour le moment.

Je préside la Fédération hospitalière de France (FHF) dans le Grand Sud. Je ne pense pas que nous pourrons apporter des modifications importantes aux lois Hôpital, patients, santé, territoires (HPST), Touraine, Buzyn sans prévoir des financements pérennes. Je rejoins en ce sens M. Savary, Mme Cohen et M. Jomier. Il faut aller chercher l'argent là où il est... Des gens s'occupant de santé n'ont pas le droit de faire des bénéfices, ou alors sinon il faut en prendre une partie...

- Présidence de M. Gérard Dériot, président -

Debut de section - Permalien
Yasmina Kettal

Notre mouvement est parti, initialement, de quelques hôpitaux de l'AP-HP. Nous nous sommes réunis pour évoquer nos difficultés quotidiennes. Le collectif inter-urgences regroupe des représentants des services en grève, tandis que l'association du collectif a vocation à durer et à échanger avec les ARS. Elle participe ainsi à un groupe d'experts autour des urgences, de l'avenir des métiers, de l'organisation du travail...

Le collectif est composé à la fois de personnes syndiquées et de non-syndiqués. Il y avait parfois de la défiance envers les organisations syndicales mais le collectif a permis de lever certains doutes et de faire front sur des buts communs. Nous travaillons ainsi largement en lien avec les organisations syndicales, et signons de nombreux appels ensemble. Nous partageons le même constat et avons souvent les mêmes réponses.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Le collectif inter-hospitalier n'est pas le même que le vôtre ?

Debut de section - Permalien
Yasmina Kettal

Non. Nous avons tenu une grande assemblée générale nationale le 10 septembre, durant laquelle nous avons élargi notre lutte et avons signé un appel à tous les acteurs de la santé, au-delà des urgences, qui a été signé par 600 chefs de service et 5 000 professionnels de santé. Le collectif inter-hôpitaux réunit à la fois médecins et professions paramédicales sur ces questions.

Les syndicats sont également ceux qui déposent les préavis de grève, ce que ne fait pas le collectif.

Certes, les professionnels ont besoin de se réorganiser, mais une fois ces réorganisations faites, elles mettent en évidence le besoin de personnel - comme dans mon service. Actuellement, nous travaillons dans une organisation de crise, inefficace et pathogène, où nous ne faisons que colmater les brèches.

Debut de section - Permalien
Hugo Huon, président du collectif inter-urgences

Avoir plus de moyens et se réorganiser n'est pas antinomique, mais nous nous réorganisons à moyens constants depuis trente ans ! Cela ne marche pas, ce n'est plus possible. La ministre oblitère ainsi la question des moyens.

Les 5 milliards d'euros pour les gilets jaunes ne sont pas compensés, construction financière discutable, mais peut-elle être débattue lors du vote ? L'Ondam est une construction artificielle. On ne connaît pas son évolution naturelle, soit-disant de 3,5 à 4 %, comme on maîtrise les dépenses... Les Copermo sont des plans tronqués, puisque les directions s'engagent à signer des projets irréalisables, sinon elles n'obtiennent pas les capacités de se développer. C'est une spirale court-termiste infernale.

Nous ne nous faisons pas d'illusions : la droite comme la gauche ont contribué à la situation actuelle, et le Gouvernement en récolte les fruits. La position de Mme Buzyn est inacceptable, proche de la lutte de classe, avec un certain mépris social. Elle est un médecin parlant aux médecins et qui pense que les médecins résoudront le problème. Cette attitude a contribué à la grève actuelle.

Évidemment, il faut décloisonner avec la médecine de ville. Il y a une mise en concurrence même sur le médico-social ou la précarité. Il y a une segmentation des soins, regardez les maraudes. Dans les unités d'hospitalisation de courte durée (UHCD), unités tampons entre les urgences et les services, à Lariboisière, nous accueillons parfois certains patients deux à trois mois, notamment des vieux fous. Ils sont trop fous pour les gériatres, trop vieux pour les psychiatres ! On ne s'en sort pas...

Nous savons comment faire pour faire sortir un patient en quatre jours. Mais lorsqu'il reste, c'est qu'il y a une demande de mise sous tutelle, d'aide médicale d'État (AME), de couverture maladie universelle (CMU)... La question sociale est importante. Le Gouvernement refuse de mettre un pied dans les secteurs médico-social et social, mais la paupérisation globale de la société va en faveur de la fréquentation des urgences ! On ne peut résoudre le problème du nombre de passages aux urgences sans se poser la question sociale... La redistribution des richesses et la réforme des retraites vont empirer les choses.

Dans une tribune, un gynécologue libéral voulait laisser le social aux généralistes. Mais quelle vision a-t-il du social, sinon une vision hors sol ? Aux urgences, nous gérons des SDF amputés des deux jambes qui défèquent toute la journée sur leur fauteuil... J'ai peut-être une vision particulière liée à la proximité de la Gare du Nord mais nous recevons des personnes dissociées et éclatées ; l'hôpital ne peut en faire l'impasse. Depuis cinquante ans, nous avons toujours cette tension entre un hôpital techniciste et un hôpital centré sur sa fonction d'hospitalité. Avec de telles carences partout, cela prendra du temps à la médecine de ville pour qu'elle s'en occupe.

Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), prévues en 2022, prendront du temps à se mettre en place : il faudra se réunir, échanger, faire des erreurs, rediscuter... Elles ne seront pas mises en place avant 2030... Entretemps, il ne se passera pas grand-chose.

Nous sommes favorables à la délégation de certaines tâches des médecins aux pharmaciens ou aux kinésithérapeutes, mais les médecins y sont opposés car les petits traumatismes rapportent de l'argent à l'hôpital. De la même manière, les infirmières libérales hurlent lorsqu'on leur retire certains actes. Ces corporatismes freinent l'évolution des métiers.

Le Gouvernement veut inscrire dans le référentiel relatif à leurs compétences que les aides-soignants peuvent faire des électrocardiogrammes. Ils le font déjà, touchent 1 500 euros par mois et doivent partir à 40 ans, invalides. Ce n'est pas officialiser qu'ils font des électrocardiogrammes qui va revaloriser leur métier ! Et les infirmières libérales montent au créneau si l'on fait évoluer les tâches des autres professions...

Nous nous opposons à la ministre sur le nouveau métier d'infirmier en pratique avancée (IPA) : le groupe de travail comprend 15 médecins pour un infirmier ! De quel droit les médecins parlent-ils de l'évolution de nos métiers, qui en plus seront soumis au pouvoir médical ? Ce n'est pas comme cela qu'on fera des avant-postes de travail pouvant aider sur la médecine de ville...

Les élections professionnelles sont peu suivies, et il ne suffit pas d'être un demi-million de personnes dans la rue pour que cela serve à quelque chose, la loi « El Khomri » nous l'a montré. Les grèves blanches ont un faible pouvoir de nuisance. Vous devez prendre vos responsabilités. Mme Buzyn nous a écoutés uniquement lorsque nous nous sommes mis en arrêt maladie.

Notre mouvement est présent partout, sauf en Charente. C'est tout le biais des indicateurs. Lorsque vous avez 15 % de grévistes à l'AP-HP, vous n'avez pas 85 % de personnes favorables aux mesures gouvernementales. La plupart sont résignées ou veulent partir... Nous trois, dans quelques mois, nous aurons quitté nos postes. J'aurais pu attendre et me dire que je n'en avais rien à faire. Mon combat, juste, s'arrêtera après le PLFSS mais vous serez les premiers concernés : vous serez grabataires avant moi et vous expérimenterez alors ce que cela signifie d'être incontinent sans pouvoir être changé...

La nouvelle gouvernance issue de la loi HPST, qui fait de l'hôpital une entreprise, est catastrophique. On a transféré le poids de la dette sur les paramédicaux, qui se sont liés aux administratifs plutôt qu'aux médecins. Les contrats de pôle aboutissent à un management vicieux, pour faire toujours plus d'économies. On est passé des mandarins aux grands directeurs, qui ont davantage partie liée avec Bercy qu'avec Mme Buzyn.

Nos systèmes d'information sont obsolètes. À Paris, nous aurons une nouvelle interface, Orbis. Il y a des marges de manoeuvre possibles pour libérer le temps médical, notamment pour nous éviter de recopier des examens biologiques.

Nous ne sommes pas défavorables à votre mesure sur la neuvième année de formation des internes, mais cela ne nous concerne pas directement. Allez-y en douceur : un interne est certes payé par l'État mais il travaille 60 heures par semaine et est traité comme un chien à l'hôpital.

Mme Buzyn propose la création de maisons médicales de garde pour les services d'urgence où passent plus de 50 000 passages, et veut y consacrer 200 000 euros par maison médicale. Que finance-t-on avec une telle somme ? Et à Lariboisière, il y a quinze jours, quand les urgences ont été saturés et que nous avons donné l'adresse du centre de santé le plus proche, les patients se rendaient à l'hôpital Bichat ! Or il y a énormément de centres de santé à Paris, publics ou privés. Au centre de l'Opéra, il y a un excellent plateau technique qui est sous-utilisé : c'est un problème de communication et de culture. Nous ne sommes pas dans la même temporalité que la question des urgences et de l'hôpital.

Pour les spécialistes, Mme Buzyn voulait faire une « mission commando », sans tabou, et parler organisation, sans pour autant mettre les pieds dans le plat. Souvent, les neurologues ouvrent le parapluie et demandent des imageries non nécessaires pour la moindre suspicion d'AVC, tandis que les radiologues mettent plus de 6 heures à accepter les gens pour faire les imageries... Il y a des guerres de chapelle non traitées... Elle a beau jeu de parler organisation sans mettre le doigt là où cela fait mal.

Le collectif inter-urgences se veut lanceur d'alerte : nous ne jouons pas à guichet fermé. Nous dénonçons la situation, et basta ! Nous poussons le collectif inter-hôpitaux à avancer à côté des syndicats. Nous proposons des amendements « de gauche », avec une taxe sur la fortune. Nous savons que cela ne sera pas adopté dans l'hémicycle. Il y a aussi le problème de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), la TVA redistribuée sur la sécurité sociale...

La seule chose qui serait efficace serait un audit public sur les besoins en lits, site par site, dans chaque hôpital.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Dériot

Merci de votre grande lucidité. Tout comme vous, nous sommes conscients des difficultés. Lorsqu'on réalise des économies, le problème est de savoir s'arrêter pour faire de nouvelles choses. La loi HPST était nécessaire pour réorganiser mais il aurait fallu s'arrêter et repartir autrement. Mais les moyens du pays se sont amoindris, et surtout n'ont pas été répartis correctement.

Il faut désormais des moyens supplémentaires et débattre pour réorganiser et améliorer le système. Sachons où nous allons et mettons de l'argent sur la table avant de faire les États généraux, sinon nous ferons des déçus et nous ne règlerons rien. Nos concitoyens doivent savoir quel choix ils veulent faire. La plupart des membres de notre commission sont des professionnels de santé. La santé n'a pas de prix, mais elle a un coût.

MaSanté2022 est un catalogue de très bonnes intentions - on a redécouvert qu'il fallait remettre de l'humain au centre de nos actions ! - mais pas un centime n'est prévu.

Il était utile que nous puissions vous écouter. Faites ce que vous avez à faire à votre âge - je suis un ancien de mai 68... Vous êtes les mieux placés pour nous informer de la situation sur le terrain, et le moment est crucial.

Les politiques ont à prendre leurs responsabilités, certes, mais ils n'ont pas forcément la main sur les moyens financiers malgré leur volonté. Dans nos collectivités locales, nous savions ce que nous pouvions mettre au pot pour orienter, à la différence du niveau national, où seuls le Gouvernement et son administration ont le pouvoir de le faire.

Mais quels que soient nos bords politiques, nous avons tous la même volonté de transmettre vos positions et nous essaierons d'infléchir les décisions du Gouvernement. Je vous remercie.

La réunion est close à 11 h 50.