Certes, et l'État y a répondu par plus de dépenses publiques, plus d'investissements, et donc plus de dette. Nous pensons qu'il ne serait pas raisonnable de laisser filer l'endettement public et nous le stabilisons à la baisse, même si nous avons ralenti le rythme pour tenir compte des taux d'intérêt négatifs. Je dis que nous l'avons stabilisé à la baisse car il ne baisse que d'un point, et vous me diriez que c'est peu significatif - mais la direction est la bonne. En tout état de cause, il ne serait pas raisonnable de laisser filer cet endettement et de courir le risque, le jour où les taux d'intérêt remonteront, de laisser aux générations suivantes une charge de la dette qui exploserait. Bien sûr, les taux d'intérêt négatifs ont des avantages pour les finances publiques et pour tous les ménages français qui ont la capacité d'emprunter pour s'acheter un bien immobilier. Mais ils ont aussi beaucoup de désavantages et ils peuvent représenter à terme un risque. Notamment, les ménages modestes qui ne peuvent pas emprunter voient, eux, les revenus de leurs comptes diminuer. Et les secteurs financier, bancaire et de l'assurance perdent leur profitabilité, alors qu'ils représentent 800 000 emplois dans notre pays. C'est pourquoi je ne pense pas que les taux d'intérêt bas ou négatifs puissent constituer l'armature d'une politique économique.
Le troisième choix que nous faisons, après celui du rétablissement de nos finances publiques - dont je veux pour preuve le niveau de dépenses publiques et le déficit public, à 2,2 % du PIB en 2020, les plus faibles depuis quasiment une vingtaine d'années - est celui du soutien au travail. C'est le fil rouge de notre politique économique depuis plus de deux ans. Nous voulons que le travail paye. Or, depuis la crise financière de 2008, ce sont les ménages les plus modestes, ceux qui ont les salaires les plus faibles, qui ont mis le plus de temps à se remettre - encore n'ont-ils toujours pas rattrapé le niveau de vie qu'ils avaient au moment de la crise financière. L'explosion du mouvement des « gilets jaunes » s'est produite parce que, depuis plus de dix ans, un certain nombre de nos compatriotes se sont aperçus qu'avec le revenu de leur travail, ils ne pouvaient pas vivre dignement. Cette situation a été masquée en France par une politique de redistribution puissante, qui réduit évidemment les inégalités mais, si l'on en fait abstraction pour observer les inégalités brutes, on s'aperçoit que, pour les plus modestes, le niveau des salaires ne leur permet pas de vivre dignement de leur travail.
Corriger cela est difficile. On a le choix entre donner des coups de pouce successifs au SMIC - et courir le risque de mettre les moins qualifiés au chômage -, ne rien faire, ou faire ce que nous faisons depuis plus de deux ans, c'est-à-dire compléter les revenus les plus modestes par des dispositifs comme la prime d'activité, la défiscalisation des heures supplémentaires, la baisse de l'IR, qui va bénéficier principalement à la première tranche imposable, ou la mise en place de dispositifs d'intéressement - sans aucune taxe puisque nous supprimons la taxe à 20 % sur l'intéressement -, pour que tous ceux qui ont un salaire modeste disposent, à la fin du mois, d'un niveau de revenu net plus important.
Quelles que soient nos convictions politiques, si l'on regarde sereinement et lucidement la situation économique de notre pays, il est clair que permettre à ceux qui travaillent et qui ont les niveaux de salaires les plus faibles de rattraper le choc profond qu'ils ont connu avec la crise économique et financière de 2008 est juste et nécessaire. Mieux rémunérer le travail est donc pour nous un objectif stratégique. C'est un objectif économique de cohésion sociale et de justice.
Ces trois choix nationaux - politique de l'offre, rétablissement des finances publiques et meilleure rémunération du travail - s'accompagnent d'un choix européen. S'il ne s'agit pas pour la France de s'endetter plus, je constate que d'autres membres de la zone euro ont, eux, un niveau d'endettement et de déficit public qui leur donne des marges de manoeuvre budgétaires qu'ils doivent utiliser maintenant. J'ai donc rappelé une nouvelle fois à Berlin à mon homologue allemand M. Schaüble, comme je le fais depuis plusieurs semaines, qu'il était temps que l'Allemagne investisse davantage. Elle a commencé à le faire, mais je suis convaincu qu'elle peut faire davantage et investir plus dans l'innovation et dans la recherche, et pas uniquement dans les infrastructures ou le bâtiment, pour relancer la croissance non seulement en Allemagne mais aussi dans la zone euro. C'est la condition du retour de la prospérité.