Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 2 octobre 2019 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 - Audition de M. Didier Migaud président du haut conseil des finances publiques sur l'avis du haut conseil

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Merci de votre invitation. Je suis accompagné du rapporteur général du Haut Conseil, M. François Monier, de M. Vianney Bourquard et de M. Vladimir Borgy, rapporteurs généraux adjoints, ainsi que de M. Richard Hughes, directeur au Trésor britannique, qui contribue pour quelque temps aux travaux du Haut Conseil des finances publiques et de la Cour des comptes.

L'exercice qui nous rassemble aujourd'hui est désormais bien rôdé : c'est la septième fois que notre Haut Conseil rend un avis sur les PLF et PLFSS et la troisième fois sous cette législature. La mission du Haut Conseil ne consiste pas à produire ses propres prévisions macroéconomiques, il doit se prononcer sur celles présentées par le Gouvernement à l'occasion du PLF et du PLFSS, ainsi que sur la cohérence des projets du Gouvernement avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Cette mission nous conduit à réaliser une analyse approfondie des textes qui nous sont soumis par le Gouvernement. Pour formuler notre avis, nous nous appuyons sur des prévisions issues d'un ensemble d'organismes tels que la Commission européenne, le FMI et l'OCDE. Nous recevons également de nombreux experts et représentants d'institutions françaises et internationales - notamment la Banque de France, la Banque des règlements internationaux, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), Rexecode et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

J'évoquerai en premier lieu le contexte macro-économique. Depuis plusieurs trimestres, l'économie mondiale connaît un ralentissement marqué, qui touche principalement l'Union européenne, la Chine et certains pays émergents. Ce ralentissement a été particulièrement prononcé dans l'industrie et il a pesé sur les échanges commerciaux en raison de la mise en place de mesures protectionnistes depuis fin 2018. On observe ainsi un coup de frein sur les échanges de marchandises, en légère baisse au premier semestre 2019. Les échanges de services, en revanche, ont continué de croître dans ce contexte international. La zone euro connaît un fléchissement de sa croissance, mais cette inflexion recouvre des évolutions contrastées entre les pays. Mi-2019, la croissance était quasiment nulle en Allemagne et en Italie ; elle était modérée en France et elle demeure encore soutenue en Espagne. Plusieurs facteurs ont contribué à atténuer le ralentissement de l'activité dans la zone euro - je pense ici à l'orientation budgétaire légèrement expansive en 2019, au maintien d'une politique monétaire accommodante, et à la dépréciation de l'euro vis-à-vis du dollar depuis le début de 2018.

L'économie française n'a pas échappé au ralentissement général. Sa croissance demeure néanmoins un peu supérieure à la moyenne de ses partenaires européens depuis la mi-2018. La demande intérieure hors stocks a progressé au deuxième trimestre 2019, portée par les mesures favorisant le pouvoir d'achat et par une augmentation toujours soutenue de l'investissement des entreprises. Malgré l'évolution défavorable du commerce mondial, les exportations françaises ont progressé de 2,5 % entre mi-2018 et mi-2019, marquant ainsi une légère amélioration des parts de marché de la France. Après une forte dégradation en 2018, le climat des affaires, selon les enquêtes de conjoncture, s'est légèrement redressé depuis le début de 2019, laissant prévoir le maintien d'une croissance modérée sur la fin de l'année 2019.

La situation et les perspectives de croissance sont toutefois entachées de plusieurs risques majeurs. À court terme, le principal risque est celui d'une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne. L'impact économique de cet événement sans précédent est particulièrement difficile à estimer. La première année, il serait, selon l'OCDE, de près de deux points de PIB pour le Royaume-Uni, supérieur à 0,5 point pour l'Espagne et les Pays-Bas, proche de 0,5 point pour l'Allemagne, l'Italie, mais aussi la France. L'OFCE estime un impact plus faible sur l'économie française, de l'ordre de 0,25 point de PIB. L'Insee, quant à lui, évoque 0,6 point sur plusieurs trimestres. La Banque d'Angleterre a des chiffres encore plus défavorables. Si vous le souhaitez, M. Richard Hughes pourra vous présenter l'analyse de la Banque d'Angleterre sur les conséquences d'un Brexit sans accord.

De nouvelles hausses des tarifs douaniers de la part des États-Unis, notamment à l'encontre de l'Union européenne, constituent un risque important pour la croissance. Le Haut Conseil estime que plusieurs autres facteurs sont susceptibles d'affecter la trajectoire de la croissance française : les tensions géopolitiques au Moyen-Orient, leurs répercussions possibles sur le prix du pétrole, les vulnérabilités financières liées à la hausse de l'endettement mondial ainsi que la conjoncture économique en Allemagne - la diminution de sa demande intérieure pourrait s'ajouter à la récession industrielle en cours depuis plusieurs trimestres. Au total, les perspectives de croissance de l'économie française sont entourées d'aléas extérieurs défavorables.

J'en viens désormais aux observations formulées par le Haut Conseil sur le scénario macroéconomique du Gouvernement. Le Gouvernement prévoit dans le PLF un rythme de croissance pour 2019 de 1,4 %, soit une prévision identique à celle formulée au printemps dernier dans le programme de stabilité. Compte tenu de l'acquis de croissance au deuxième trimestre et des prévisions récentes pour la croissance du troisième trimestre, le Haut Conseil juge atteignable la prévision de croissance du Gouvernement pour 2019. Cette prévision est d'ailleurs cohérente avec celle des organisations internationales et des instituts de conjoncture, qui la situent toutefois pour la plupart autour de 1,3 %. Pour 2020, le Gouvernement prévoit un léger fléchissement de la croissance du PIB à 1,3 %, la consommation des gains de pouvoir d'achat début 2019 ayant été plus lente que prévue. La prévision du Gouvernement fait l'hypothèse qu'elle se prolongera en 2020. Le taux d'épargne marquerait un léger recul après avoir augmenté de 0,6 point en 2019 ; cette baisse modérée est vraisemblable.

Le Haut Conseil considère que les hypothèses du Gouvernement sur l'évolution de l'investissement des entreprises sont plausibles.

La prévision de croissance du Gouvernement pour 2020 de 1,3 % s'inscrit dans la fourchette de prévisions disponibles entre 1,2 % et 1,4 % ; le Haut Conseil estime donc que la prévision de croissance du Gouvernement est plausible pour 2020. Toutefois, cette prévision ne prend pas en compte l'éventualité d'un Brexit sans accord et ses conséquences sur la croissance française - même si une sortie sans accord du Brexit n'est le scénario central d'aucun institut de conjoncture aujourd'hui.

Le Gouvernement anticipe, dans le PLF 2020, une hausse de 1,2 % en moyenne annuelle pour 2019 des prix à la consommation. Pour 2020, la baisse de l'inflation prévue par le Gouvernement en 2019 et 2020 par rapport à 2018 s'explique essentiellement par la moindre contribution des produits pétroliers - nulle en 2019, contre 0,6 point en 2018.

La prévision d'inflation du PLF repose sur l'hypothèse conventionnelle de stabilité du prix du pétrole à son niveau du mois d'août, à savoir 59 dollars le baril. Or, compte tenu des risques qui pèsent actuellement sur le maintien opérationnel des capacités de production, le prix du pétrole pourrait être plus élevé que celui prévu par le Gouvernement. Si le prix du baril se maintenait au niveau de 64 dollars le baril qui a été constaté il y a une quinzaine de jours, c'est-à-dire 5 dollars au-dessus de l'hypothèse du PLF, l'inflation serait accrue d'environ 0,15 point au bout d'un an et l'activité réduite d'un peu moins de 0,1 point par rapport au scénario de croissance du PLF pour 2020. Ce risque ne semble pas se matérialiser pour le moment, puisque ce matin, le prix du Brent était de 59,38 dollars le baril, après une baisse de près de 5 % sur les cinq derniers jours.

L'inflation sous-jacente, hors produits à prix volatils et tarifs administrés, augmenterait très légèrement, passant de 0,8 % en 2018 à 0,9 % en 2019 et 2020. Le Gouvernement a légèrement révisé à la baisse ses prévisions d'inflation pour 2019 et 2020, confirmant ainsi l'appréciation du Haut Conseil dans son avis d'avril 2019 sur le programme de stabilité. Nous avions alors estimé que la hausse attendue de l'inflation sous-jacente pourrait être plus lente que celle prévue par le Gouvernement. Cela confirme les prévisions d'inflation pour 2019 et 2020, proches de la moyenne du Consensus Forecast, de 1,2 % et 1,3 % respectivement. Le Haut Conseil considère donc que les prévisions d'inflation du Gouvernement pour 2019 et 2020 sont raisonnables.

Pour 2019, les prévisions d'emploi et de masse salariale sont cohérentes avec les dernières statistiques disponibles, qui enregistrent pour le premier semestre 2019 des créations d'emplois supérieures à ce que le fléchissement de l'activité faisait attendre pour 2020. Le Haut Conseil considère que les prévisions du Gouvernement sont raisonnables, le ralentissement attendu de la masse salariale traduisant celui de l'emploi.

J'en viens à notre appréciation sur les prévisions de recettes et de dépenses formulées par le Gouvernement. Pour les recettes, le Gouvernement retient notamment une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB de 1 en 2019 et en 2020. Cette élasticité unitaire résulterait d'une évolution plus dynamique que le PIB des impôts d'État et d'une progression des recettes des administrations de sécurité sociale légèrement inférieure à celle de l'activité. Après avoir analysé le montant estimé des mesures nouvelles pour 2019 et pour 2020, le Haut Conseil considère que les prévisions de prélèvements obligatoires sont cohérentes avec le scénario macroéconomique retenu.

L'augmentation globale des dépenses s'explique pour l'essentiel par le profil de l'investissement local qui serait en forte augmentation en 2019 puis se stabiliserait quasiment en 2020. L'objectif de dépenses de l'État intègre pour 2019 un accroissement des crédits des ministères de 5,7 milliards d'euros par rapport à l'exécution 2018. Cet objectif inclut des économies de 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2019, économies qui restent toutefois à réaliser en exécution. Les crédits des ministères poursuivraient leur croissance entre 2019 et 2020 à hauteur de 6 milliards d'euros.

Des efforts visant une budgétisation plus réaliste des dépenses de l'État ont été effectués depuis le PLF pour 2018, même si quelques poches de sous-budgétisation demeurent. Nous relevons cependant que des incertitudes entourent les prévisions de prélèvements sur recettes en faveur de l'Union européenne et de charges d'intérêts. Dans le PLF 2020, la prévision du Gouvernement prévoit un prélèvement sur recettes pour l'Union européenne en légère diminution de 100 millions d'euros par rapport à la LFI 2019, alors que la dernière année des cadres financiers pluriannuels (CFP) montre généralement une forte accélération des dépenses de l'Union européenne et du prélèvement sur recettes associé.

En sens inverse, la charge d'intérêts pourrait être un peu moins élevée que dans la prévision du PLF 2020. Par exemple, si les taux d'intérêt restent inchangés à leur valeur au 1er septembre 2019, c'est-à-dire à -0,6 % pour le taux à trois mois et à - 0,2 % pour le taux à dix ans jusqu'à la fin de l'année 2020, l'économie supplémentaire en dépenses serait de l'ordre de 1 milliard d'euros en 2020 - hier, le taux à dix ans était encore de - 0,26 %. Une telle évolution accentuerait la baisse déjà inscrite dans la prévision du Gouvernement selon laquelle la charge de la dette des administrations passerait de 40,3 milliards d'euros en 2018 à 35,9 milliards d'euros en 2019 et 33,7 milliards d'euros en 2020, soit une diminution de près de 0,3 point de PIB en deux ans, alors même que la dette globale ne ferait que se stabiliser à un niveau proche de 100 points de PIB, après avoir progressé de plus de 30 points depuis la crise de 2008. Le ratio dette sur PIB n'a effectivement pas amorcé sa diminution, à la différence de ce que l'on observe dans la zone euro depuis 2016. Les dépenses des administrations de sécurité sociale seraient en légère décélération en 2020 par rapport à 2019. Cette prévision est atteignable, sous réserve que les économies annoncées, notamment sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et sur l'Unédic, se réalisent pour les montants attendus. Les dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales (APUL) augmenteraient de 1,5 % en 2019 et de 0,7 % en 2020 dans le scénario du Gouvernement. Leur investissement augmenterait de 8,9 % en 2019 puis diminuerait de 0,1 % en 2020, en lien avec le cycle électoral. Les informations disponibles à ce jour indiquent que la dépense locale en 2019 pourrait être plus soutenue que celle prévue dans le PLF, notamment en matière d'investissement : l'investissement des collectivités territoriales augmenterait de 14 % fin juillet, 16 % fin août. Il pourrait en aller de même en 2020, compte tenu notamment du niveau élevé de l'épargne des collectivités territoriales.

Le Haut Conseil estime donc que la prévision d'évolution des dépenses publiques pour 2019 et 2020 est plausible, selon l'état des informations dont nous disposons - le Haut Conseil n'a pas connaissance au moment de rendre son avis, de la totalité des dépenses prévues dans le PLF pour 2020. Il en va de même des prévisions de déficit nominal, de - 3,1 points de PIB en 2019 et - 2,2 points en 2020, compte tenu de l'appréciation formulée plus haut sur les recettes.

J'en viens à la cohérence des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Cette cohérence s'apprécie au regard de la trajectoire du solde structurel formulée dans la loi de programmation en vigueur - celle du 18 janvier 2018. Le solde public nominal s'établirait à - 3,1 points de PIB en 2019 puis à -2,2 points en 2020. L'année 2019 est marquée par le cumul exceptionnel du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et de la baisse de cotisations qui dégradent le solde nominal de 20 milliards d'euros, soit 0,8 point de PIB, sans incidence sur le solde structurel. La composante conjoncturelle du déficit serait quasi nulle pour les deux années 2019 et 2020, compte tenu de l'estimation retenue par le Gouvernement d'un écart de production lui-même très proche de zéro. Une fois corrigé des effets de la conjoncture et des événements exceptionnels, le solde structurel tel qu'estimé par le Gouvernement serait de - 2,2 points de PIB pour les deux années 2019 et 2020. En 2019, ce solde structurel serait en amélioration de 0,1 point par rapport à 2018, d'après le chiffre présenté dans le PLF 2020. L'écart avec la trajectoire de la loi de programmation s'établirait à - 0,1 point de PIB en 2018 et à - 0,3 point de PIB en 2019. L'écart moyen sur deux années serait donc de 0,2 point par an en moyenne, soit un niveau très proche du seuil de 0,25 point de PIB par an de déclenchement du mécanisme de correction prévu à l'article 23 de la loi organique de 2012. Le Haut Conseil note que l'hypothèse d'un déclenchement du mécanisme de correction lors de l'examen du projet de loi de règlement pour 2019 ne peut donc être écartée, compte tenu des incertitudes qui pèsent inévitablement tant sur les estimations du PIB que sur celles des soldes publics. En 2020, le solde structurel serait inchangé par rapport à 2019, en diminution de 2,2 points. Cette prévision de déficit structurel prend notamment en compte les mesures annoncées fin avril à la suite du Grand débat national.

Le solde structurel en 2020 s'écarterait sensiblement de l'objectif inscrit dans la loi de programmation de janvier 2018, qui prévoyait pour 2020 un déficit structurel de 1,6 point de PIB. Le Haut Conseil relève en conséquence que le Gouvernement présente un article liminaire du projet de loi de finances qui s'écarte fortement de la trajectoire de la loi de programmation en vigueur, choix qui pose un problème de cohérence entre le PLF 2020 et la LPFP, et qui affaiblit la portée de l'exercice de programmation pluriannuelle en matière de finances publiques. Le Haut Conseil souligne que les ajustements structurels - c'est-à-dire les variations du solde structurel - prévus pour 2019 et 2020 sont très faibles, en deçà de ceux prévus par la loi de programmation. Selon le PLF, la variation de solde structurel entre 2018 et 2019 s'élèverait ainsi à 0,1 point de PIB, elle serait nulle entre 2019 et 2020, alors que la loi de programmation prévoyait un ajustement de 0,3 point les deux années. L'effort structurel, qui représente la partie de l'ajustement structurel directement lié à un effort en dépenses ou à des mesures nouvelles de prélèvements obligatoires, s'élèverait à 0,1 point de PIB en 2019 comme en 2020, contre 0,7 point en deux ans dans la loi de programmation. Durant la période 2018-2020, l'écart cumulé d'efforts structurels entre le PLF et la loi de programmation de - 0,6 point sur les deux années 2019 et 2020 correspond essentiellement à un moindre effort en dépenses de - 0,3 point de PIB, malgré la baisse des charges d'intérêt et à une réduction supplémentaire des prélèvements à hauteur de - 0,2 point de PIB. Or ces chiffres doivent s'apprécier au regard des engagements européens de la France. Le Haut Conseil souligne que les ajustements structurels prévus pour 2019 et 2020, qui seront soumis à l'appréciation de la Commission européenne, sont inférieurs au minimum prévu dans le volet préventif du pacte de stabilité qui correspond à un ajustement de 0,5 point par an.

Le déficit public de la France - nominal comme structurel - est un peu supérieur à deux points de PIB, hors opérations exceptionnelles. Il demeure nettement plus élevé que la moyenne de la zone euro, qui se situe en 2019 autour de 0,9 point de PIB en nominal et en structurel, malgré une certaine amélioration. La situation de nos finances publiques reste fragile et laisse en conséquence peu de marge de manoeuvre budgétaire dans l'hypothèse d'une accentuation du ralentissement économique.

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