Intervention de Marc Fesneau

Réunion du 8 octobre 2019 à 14h30
Éloge funèbre de philippe madrelle sénateur de la gironde

Marc Fesneau :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame, nous sommes aujourd’hui réunis pour honorer la mémoire du sénateur Philippe Madrelle. En tant que ministre chargé des relations avec le Parlement, j’ai témoigné, lors de ses funérailles à Bordeaux, au nom du Gouvernement, de la reconnaissance de la République à l’un de ses plus fidèles serviteurs.

Philippe Madrelle aura connu un parcours politique exceptionnel. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, lui-même indiquait, lors du discours qu’il prononça comme doyen d’âge du Sénat, à l’ouverture de la séance ayant suivi le dernier renouvellement de la Haute Assemblée, en 2017, que des parcours comme le sien ne seraient bientôt plus possibles.

Il aura en effet exercé les mandats de sénateur, député, maire de Carbon-Blanc, président du conseil général de la Gironde et président du conseil régional d’Aquitaine. C’est une vie entière consacrée à la politique et au bien commun !

Cet engagement tient sans doute à un atavisme paternel. C’est son père Jacques, adhérent de la SFIO et lui-même maire, qui l’éveillera à la politique et au militantisme.

Mais il y a une dimension personnelle dans ce parcours hors du commun : Philippe Madrelle aimait la politique dans le sens le plus noble du terme, parce qu’il aimait les gens et ne répugnait pas non plus au combat politique – on peut même dire qu’il en avait le goût. « Seule la victoire a un intérêt », avait-il confié à son biographe dans la perspective de la publication d’un ouvrage retraçant son parcours.

Cette ardeur au combat politique n’était peut-être pas étrangère à son goût pour la compétition sportive, qu’il pratiqua dès son plus jeune âge, remportant, année après année, le cross de l’école primaire avant de devenir le champion de 400 mètres que vous avez évoqué, monsieur le président.

Mais cet homme politique d’une redoutable pugnacité était aussi un homme chaleureux et sensible. L’un n’allait pas sans l’autre, et la longévité de son parcours illustre la confiance qu’il aura su inspirer à ses électeurs, pour lesquels il éprouvait un attachement sincère et réel. Il savait se montrer à l’écoute de chacun, avec une curiosité inépuisable et une profonde empathie.

Après ses premiers pas dans l’enseignement à Ambarès, il fut élu conseiller municipal SFIO en 1965, à l’âge de 28 ans, puis succéda à René Cassagne en qualité de suppléant, devenant à 32 ans le plus jeune député de France, du département le plus grand de France métropolitaine.

En 1967, il devient président du conseil général, fonction qu’il exercera, à l’exception d’une période de trois ans, entre 1985 et 1988, jusqu’en 2015.

Précurseur de la décentralisation, il crée en 1977 un fonds départemental d’aide à l’équipement des communes, qui constituera un instrument d’aménagement précieux au service d’une exigence de justice et d’équité territoriales. Seul le Lot de Maurice Faure et la Nièvre de François Mitterrand s’étaient alors dotés d’un instrument comparable.

Il manifesta ainsi précocement les qualités qui feront de lui le grand aménageur auquel les lois Defferre permettront de donner sa pleine mesure. « Pas de Gironde à deux vitesses », se plaisait-il à dire, et il mettra en place, au fil des années, les instruments permettant aux 535 communes de son territoire, qu’elles soient petites ou grandes, de se couvrir d’équipements structurants : places, salles polyvalentes, gymnases – tous ces lieux où se tissent les liens invisibles et indispensables qui font la cohésion sociale.

En 2017, dans son discours d’ouverture de la séance publique, il portait un regard rétrospectif sur son action et disait avoir découvert, dans ses fonctions d’élu local, « l’importance déterminante du rôle des politiques d’aménagement et de solidarité mises en place par des institutions de proximité comme le conseil départemental ».

À cette attention portée à l’équilibre territorial s’ajoutait un combat contre les inégalités. Philippe Madrelle s’investit tout particulièrement dans la politique de l’aide sociale à l’enfance, qui constitua l’un des axes de ses mandats de président de département et fut sa fierté, lui qui avait débuté sa carrière en tant qu’enseignant.

Son territoire, il en avait une intime connaissance, connaissance des lieux, du patrimoine – du plus grandiose au plus modeste –, des élus aussi. Hervé Gillé, qui lui succède, a confié à la presse ses souvenirs de la campagne électorale de 2014, et son admiration de voir Philippe Madrelle appeler par leurs nom et prénom tous les maires et les adjoints rencontrés à cette occasion. Évoquant son souvenir, votre collègue Françoise Cartron a pu déclarer facétieusement : « Pas besoin de GPS avec Philippe Madrelle : il connaît toutes les routes de Gironde ! »

C’est fort de cet enracinement local que Philippe Madrelle deviendra député, puis sénateur. Après avoir siégé à l’Assemblée nationale de 1968 à 1980, il entra au Sénat et fut réélu à cinq reprises. Il y siégera près de trente-neuf ans.

Ardent défenseur du bicamérisme, il voyait la Haute Assemblée, non seulement comme une « tribune » des territoires, pour reprendre le terme qu’il employait, mais aussi comme une institution essentielle à l’équilibre des pouvoirs, cher à Montesquieu, comme lui Girondin.

Philippe Madrelle avait une longue expérience, mais ne se laissait pas entraîner à la facilité d’une nostalgie stérile. Il constatait les modifications profondes d’exercice du mandat parlementaire, en particulier, et des mandats politiques, en général. Il appelait de ses vœux l’approfondissement du travail des assemblées, tout en souhaitant que le Sénat puisse continuer à relayer les préoccupations de toutes les collectivités territoriales.

Ce fut un homme qui suscita des vocations et forma des générations de jeunes élus talentueux et dévoués. Pour son territoire, pour la République, il eut la générosité de se projeter au-delà de lui-même. Il était conscient de la défiance manifestée par nos concitoyens envers nos institutions et ceux qui les incarnent, et appelait à la vigilance face à une lassitude des élus.

Le projet de loi que le Sénat s’apprête à examiner lui aurait sans doute donné l’occasion de débattre avec le Gouvernement des moyens de conforter ces hommes et ces femmes politiques sans lesquels la démocratie ne peut fonctionner.

Philippe Madrelle aura incarné une certaine génération d’hommes politiques, pour lesquels l’engagement était celui d’une vie. Fidèle à ses électeurs, fidèle à son parti, fidèle à son territoire, inlassable bâtisseur, il laisse un vide béant pour ses proches, pour son épouse, ses enfants, sa famille, ses collaborateurs, ses concitoyens, ses collègues du groupe socialiste et républicain, l’ensemble de ses collègues au Sénat. Je leur adresse à tous, au nom du Gouvernement et en mon nom personnel, mes condoléances attristées.

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