Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, aujourd’hui, notre Haute Assemblée entame l’examen d’un projet de loi dont l’objet est essentiel.
Essentiel, parce qu’il traite de la difficile et nécessaire représentation locale de l’ensemble de nos concitoyens.
Essentiel, parce qu’il touche le socle même de notre modèle démocratique.
Essentiel, enfin, parce qu’il rappelle le rôle premier de notre chambre, tel qu’énoncé à l’article 24 de la Constitution française : celui d’assurer la représentation des territoires de la République.
Assurer leur représentation, c’est accompagner les élus locaux dans l’exercice de leurs missions ainsi que dans la gestion de leur commune, dont ils connaissent mieux que quiconque les réalités, les exigences et les turpitudes du quotidien.
Accompagner les élus locaux, c’est aussi les défendre lorsqu’ils sont menacés ou lorsque certains cris d’alerte ne sont plus audibles.
En juin dernier, nos collègues Antoine Lefèvre et Patricia Schillinger ont rédigé, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée par notre collègue, Jean-Marie Bockel, un remarquable rapport alertant notamment sur les difficultés rencontrées par les élus locaux dans la gouvernance des intercommunalités.
Malgré la volonté affichée de décentralisation, l’atavisme jacobin rattrape malheureusement trop souvent les 35 000 communes qui composent notre territoire. Le trouble est important pour les élus locaux, qui assurent avec beaucoup de dignité des fonctions parfois difficiles. Surtout, la nature et le rôle de l’élu s’en trouvent considérablement transformés.
Ces dernières années, nous avons bien senti dans nos territoires une forme de découragement, qui a saisi de nombreux élus. Ce découragement est engendré par le décalage entre l’envie d’agir des élus et les trop nombreux obstacles auxquels ces derniers doivent faire face, se sentant souvent trop seuls face à la complexité de nos organisations institutionnelles et la diminution des moyens de nos collectivités territoriales.
Les fonctions que nous occupons aujourd’hui au Sénat, celles que nous exercions hier dans nos communes, comme maires, adjoints au maire, conseillers municipaux, départementaux ou régionaux, nous ont placés quotidiennement au contact de la France des élus locaux, de l’engagement, du courage et de la prise de risque, celle des communes, grandes et petites, celle des petits bourgs, des communautés d’agglomération et des métropoles.
C’est pourquoi nous mesurons, mieux que d’autres peut-être, le gâchis des énergies contenues dans nos territoires. Disons-le clairement : depuis cette position privilégiée, à cette tribune comme dans les allées des marchés, nous mesurons à quel point la volonté, l’abnégation et le sens du mouvement se heurtent à chaque instant aux forces du statu quo.
Non, gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages n’est pas chose facile. §Sur ce plan, les échanges constructifs entre le Gouvernement, quel qu’il soit, et le Sénat sont une école de réalisme : on n’administre pas un pays contre ses élus locaux.
Oui, la condition de nos élus locaux se dégrade. De nombreux exemples nous l’ont malheureusement montré.
D’abord, les efforts à fournir pour assurer une fonction dont l’indemnisation est faible au regard du temps consacré et des efforts consentis sont considérables. Surtout, la délégation de compétences aux EPCI et la diminution des moyens mis à la disposition des communes nourrissent les tensions, les incompréhensions et, à terme, les divisions entre les élus et leurs administrés, dont les problématiques, aux facteurs éminemment locaux, trouvent rarement une réponse simple, concrète et efficace.
La dégradation de la fonction d’élu doit être une préoccupation majeure pour notre assemblée, parce que nous sommes les représentants des élus, mais aussi et surtout parce qu’une remise en cause du rôle de l’élu local est une mise à mal de notre socle démocratique.
L’élu local et la commune étaient au cœur des grandes avancées vers la décentralisation de notre pays. Les lois Defferre constituèrent des avancées considérables pour la démocratie. Les récentes tentatives de décentralisation sont, elles – il faut le reconnaître –, bien plus floues. En effet, la décentralisation a conduit à un enchevêtrement des compétences, qui obscurcit les réalités et dilue les responsabilités.
Aujourd’hui, posons-nous les bonnes questions. Quel élu voulons-nous pour demain ? Celui-ci doit-il être un professionnel, un expert, ou doit-il rester un représentant des habitants ? L’élu de demain devra-t-il renoncer définitivement à toute carrière professionnelle ? Devra-t-il appliquer des directives venues d’« en haut », sans aucune prise avec le quotidien d’« en bas » ? Le texte que nous étudions aujourd’hui vise à apporter des réponses à ces questions.
Mes chers collègues, le Gouvernement reprend les travaux préliminaires du Sénat et défend le texte en première lecture devant nous. Cela témoigne, madame, monsieur les ministres, d’une confiance en la capacité de notre assemblée à se saisir de sujets aussi importants pour la démocratie locale. C’est dans cet esprit de confiance et de proximité que nous assumerons pleinement notre rôle.
Je tiens évidemment à saluer le remarquable travail réalisé par nos deux rapporteurs, Mathieu Darnaud et Françoise Gatel, qui ont permis à la commission des lois d’améliorer significativement le texte qui nous est soumis aujourd’hui.
Tout d’abord, le projet de loi renforce le maire au sein de l’intercommunalité. Il apporte, au titre Ier, la nécessaire clarification du rôle des maires dans les EPCI, à travers la possibilité d’élaborer un pacte de gouvernance ainsi qu’une conférence des maires.
Ensuite, les pouvoirs de police du maire et les libertés locales sont renforcés. Le sentiment d’impuissance face à certaines incivilités est réel. Dès lors, il est urgent d’accorder à cet élu un pouvoir de sanction réglementé et, bien entendu, délimité.
L’article 20 est également louable, en ce qu’il permettra aux relations entre la commune et l’État d’aller de l’avant et de connaître davantage de fluidité.
Enfin, le dernier titre du texte entend mieux accompagner l’élu dans l’exercice de ses fonctions comme de sa carrière professionnelle. C’est un point fondamental. L’exercice d’un mandat permet d’acquérir de nombreuses compétences. Celles-ci doivent être reconnues.
Une élection ne peut plus être un frein ou une parenthèse dans une carrière professionnelle. À ce titre, les actions de réinsertion doivent faire partie des formations financées sur les budgets locaux, dans l’enveloppe de formation déjà prévue par le code général des collectivités territoriales.
Il s’agit ainsi d’encourager la réinsertion des élus, et donc la fluidité de leur carrière professionnelle. Nous aurons l’occasion d’y revenir durant le débat. En pratique, ces formations restent très peu mobilisées. Les élus locaux doivent être mieux accompagnés dans leur reconversion professionnelle, notamment par la validation des acquis de l’expérience, la VAE. Il s’agit d’assurer la cohérence entre cet outil de formation et le DIF.
Enfin, saluons la volonté d’avancer sur la question des indemnités. Même si le sujet est sensible, parler de l’engagement des élus sans l’aborder aurait été une erreur.
Ce texte se veut une réponse au mal-être des élus. Il ne réglera pas la question dans son intégralité : les problèmes sont si divers que la réponse ne peut être unique.
Madame, monsieur les ministres, vous affirmez l’ambition de clarifier le rôle de l’élu dans un cadre qui a évolué et de concevoir l’élu local que nous voulons pour demain. Notre société ayant changé, les élus locaux, eux aussi, sont amenés à évoluer. Ils aspirent désormais à plus d’autonomie et de responsabilité, dans tous les domaines. Cela est encore plus vrai des nouvelles générations qui arrivent.
Par plaisanterie, on a pu dire de la politique qu’elle était l’art d’empêcher les gens de s’occuper de leurs propres affaires. Il nous faut aujourd’hui faire tout le contraire. L’exigence pour les prochaines années, c’est la redistribution des pouvoirs. Or il n’y aura pas de partage des pouvoirs sans véritable décentralisation. Le mot reste cependant ambigu : il accrédite l’idée que les pouvoirs viennent d’en haut et que c’est le sommet de l’État qui décentralise « ses » pouvoirs au profit des collectivités territoriales. La décentralisation cache souvent une simple déconcentration des pouvoirs. Il nous faudra remettre la décentralisation à l’endroit.
Ce texte peut être une première pierre à l’édifice. Les échanges qui suivront doivent viser à présenter une analyse de la situation, à donner du sens à notre action et à montrer sur quoi peuvent déboucher les efforts de nos élus. Ils aboutiront, je l’espère, à affirmer une vision optimiste, et non à élaborer un énième texte sur le statut des élus.
Il ne tient qu’à nous de faire de ce projet de loi, à la veille des élections municipales, une réponse aux personnes, déjà élues, qui se demandent si elles seront candidates à un nouveau mandat, et à celles, pas encore élues, qui se posent la question de leur présence sur une liste municipale.
Simplifier la gestion de nos communes, élargir de nouveau le champ des possibles pour les élus, redonner du sens et de l’envie à l’engagement : tels sont les trois enjeux des débats que nous entamons aujourd’hui. Sachons saisir l’occasion d’y apporter des réponses appropriées.