Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, j’ai été maire d’une commune rurale de 450 habitants durant dix années : cette expérience ne me quitte pas et nourrit chaque jour mes réflexions et mon travail de législateur.
C’est vous dire combien j’étais sinon impatiente, du moins curieuse, madame, monsieur les ministres, de découvrir le grand projet de loi annoncé par le Gouvernement et destiné – je cite l’exposé des motifs – « à lutter contre la fracture territoriale » et « à réconcilier la métropole, la ville moyenne et le rural » : rien de moins !
Personne n’est dupe de cette « opération séduction » lancée à quelques mois des élections municipales, et il faudra bien plus qu’un projet de loi pour renouer la confiance avec les maires et les élus locaux.
Ainsi, il aura fallu la crise des « gilets jaunes » pour que l’exécutif se rende enfin compte des difficultés rencontrées au quotidien par les maires, expliquant pourquoi un maire sur deux déclare ne pas vouloir se représenter lors des élections municipales de mars 2020.
Oui, les communes sont le socle de la République, les maires sont les premiers agents de l’État sur le territoire : un État qui, sans les élus locaux, serait bien en peine de préserver la cohésion sociale.
Aujourd’hui, pardon de le dire, ils sont bien mal payés en retour avec ce projet de loi. En effet, malgré les intentions affichées par le Gouvernement, le compte n’y est pas : rien sur les baisses de dotations de l’État, ni sur la suppression de la taxe d’habitation, qui bat en brèche l’autonomie financière des collectivités territoriales, pourtant inscrite dans la Constitution ; peu de choses sur les intercommunalités « XXL » et rien sur les super-régions qui éloignent le pouvoir du terrain et laissent les élus communaux seuls en première ligne ; service minimum sur l’assouplissement maintes fois annoncé de la loi NOTRe ; rien sur l’acte III de la décentralisation que réclament en vain les associations représentatives des communes, des départements et des régions ; surtout, rien sur ce qui constitue le vrai problème, à savoir qu’avec la réforme territoriale et la priorité donnée au couple intercommunalité-région, avec la marche forcée vers les grandes intercommunalités, la légitimité technique par la compétence est, peu à peu, en train de remplacer la légitimité politique par le suffrage. Place aux « technotables » !
Telle est la vérité du malaise des élus locaux, et pas seulement des maires. Vous dites vouloir donner plus de pouvoirs aux maires, mais ce n’est pas en les autorisant à fermer les débits de boissons à la place des préfets que vous rétablirez la confiance. Cela conduira surtout à soulager une fois de plus les services de l’État d’une tâche subalterne et à placer les maires dans des situations délicates.
Donner des pouvoirs aux maires ? Mais pour faire quoi, et avec quels moyens ? Ce que nos collègues élus locaux réclament, c’est déjà de pouvoir disposer de moyens suffisants pour exercer leurs responsabilités actuelles. Commençons par là : ce serait déjà bien. C’est en tout cas que m’ont répondu les maires de la Haute-Savoie que j’ai pris soin de consulter sur la base de votre projet de loi et dont je me fais l’interprète aujourd’hui.
Enfin, à quoi bon vouloir légiférer tout le temps et sur tout ? Je fais ici référence au projet de pacte de gouvernance et à la conférence territoriale des maires, qui se pratiquent déjà sous des formes diverses sur le terrain sans qu’il soit besoin de loi pour cela, tout simplement parce que la solidarité entre les territoires et la confiance entre les élus locaux ne décrètent pas, mais se vivent au quotidien.
Le vécu quotidien des maires et de leurs adjoints – ne les oublions pas –, c’est souvent le choix de ne pas percevoir ses indemnités pour ne pas grever un budget communal déjà faible. À cet égard, le relèvement du plafond des indemnités que vous proposez et dont vous laissez la modulation à la discrétion des maires est une réponse insuffisante.
Le vécu quotidien des maires et des adjoints, c’est la difficulté à concilier vie professionnelle, vie familiale et mandat électif, en particulier pour les femmes, nombreuses à être engagées dans la vie publique locale.
Le vécu quotidien des maires et de leurs adjoints, c’est le maintien coûte que coûte d’un service de proximité et de qualité répondant aux besoins de leur population. Quand j’entends le Gouvernement annoncer la création de plusieurs milliers de maisons des services au public, tout en laissant leur fonctionnement futur à la charge des communes, je réponds qu’il existe déjà près de 35 000 maisons des services au public en France : cela s’appelle les mairies !
Le vécu des maires et des adjoints, c’est le temps qui manque pour se former et la difficulté à conserver une activité professionnelle régulière et, le cas échéant, à retrouver une activité ou à se reconvertir en fin de mandat.
Sur tous ces points, je ferai des propositions, notamment pour étendre le bénéfice du temps partiel, pour instaurer un fonds visant à financer des prêts pour les anciens élus désireux de créer leur entreprise ou pour que soit pris en compte, au titre du calcul des droits à la retraite, le temps consacré bénévolement à la collectivité et au public.
Madame, monsieur les ministres, nous autres montagnards sommes des taiseux ; nous ne donnons pas notre confiance comme cela, nous jugeons aux actes. Comme se plaisait à le dire Churchill, « que la stratégie soit belle est un fait, mais n’oubliez pas de regarder le résultat » ! Comme beaucoup de mes collègues, j’attendrai donc de voir quelle suite vous réserverez aux propositions du Sénat pour me prononcer. Il ne tient qu’au Gouvernement de faire en sorte que ce débat ne soit pas une occasion manquée.