Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, le débat qui nous réunit sur l’initiative du Gouvernement est, je crois, nécessaire pour clarifier nos choix collectifs. Tenons-le à la bonne hauteur et faisons-en un guide partagé de notre politique !
C’est la responsabilité première d’un État démocratique de décider quelles personnes peuvent être accueillies sur son territoire, et avec quel accès aux droits qui y sont reconnus.
Une limitation et une régulation des entrées sont de la nature même des missions d’un État souverain. Tous les pays neufs dans l’histoire qui se sont peuplés par l’immigration, sur le modèle des États-Unis dès le XVIIIe siècle, ont fixé des limites au droit d’entrée, en les adaptant suivant les périodes et suivant la consolidation de leur société.
Nous-mêmes, aujourd’hui, avons tous conscience de la nécessité de faire respecter de telles limites à l’accès à notre sol, pour maintenir les équilibres humains et la cohésion de notre société. Seules des doctrines extrémistes réclament l’abolition de toute frontière et tout contrôle territorial, étant observé, d’ailleurs, que ceux qui les défendent ne sont pas parmi les plus pacifiques lorsqu’ils défilent dans nos rues.
Cette régulation est la condition pour que la France assure avec succès l’intégration républicaine, qui est notre tradition et reste notre impératif pour garantir à nos compatriotes une société ouverte et solidaire.
L’immigration sous ses diverses formes représente entre 250 000 et 320 000 personnes par an, suivant l’estimation que l’on peut faire des entrées irrégulières. C’est le même ordre de grandeur que l’augmentation régulière de la population française, laquelle se situe entre 280 000 et 300 000 habitants supplémentaires par an. Bien entendu, ces deux statistiques ne résument pas à elles seules, notre évolution démographique et d’autres types de mouvements existent.
Notre connaissance, à tous ici, des réalités locales nous fait bien percevoir que ce chiffre de nouveaux arrivants est un facteur de tension dans le secteur du logement – tout particulièrement à la périphérie des grandes villes – et pèse sur nos principaux services publics, à commencer par l’enseignement et la santé.
La régulation du nombre d’entrants est donc une condition première d’une intégration accomplie pour chaque personne admise sur notre sol. Nous pouvons constater une large convergence sur ce principe simple. Les divergences apparaissent, d’abord quand on cherche à estimer le nombre préférable, et surtout quand on veut décider et appliquer les moyens concrets qui seront employés pour écarter les entrées dont nous ne voulons pas et que nous devons refuser.
À ce sujet, je souhaite marquer une distance, monsieur le Premier ministre, face à l’idée de quotas d’immigration qui revient encore.
La plus grande part des entrées sur notre sol est issue de processus de rapprochement familial, d’accès aux études supérieures et d’asile politique. Seuls les séjours étudiants peuvent faire l’objet d’une limitation légitime, et c’est déjà fait, ainsi que l’immigration professionnelle, qui, cela a été souligné, représente la plus faible composante du flux, dépassant à peine 10 %. On ne fixera de quotas ni d’entrées familiales ni de titres de réfugiés.
Les points noirs de notre situation se situent à trois niveaux : le traitement des demandes d’asile, le mouvement des mineurs isolés et la coordination européenne insuffisante dans l’espace de libre circulation.
L’asile politique est une obligation souscrite par notre pays, comme par 140 autres, pour protéger les personnes menacées dans leur vie par la violence régnant dans leur pays. Nous ne pouvons faillir à cette obligation, qui répond impérativement à nos engagements et aux fondements humanistes de la République.
En revanche, la lucidité élémentaire nous oblige à constater que chaque année les deux tiers des demandes d’asile présentées en France se révèlent injustifiés après, pourtant, un examen scrupuleux par l’Ofpra et par la justice, avec d’extrêmes garanties de droits de la défense. Or ce n’est pas un hasard malencontreux. La plupart de ces demandes injustifiées sont présentées pour obtenir en réalité une voie d’immigration non contrôlée. L’abus organisé du droit d’asile est un défi à notre système de droit, auquel nous avons le devoir de remédier, faute de quoi l’exercice de ce droit d’asile sera lui-même atteint.
Le déroulement de l’examen des demandes, la situation dans laquelle sont placés les demandeurs pendant la procédure et les modalités de leur contrôle sont à réexaminer encore plus rigoureusement. Car la situation actuelle, certes en évolution, aboutit à ce qu’une grande majorité des personnes dont la demande d’asile est injustifiée et rejetée se maintiennent sur le territoire en toute irrégularité. C’est un effectif compris entre 50 000 et 70 000 personnes, chaque année, qui se trouve installé sur notre territoire sans remplir aucune des conditions requises.
Nous ne devons pas laisser se perpétuer un circuit de fraudes, minant l’application de tout notre droit. Nous avons légiféré pour rétablir la norme. Nos voisins de l’Union européenne ne sont pas confrontés à un tel phénomène de détournement – en tout cas pas avec la même ampleur. Nous devons donc, avec vous, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, poursuivre nos efforts pour une véritable application de la loi sur l’asile.
Autre source préoccupante d’entrées irrégulières, le mouvement des mineurs isolés est aussi, de manière massive, le résultat de l’activité de filières organisées. Ce n’est pas par une démarche individuelle et improvisée que des milliers de jeunes détruisent leurs documents d’identité, juste après avoir franchi le contrôle à l’aéroport, et se dirigent directement vers le service d’aide à l’enfance, dont l’adresse est enregistrée sur leur téléphone portable. La manière purement sociale dont nous essayons de gérer cette fraude organisée ne peut suffire.
À cet égard, monsieur le ministre de l’intérieur, je suis obligé de répéter une question à laquelle, pour l’instant, je n’ai pas reçu de réponse de la part de l’exécutif. Alors que ce flux d’entrées me paraît atteindre 15 000 à 20 000 personnes supplémentaires par an, je n’arrive pas à savoir si des phénomènes de même ampleur sont constatés dans les autres pays de l’Union européenne. Si ces derniers n’enregistrent pas de chiffres comparables, comme je le crois, quelles méthodes conformes au droit ont-ils mises au point qui nous seraient inaccessibles ?
Dans ces deux domaines, il n’est pas viable que nous continuions à énoncer une politique largement partagée et que nous échouions à la concrétiser.
J’en termine par le sujet, trop large pour notre temps de débat de ce jour, du rapprochement entre Européens.
Je voudrais simplement, sans casser l’ambiance, insister sur une réalité contrariante : il s’agit d’une compétence souveraine des États de l’Union européenne qui n’a été mise en partage communautaire par aucun traité.