Ce matin-là, nous savions que le mauvais temps allait arriver. Quand j'ai appris qu'un marin avait pris la mer, j'ai halluciné. Quand il fait très mauvais, nous faisons ce que les anciens nous ont appris à faire : nous nous mettons à l'abri de la jetée pour être prêts à intervenir, si besoin. La décision a donc été prise en commun de sortir.
La sortie ne s'est pas trop mal passée. J'étais à la radio et à la carte, et nous étions plutôt contents d'avoir passé les passes. Je me souviens d'avoir dit : « Yes, c'est gagné ! ». À mesure que nous avons pris dans l'ouest, la tempête s'est déchaînée, avec des creux de 8 mètres. La mer a changé en quelques minutes ; nous nous sommes retrouvés submergés par les crêtes, jusqu'au moment où les vitres se sont brisées. J'ai appuyé sur le bouton « distress », qui n'a pas fonctionné - j'ai pris du 220 volts, et j'ai dû retirer mon doigt.
Dans ce genre de cas, vous savez ce qu'il faut faire, mais vous ne pouvez pas le faire : sans barre, impossible de partir à la plage, et impossible de monter dans l'ouest. Lorsque nous sommes sortis du port, vu l'état de la mer, nous savions que nous ne pourrions pas rentrer : ça marche dans un sens, pas dans l'autre. En réalité, avec un tel volume d'eau dans la passerelle, nous n'avions pas de solution. Jérôme a essayé d'écoper, mais les coups de mer remplissaient le bateau. L'électricité nous interdisait de toucher à la structure ; heureusement, Christophe et moi étions tous les deux en combinaison - je suis scaphandrier de formation -, ce qui nous permettait de pousser la porte avec nos genoux et nos épaules, pour empêcher l'eau d'entrer.
Il n'y a pas eu de cris, aucun énervement, juste quelques mots, très peu de bruit. L'hélicoptère que nous avons demandé, de toute façon, n'aurait pris personne : je n'y croyais pas du tout. Quand le bateau s'est couché, j'ai vu Christophe être éjecté, et les gars dans la passerelle. Cela fait plus de 30 ans que je suis bénévole et volontaire ; j'ai fait vingt ans chez les pompiers, et je suis depuis 2004 à la SNSM. Je n'ai rien pu faire pour les collègues ; je n'ai pas pu entrer dans la passerelle pour les en sortir.
Puis : coup de mer, etc. Quand je suis arrivé sur la côte, des gamins étaient là. Mes pieds ont touché le sol et, me retournant, j'ai vu le bateau à l'envers - je savais que les copains y étaient. J'ai voulu repartir en mer à la nage ; heureusement, les pompiers m'en ont empêché. Ma tête ne tournait plus rond.
Mon regret est que nous ayons emmené un gamin avec nous. Il était moins jeune que Jérôme, le fils de Christophe, mais n'avait pas d'expérience. Il n'a fait que s'assoir dans la passerelle ; nous ne l'avons revu que mort, à la fin. Nous n'aurions jamais dû l'emmener. Les jeunes sans expérience ne monteront plus à bord dans ce genre d'interventions.
Nous avons fait notre devoir, et nous le referons - je suis reparti en mer cinq jours après le 7 juin. Mais, avec l'âge, je ne suis plus l'homme que j'étais, et je n'ai rien pu faire pour mes collègues.
Je tiens à dire, en revanche, que je ne fais pas partie de la famille de la SNSM ; je ne me retrouve pas dans la politique que ses responsables défendent depuis des années. Ma famille est celle des marins de Vendée.
Depuis le 7 juin, nous n'avons jamais vu les responsables de la SNSM. Ceux que nous avons vu, ce sont nos élus, qui nous ont beaucoup soutenus, Yannick Moreau, Bruno Retailleau. Je considère aujourd'hui que je n'ai rien à voir avec la SNSM. Ni mon bateau ni ma station de sauvetage n'ont à voir avec elle.