Mon général, nous sommes très heureux de vous recevoir pour la présentation des crédits du programme 152, consacré à la gendarmerie, d'autant que ceci me permet de vous rendre hommage. Vous allez en effet quitter l'institution dans quelques jours. C'est donc votre dernière intervention devant le Sénat.
Je voudrais, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, vous dire toute notre reconnaissance. Chacun de nous a apprécié votre franchise, la précision de vos propos, et votre volonté de partager avec nous les grands enjeux de la gendarmerie. Dieu sait si, au cours de ces dernières années, vous avez dû surmonter des défis particulièrement difficiles à relever. Vous vous en êtes ouvert à nous en avec beaucoup de confiance. Vous savez l'attachement que nous portons tous, dans cette maison qui représente les territoires, à notre gendarmerie nationale et à l'engagement des femmes et des hommes qui la composent.
Vous avez également dû vous battre sur le plan budgétaire pour trouver quelques marges de manoeuvre afin de préserver la capacité de la gendarmerie à remplir ses missions. Acceptez donc une fois encore notre reconnaissance. Je serai personnellement présent lors de votre cérémonie de départ, peut-être avec d'autres collègues.
Je parlais de marges de manoeuvre. Malheureusement, cette année n'échappe pas à la rigueur budgétaire et fait écho aux inquiétudes des parlementaires qui ont notamment donné lieu à la création de deux commissions d'enquête au Sénat et à l'Assemblée nationale. Nous préconisons en particulier depuis plusieurs années un effort d'investissement massif pour remettre à niveau le parc automobile et l'immobilier, car s'il existe de belles réalisations, certaines gendarmeries ne sont pas belles à voir. Or le nouveau projet de loi de finances prévoit plutôt un tassement des crédits - pour ne pas parler de diminution.
Nous avons aussi des inquiétudes sur les moyens de fonctionnement qui vous sont consentis et qui stagnent, alors même que l'on prévoit l'augmentation des effectifs. Il y a là une distorsion inquiétante. Vous nous direz quelles sont vos pistes pour maintenir un niveau de service adéquat.
Par ailleurs, l'institution connaît des évolutions importantes, comme la création, au sein du ministère de l'intérieur, de la direction du numérique ou du service des achats, de l'innovation et de la logistique (SAILMI). Tout ceci doit permettre de mutualiser certaines fonctions et - en théorie du moins -, de réaliser des économies d'échelle. On est toujours très inquiet quand ces réorganisations rassemblent sous un même sigle des services qui étaient quelque peu éparpillés. Peut-être y a-t-il derrière ceci une bonne intention : vous tenterez de nous dire quelles sont les conséquences de ces réformes pour la gendarmerie et s'il n'existe pas un risque de centralisation excessive qui pourrait nuire à la réactivité et à la proximité de terrain.
C'est encore une fois avec un sentiment d'inquiétude que nous abordons ce budget.
Comme d'habitude, je vous donne d'abord la possibilité de vous exprimer sur ce budget, puis nos collègues Philippe Paul et Yannick Vaugrenard, en tant que rapporteurs pour avis, s'exprimeront avant les interventions de nos collègues.
Général Richard Lizurey. - Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est en effet la dernière fois que j'ai l'occasion de vous remercier pour le soutien que la gendarmerie a toujours reçu de la part des sénateurs, notamment lors de son passage par le ministère de l'intérieur, en 2009, action déterminante dans le cadre fixé à l'époque, alors que cette période avait constitué un moment d'inquiétude et d'appréhension. Nous avons bénéficié du soutien très appuyé du Sénat dans le maintien du socle de valeurs que nous avons su conserver tout au long de ces années.
Le soutien de votre commission ne s'est jamais démenti. Vous évoquiez les batailles budgétaires qui - et c'est normal - font partie de la vie de l'État. Nous sommes tous comptables du budget de la Nation et de l'argent public, mais il est également important de savoir fixer des priorités et de trouver un soutien dans les territoires.
Je me permets de le souligner car, comme vous l'avez dit, la gendarmerie est l'arme des territoires. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons remis le contact au centre de notre métier. Le contact et la proximité sont l'ADN de notre mission.
Nous avons progressé, et il reste encore des marges de progrès, mais nous avons véritablement réinvesti un certain nombre de territoires. Le gendarme sait aujourd'hui que l'essence de son métier consiste à aller vers les autres : la gendarmerie n'existe pas pour elle-même mais pour les citoyens qu'elle est chargée de protéger. Dans ce domaine, nous avons besoin de votre vision, de vos retours, ainsi que de votre soutien, pour lequel je vous remercie.
Merci également pour les mots que vous m'avez adressés. Je les transmettrai aux 130 000 personnels d'active et de réserve, qui sont au coeur du système. Je dis souvent que le directeur général est un VRP qui ne peut vendre qu'un bon produit. Si le produit n'est pas bon, cela ne peut fonctionner. Je considère que le produit est aujourd'hui excellent. Il peut être encore meilleur demain, mais le souhait de tous les personnels est d'être au service des autres, de s'engager et de protéger nos concitoyens.
On l'a bien constaté à travers les événements de l'année qui vient de s'écouler, par exemple le G7, sous l'autorité du ministère de l'intérieur. L'ensemble du ministère a été mobilisé. Cela fut une belle réussite, qui doit tout à la planification et au travail collectif.
Nous avons aussi connu des moments plus délicats, comme le mouvement des « gilets jaunes » qui, depuis le 17 novembre 2018, a mis le modèle à l'épreuve dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la tactique ou de la gestion des escadrons de gendarmerie mobile.
Je salue aussi l'engagement exceptionnel des personnels. Je rappelle que, le 8 décembre 2018, nous avions sur le terrain 65 500 personnes, dont 6 000 réservistes. Aujourd'hui encore, 2 000 réservistes contribuent au service public sur le terrain, en plus de leurs activités professionnelles. On parle souvent de perte de valeurs : on ne peut qu'être fier de leur engagement.
Le schéma national de maintien de l'ordre, tel qu'il est souhaité par le ministre de l'intérieur, nous donne l'occasion de réfléchir avec nos collègues de la police nationale, mais aussi des universitaires et un certain nombre de personnalités extérieures. Il faut en effet désormais adapter nos modes d'action. La société bouge tous les jours et les institutions doivent se montrer tout aussi agiles.
Il ne faut pas tenir des certitudes pour acquises, mais systématiquement adapter notre raisonnement et nos dispositifs aux besoins. C'est dans ce cadre que la fonction de contact est essentielle, parce qu'elle permet de prendre le pouls de la société, des citoyens et des élus.
La fonction de contact est au coeur du projet d'entreprise qui est le nôtre. Cela fait trois ans que nous avons mis en place 42 brigades de contact. Nous avons aussi 250 groupes de contact différents, avec des dispositifs circulant à bord de véhicules, dans les centres commerciaux...
J'ai souhaité « redonner les clefs du camion » au terrain, car c'est le terrain qui commande. 3 100 brigades territoriales, ce sont 3 100 réalités différentes. Il est donc illusoire et dangereux d'imaginer une politique partant d'en haut, qui explique à chaque gendarme comment procéder sur le terrain. C'est le gendarme qui doit expliquer au directeur général la manière dont les choses fonctionnent. C'est le sens du travail que nous avons réalisé durant ces dernières années, qui s'est encore amplifié au cours des mois écoulés grâce aux remontées du terrain et à l'innovation participative.
Nous avons redynamisé la feuille de route en la transformant en « Cap modernisation ». Aujourd'hui, chaque gendarme peut interroger la direction générale ou proposer n'importe quelle modification du processus. Il aura une réponse dans les quinze jours, par principe positive. On a changé le paradigme : auparavant, on proposait quelque chose et l'administration centrale expliquait doctement, trois mois après, que ce n'était pas possible. On a inversé la donne : le terrain a raison, sauf si, au niveau central, il existe un argument majeur pour expliquer qu'il a tort. Ceci change complètement la manière de voir les choses. On donne l'initiative au terrain et cela permet, en cas de doute, de lancer l'expérimentation.
Le droit à l'erreur est aujourd'hui reconnu et nous permet d'avancer très vite. Il permet surtout aux gendarmes de vivre leur métier de la manière dont ils estiment devoir le vivre et de réaliser leurs missions comme ils pensent devoir le faire. C'est à eux qu'il faut « donner les clefs du camion » !
Ceci a été amplifié au cours de l'année écoulée. « Cap modernisation », ce sont 400 propositions, dont environ 40 à 50 ont été validées et partagées. Nous avons également poursuivi un travail de modernisation technologique. L'important, en matière de contact, c'est le temps. Il faut retourner dans les « bistrots ». Cela a fait rire quand je l'ai dit la première fois, mais c'est là où on a le renseignement, l'information, où la vie locale s'exprime.
Comment donner du temps aux gendarmes ? D'abord en supprimant les missions indues. Ce travail a été engagé sous l'autorité du ministre de l'intérieur et de la ministre de la justice. Une grande partie de nos missions récurrentes ont en effet trait à la procédure pénale. Le travail sur la procédure pénale numérique est un travail extrêmement intéressant, porteur de beaucoup d'espoirs. Le gendarme en attend un allégement de ses missions dans ce domaine.
Les autres tâches indues concernent les missions d'extraction pénitentiaire. Les choses se sont normalisées. Le travail qu'on a effectué à ce sujet porte à présent ses fruits.
Donner du temps au gendarme, c'est aussi disposer de moyens technologiques. Néogend, déployé fin 2017, représente 67 000 tablettes et smartphones. L'objectif du prochain marché, à partir de 2020, est de 100 000 terminaux. Une partie des crédits budgétaires y est d'ailleurs consacrée, soit 72 millions d'euros. Cet équipement, qui offre l'accès à la totalité des données, permet d'imaginer la fin des ordinateurs de bureau d'ici deux à trois ans.
À moyen terme, cela représente des économies budgétaires intéressantes et libère du temps, puisqu'on n'entre les données qu'une seule fois dans la machine grâce à une intelligence sinon artificielle du moins augmentée. Ce gain temps sera réinvesti dans le contact, car on passe souvent plus de temps à évaluer les choses qu'à agir. Cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner toute évaluation, mais ceci doit laisser suffisamment de temps aux gendarmes pour travailler.
Le gendarme doit aller vers la population, ainsi que vers les élus. J'ai donc besoin de votre retour. Si un élu me dit que tout va bien, je considère que l'évaluation est faite. Si un élu me signale un problème, c'est qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Ce lien constant est important. J'ai donc souhaité un rendez-vous semestriel entre le commandant de compagnie, ses commandants de brigades et les élus de la circonscription. Cela se fait dans beaucoup d'endroits. Il faut encore progresser dans certains autres.
Les nouvelles technologies vont également remonter en puissance dans le domaine de la police technique et scientifique ou du numérique. C'est en regroupant les compétences qu'on pourra avancer. Le tout est de fixer une limite à ce regroupement.
On voit en effet que tous les grands programmes, y compris informatiques, s'ils dépassent un certain seuil, finissent par imploser. Ce fut le cas de Louvois ou de l'Opérateur national de paye (ONP). Tout l'enjeu consistera donc à trouver l'agilité nécessaire pour aller de l'avant et rester en contact avec le métier. C'est le métier qui commande. Au quotidien, le gendarme a besoin d'outils opérationnels sur lesquels il a un avis à donner. C'est un des enjeux de la création de la direction du numérique.
Nous continuons également à travailler sur différentes innovations. Nous avons ainsi commencé à déposer des brevets, quatre à cinq par an. Aujourd'hui, nous tirons des royalties de deux brevets. Avec l'Agence du patrimoine immatériel de l'État (APIE), nous nous sommes associés à un cabinet d'avocats pour que tout soit clair. On reverse une partie du bénéfice à l'inventeur, et on donne ainsi envie aux personnels d'aller plus loin.
Bien évidemment, les brevets actuels tournent pour le moment autour de l'ADN mais, demain, il n'est pas exclu de déposer des brevets dans d'autres domaines. C'est une piste intéressante qui permet d'accroître les capacités budgétaires des administrations. Nous avons des pistes dans le domaine de l'empreinte olfactive, notamment avec nos camarades de la police nationale, ou de l'intelligence artificielle appliquée à la gestion des personnels.
Nous avons mis en place une application pour les officiers afin de leur indiquer le parcours professionnel qu'ils doivent emprunter pour mener la carrière qu'ils souhaitent. Il n'existe pas d'outil permettant aujourd'hui de modéliser les carrières. L'idée est d'en créer un afin que chacun puisse connaître sa ligne de carrière et répondre aux questions qu'il se pose. Nous allons compléter ce dispositif afin d'adapter la formation aux besoins de l'institution et aux envies des personnels.
Cette modernisation touche donc différents domaines : elle se fait au profit du dispositif missionnel, des individus et de l'usager. La brigade numérique est à ce sujet un excellent exemple. Elle représente vingt personnes basées à Rennes, qui sont sollicitées entre 250 et 300 fois par jour à propos de questions de toute nature. Ce service est à la disposition des usagers 24 heures sur 24.
On a, depuis cet été, ajouté à cette brigade numérique un certain nombre de gendarmes qui travaillent de chez eux. Il s'agit de personnels inaptes physiques qui ont connu un accident de service, mais qui font toujours partie de l'institution.
Le signal est très clair : on ne laisse personne au bord de la route. Cette modernisation allie à la fois l'intérêt du gendarme, du ministère et, avant tout, de l'usager. Notre rôle est en effet d'être au service de l'usager et de nous adapter à lui en permanence.
Le budget tel qu'il vous est proposé me semble intéressant au plan du titre II, puisqu'il est en augmentation de 120 millions d'euros, ce qui nous permet de suivre l'évolution des effectifs - environ 490 ETP. Cela nous permet aussi de répondre à l'augmentation catégorielle. Les différents plans engagés les années passées vont se poursuivent dans les années à venir.
Par ailleurs, la réserve opérationnelle est pour nous déterminante pour l'efficacité du service. Nous avons connu une année 2019 quelque peu compliquée, puisque nous n'avons pas pu engager un nombre de réservistes suffisant. Ceci est lié à la gestion budgétaire de la mise en réserve, qui constitue un véritable sujet.
Ce n'est peut-être pas politiquement correct, mais il ne me paraît pas acceptable que le budget soumis aux assemblées, dans la mesure où il est justifié, soit mis en réserve à peine voté.
Nous sommes totalement d'accord avec ce point de vue !
Général Richard Lizurey. - Ces incertitudes pèsent sur la gestion, sur l'organisation, sur les missions et sur la qualité du service public. Je comprends qu'il faille prendre des précautions, mais cela fait des années que j'appelle de mes voeux une réflexion dans ce domaine. Pour un gestionnaire, c'est compliqué ! C'est l'occasion de faire passer le message. C'est aussi un élément important en matière de dépense des deniers publics.
Le budget connaît une augmentation en matière d'immobilier, où l'effort va se poursuivre s'agissant notamment de la sécurisation des casernes. On l'a bien vu ces dernières années : le niveau de violence augmente tous les ans. On compte environ vingt blessés par jour toutes catégories confondues. On a, notamment outre-mer, des foyers de violence extrêmement graves qui nous obligent à revoir la sécurité de nos casernes. La sécurité de nos personnels et de leur famille est un élément déterminant pour l'efficacité du service. J'ai en cet instant une pensée pour nos camarades de la police nationale, qui ont subi une attaque particulièrement dramatique il y a quelques jours. La sécurité des forces de l'ordre, sur leur lieu de travail, ainsi que dans leur vie quotidienne, doit être prise compte.
En matière d'immobilier, le travail va se poursuivre sur le plan de la rénovation des infrastructures. Il faudra sûrement raisonner sur d'autres modèles, moins patrimoniaux, pour ce qui concerne le domanial. Nous avions travaillé, il y a quelques années, sur des possibilités d'externalisation avec de grands opérateurs. Ce sont des pistes intéressantes. Il faut que l'on puisse là aussi trouver des marges de progression. À ce stade, je n'ai pas d'idée précise, mais on est en limite d'un système.
Quant aux véhicules, ils constituent un élément essentiel du travail de la brigade dans les territoires. La circonscription d'une brigade de neuf gendarmes correspond à la superficie de Paris intra-muros. Certes, on y compte moins de population, mais l'espace à couvrir reste néanmoins bien réel. Il faut donc des voitures. Les nôtres ont aujourd'hui sept ans et six mois. Il nous faudrait un volume de véhicules entre 2 800 et 3 000 voitures par an pour conserver notre efficacité opérationnelle. Ceci constitue, pour l'année prochaine, un élément important du budget.
Merci pour cette présentation sous forme d'ultime témoignage.
Croyez bien que nous partageons nombre de vos observations, notamment concernant les gels de crédits. Je disais tout à l'heure à la secrétaire générale pour l'administration que, dès octobre, les mois difficiles commencent ! En matière de forces armées, ce ne sont pas de petites sommes !
Nous essayons, à la faveur de chaque discussion budgétaire, de nous opposer à cette méthode. On ferait mieux de ne pas faire rêver les effectifs qui attendent ces crédits pour les voir systématiquement rognés en fin d'année.
Je vous répète notre attachement à la gendarmerie. Je regrette, avec quelques élus franciliens, de ne plus avoir de gendarmes dans nos collectivités ! Lorsque j'étais maire, nous disposions de six gendarmes qui réalisaient un travail incroyable. Ceci ne met pas en cause, surtout dans les jours que nous traversons, la tâche de la police nationale, mais ce ne sont pas les mêmes méthodes. Prélever des forces de gendarmerie en Île-de-France - même s'il y avait de solides raisons pour les redéployer ailleurs - n'a pas constitué une bonne décision. Croyez bien que vous nous manquez !
La parole est aux rapporteurs pour avis.