Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 19 janvier 2010 à 14h30
Réforme des collectivités territoriales — Discussion générale

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Il a également été dit que la France allait à contre-courant de l’Europe. Cette allégation est difficile à prouver. La plupart des pays européens disposent de trois niveaux de collectivités. La France a, il est vrai, un nombre très important et une grande diversité de communes. Elles sont le fruit de l’histoire, et nos concitoyens les plébiscitent.

Cet argument est d’autant plus spécieux que vous inventez de nouvelles configurations : métropoles, pôles métropolitains, et même une collectivité devant se substituer à la région et aux départements qui la composent !

Vous tentez – c’est un jeu dangereux – d’opposer nos concitoyens à leurs élus en affirmant que ces derniers coûtent cher. Ce point aussi est difficile à établir. Ils sont, pour l’essentiel, des bénévoles qui contribuent dans leur mission à répondre aux attentes du public. L’argument est, là encore, spécieux : vous ne nous informez pas clairement du coût des nouveaux conseillers territoriaux et de celui de leurs remplaçants. Il est à parier qu’ils coûteront plus cher que les actuels conseillers généraux et régionaux.

Vous affirmez que les financements croisés rendent la gestion inextricable et la font paraître confuse à nos concitoyens. Il faut néanmoins ajouter que sans ces financements de nombreux projets utiles à notre pays ne verraient pas le jour. Une étude d’impact s’imposerait en la matière.

Ce qui est vrai, en revanche, c’est que les dernières lois de décentralisation de 2003-2004 ont conduit à une confusion des rôles en transférant des responsabilités de l’État sans justification, si ce n’est le transfert des charges.

D’ailleurs, vous dénoncez un accroissement des dépenses locales et des impôts locaux. Le Gouvernement l’a lui-même programmé au travers d’une politique sociale et économique désastreuse, du désengagement de l’État, des transferts de compétences mal compensés – ce qu’a confirmé récemment la Cour des comptes –, de la réduction des dotations nationales aux collectivités, de la fin du pacte de stabilité et de croissance, de la révision générale des politiques publiques ou RGPP, et maintenant de la suppression de la taxe professionnelle !

Ces arguments trouvent aussi leurs limites, car les citoyens savent que les collectivités territoriales ont un bilan. Elles contribuent, ô combien ! à la richesse nationale, leurs investissements représentant 73 % des investissements publics. Nos concitoyens voient bien les réalisations qu’ils leur doivent.

En réalité, monsieur le ministre, vous savez tout cela et votre discours d’aujourd'hui sert surtout à rassurer vos amis.

Hélas, la présentation de votre réforme n’est pas sincère ! Déjà, le cadre des financements n’est pas défini, après la suppression de la taxe professionnelle. Par ailleurs, vous souhaitez un bouleversement du paysage institutionnel, avec en ligne de mire la disparition des départements et des communes ; mais vous ne pouvez pas le dire aussi clairement ni engager la nouvelle réforme constitutionnelle nécessaire à la suppression de ces deux niveaux de collectivité.

Vous supprimez donc la compétence générale des départements et la spécificité de leurs élus. Vous voulez que les communes rejoignent une intercommunalité et lui transfèrent leurs compétences. Vous désirez mettre fin à l’autonomie des communes existant aujourd'hui en créant des communes nouvelles.

Vous avez une vision globale, à savoir réorganiser le territoire autour des métropoles – votre innovation phare – qui cumulent l’essentiel des compétences et sans doute des moyens.

Dans le même temps, vous supprimez sans le dire ce qui fonctionne aujourd'hui en matière de coopération volontaire.

Certes, une réforme des collectivités territoriales est nécessaire, mais celle que vous proposez va à contresens.

La réforme devrait commencer par une réflexion sur la pertinence des différents niveaux de compétences. Elle amènerait à considérer que l’État a opéré des transferts abusifs et doit reprendre en charge, en termes de pouvoir et de finances, les grands services publics nationaux sur tout le territoire pour l’égalité des citoyens.

Elle permettrait également de rappeler que tout regroupement de collectivités doit être volontaire et fondé sur leurs choix démocratiques et sur ceux des citoyens, ce que vous refusez.

Elle permettrait aussi de réaffirmer la commune comme l’échelon premier de proximité, les décisions devant être prises selon un principe de subsidiarité allant du bas vers le haut – c’est le contraire de ce que vous proposez –, tout ce qui peut être réalisé au plus près de nos concitoyens devant l’être par la commune.

Votre réforme contredit l’aspiration de nos concitoyens à plus de démocratie. Jamais, jusqu’à présent, la libre administration des collectivités locales, leur droit à décider de leur politique, n’avait été mise en cause, même si les lois de décentralisation de 2003-2004 lui ont porté des coups. Les lois de 1982 s’inspiraient d’un esprit de démocratisation et de proximité, soit l’inverse de ce que vous proposez aujourd'hui.

Vous voulez supprimer la compétence générale des départements et des régions alors qu’elle est précisément consubstantielle à cette libre administration des collectivités locales, et vous le savez très bien. C’est la raison pour laquelle vous essayez de tourner autour de cette question sans l’aborder frontalement, contrairement à votre texte.

Cette réforme signe la fin de trente années de décentralisation et de démocratie locale.

Elle organise une recentralisation des décisions, mais à la différence d’avant 1982 l’État a abandonné pour partie les grands services publics nationaux. Les collectivités seront, de fait, sous sa tutelle. Il pilotera tout, mais paiera de moins en moins.

Vous avez d’ailleurs réorganisé les services de l’État dans cette optique. La région est devenue le premier échelon décentralisé de l’administration de l’État, en lieu et place du département. Les décisions sont concentrées autour de « super-préfets », à l’image des directeurs des agences régionales de l’hospitalisation.

La démocratie, c’est la reconnaissance concrète des droits des citoyens, des personnels et des élus. Ce projet de loi est à mille lieues des budgets participatifs, de l’initiative législative des citoyens et des collectivités locales, du référendum d’initiative citoyenne ! Vous préférez casser des lieux de souveraineté populaire et éloigner les populations des lieux de prise de décision, alors qu’elles revendiquent la proximité, comme le confirme le récent sondage réalisé pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF : parmi tous les élus, c’est le maire qui inspire la plus grande confiance à nos concitoyens. La liberté des collectivités territoriales vous gêne.

La création des conseillers territoriaux est une caricature : ces élus seront hybrides, puisqu’ils auront à la fois des pouvoirs dans les départements et dans les régions, et leur création annonce sans doute la disparition des départements ; ils seront élus dans des cantons dont nul ne connaît les configurations et dont on peut craindre un découpage « sur mesure ».

Le mode de scrutin que vous envisagez est critiqué de toutes parts. En tout état de cause, il pousse à la bipolarisation et à la suppression de la parité, chèrement acquise. Ces « super-élus » professionnalisés, cumulant deux mandats, sont la négation de la démocratie locale.

Vous énoncez clairement l’objectif de réduction des dépenses publiques locales, c’est-à-dire – il faut appeler les choses par leur nom ! – la mise en cause des services publics locaux. Pourtant, le Président de la République déclare à qui veut l’entendre – il l’a fait à nouveau lors de ses vœux à nos concitoyens – que notre pays a été moins éprouvé que beaucoup d’autres grâce à son modèle social. Or c’est précisément contre ce modèle social que s’acharne la politique du Gouvernement !

Votre obstination à diminuer les dépenses publiques vous a conduits à réduire la capacité d’intervention de l’État dans sa mission de garant de la solidarité nationale : nous voyons ce qu’il en est ! Avec cette réforme, faisant fi des besoins des habitants, vous voulez réduire également la capacité d’intervention des collectivités locales, au moment où nos concitoyens rencontrent des difficultés et éprouvent donc des besoins croissants. Vous cassez, par la même occasion, les possibilités de relance que constituent les investissements des collectivités.

Le privé est le grand absent de vos propos, mais il se tient en embuscade. De votre point de vue, une anomalie s’avère insupportable : les investissements publics et de nombreux services publics locaux échappent en grande partie aux appétits des grands groupes privés, à la logique de compétitivité, de rentabilité et de concurrence. Vous voulez y mettre fin !

Quant aux fonctionnaires territoriaux, ils seront des « pions » déplacés au gré des regroupements et réorganisations. Ce projet de loi ne prévoit pas de les consulter, de même qu’il ne dit rien des conséquences de cette réforme sur leur statut.

Dans sa conférence de presse sur le grand emprunt, en décembre, le Président de la République s’est vanté que l’État ait supprimé en un an 35 000 fonctionnaires et a déploré, une nouvelle fois, que les collectivités locales aient, à l’inverse, recruté. Or la seule question qui vaille est la suivante : nos collectivités disposent-elles de trop de moyens ? Les 1 750 000 agents publics territoriaux assurent au quotidien le service public au plus près de nos concitoyens.

Sont-ils trop nombreux, ces agents publics qui ont travaillé ces dernières semaines des heures et des heures dans des conditions très difficiles pour que le pays puisse continuer à fonctionner malgré les conditions atmosphériques ? Sont-ils trop nombreux, les personnels des crèches, alors que les familles ont besoin de plus de crèches publiques près de chez elles ? Sont-ils trop nombreux, les personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS, que vous avez décentralisés et qui sont indispensables à la vie quotidienne des collèges et des lycées ? Excusez-moi, la liste serait longue, mais je vous l’épargnerai.

Oui, il faut maintenir, moderniser et développer la fonction publique territoriale nationale dont le statut, depuis 1983, garantit la pérennité du service public dans notre pays, à l’inverse d’autres dispositifs qui ne favorisent pas le maintien des services publics.

En réalité, derrière ce projet de loi qui traite, pour l’essentiel, de l’intercommunalité et de divers regroupements, se cachent des mesures extrêmement graves et beaucoup de non-dits. Ce projet est tout simplement redoutable, car l’enjeu est énorme. Ne nous y trompons pas : le texte qui nous est soumis est le vecteur d’un projet structurant, le projet de société de l’UMP. Cette réforme dessine une organisation territoriale rompant avec notre histoire singulière d’autonomie communale et de démocratie locale.

Vous nous demandez un chèque en blanc pour l’avenir, puisque ce projet de loi induit des conséquences qui ne seront dévoilées que plus tard, à savoir les compétences des collectivités, les modes de scrutin et les découpages électoraux. Ce procédé est tout à fait inacceptable !

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à cette réforme et nous défendrons dans le débat une tout autre vision de l’organisation territoriale, sans accepter aucun compromis !

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