Intervention de Henri Leroy

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 octobre 2019 à 9h00
Proposition de loi tendant à renforcer l'encadrement des rave-parties et les sanctions à l'encontre de leurs organisateurs — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Henri LeroyHenri Leroy, rapporteur :

La proposition de loi déposée par Mme Pascale Bories et plusieurs membres du groupe Les Républicains, que nous examinerons en séance publique le 22 octobre prochain, tend à résoudre un problème récurrent, auquel les élus nationaux et les maires demandent de longue date une solution. Il s'agit, face à une réponse insuffisante de l'État, de mieux encadrer l'organisation de rassemblements festifs généralement connus sous le nom de « rave parties » hors des lieux spécialement aménagés à cet effet, voire sans autorisation. Ces rassemblements appellent, de la part des pouvoirs publics, une attention particulière du fait des troubles qu'ils peuvent susciter pour le voisinage et l'environnement, et des dangers qu'ils comportent pour les participants.

En l'état, le régime d'encadrement mis en place en 2002 ne fonctionne pas. Ce régime spécifique a transféré aux préfets les pouvoirs de police relatifs à ce que les organisateurs appellent non plus des « rave parties », mais des « free parties » ou « fêtes libres », et qui sont qualifiées de « rassemblements exclusivement festifs à caractère musical » par l'article L. 211-5 de code de la sécurité intérieure.

Ce régime est juridiquement très particulier. Il est présenté comme un régime de déclaration, mais s'apparente en fait à un régime d'autorisation. Le préfet peut refuser de délivrer un récépissé et même interdire le rassemblement sur le fondement de l'article L. 211-7 du code de la sécurité intérieure. À l'inverse, il doit engager une concertation avec les organisateurs si leur projet n'offre pas de garanties suffisantes. Cela peut le conduire à trouver un lieu pour l'organisation du rassemblement et à devenir, en pratique, coorganisateur de l'évènement.

Vu l'ambiguïté de ce régime, il n'est pas étonnant que l'attitude de l'État ait oscillé entre des périodes d'appui aux organisateurs et des périodes de répression, pour se stabiliser aujourd'hui sur une position de tolérance face à une situation d'illégalité.

J'ai eu d'assez grandes difficultés à obtenir des statistiques récentes, mais il semble que, en moyenne, seuls deux récépissés sont délivrés chaque année, ce qui veut dire qu'il n'y a que deux rassemblements légaux sur les quelque huit cents susceptibles d'être déclarés chaque année. Or ces rassemblements, qui peuvent réunir plusieurs dizaines de milliers de participants, se tiennent quand même. Les services de l'État, ne voulant pas aller jusqu'à les interdire, tolèrent ces évènements, tout en prévoyant la présence des services de police ou, plus fréquemment, de gendarmerie et des pompiers ; ils essaient également de les accompagner, notamment pour mettre en place une réduction des risques liés aux addictions.

Cette solution n'est guère satisfaisante, puisqu'elle revient à admettre le phénomène, sans garantir la sécurité des participants ni limiter suffisamment les nuisances. Le nombre de condamnations, qui m'a été communiqué par la chancellerie paraît faible : en 2018, il y a eu soixante-dix condamnations à des peines d'amende, dont le montant moyen s'élève à 418 euros, et deux confiscations de matériel.

Paradoxalement, cet arsenal législatif et réglementaire comporte un angle mort. Pour concentrer les ressources des préfectures sur les rassemblements les plus importants, le régime d'encadrement actuel ne se déclenche qu'au-delà d'un seuil fixé par décret, qui est actuellement de 500 participants prévu. En deçà de ce seuil, c'est le maire seul qui fait face à ces évènements.

Or, comme aucune disposition spécifique n'est prévue, les « fêtes libres » de moins de 500 participants ne relèvent d'aucune police particulière, et elles sont donc assimilées à de simples réunions. Il suffit donc de l'autorisation du propriétaire du terrain pour qu'elles puissent se tenir. Cela est d'autant plus paradoxal que, contrairement à ces « fêtes libres », le moindre spectacle amateur doit être déclaré au maire. Or plus de 3 200 de ces fêtes se tiennent chaque année, principalement, mais pas uniquement, dans la France de l'Ouest, et très majoritairement en zone rurale.

Face à cette situation, la proposition de loi prévoit d'abaisser le seuil qui déclenche l'obligation de déclaration au préfet, et de renforcer les sanctions, en doublant la durée de saisie administrative du matériel et en transformant l'infraction de non-déclaration ou d'organisation malgré l'interdiction d'une contravention de cinquième classe en un délit.

On ne peut que partager l'objectif des auteurs de la proposition de loi. Néanmoins, un certain nombre de difficultés se posent.

Tout d'abord, abaisser le seuil déclenchant la déclaration au préfet relève du domaine réglementaire et non du domaine de la loi ; le ministère de l'intérieur et la chancellerie ont appelé notre attention sur ce point avec beaucoup de vigueur.

Ensuite, étant donné la réticence des services préfectoraux à mettre en oeuvre le dispositif actuel, il n'est pas sûr qu'augmenter le nombre d'évènements dont la responsabilité leur incomberait soit d'une quelconque efficacité pour les maires.

Je vous proposerai donc de remédier à l'angle mort actuel que constituent les rassemblements de moins de 500 participants en prévoyant qu'une déclaration soit obligatoirement faite au maire. Cela permettra à ce dernier d'être informé et de pouvoir agir à temps par la concertation ou, si nécessaire, par l'interdiction. En cas de non-déclaration ou d'interdiction de l'évènement, la possibilité de saisie du matériel sera ouverte, ce qui n'est pas possible à l'heure actuelle pour les rassemblements de moins de 500 participants.

Pour ce qui concerne le renforcement des sanctions, la transformation de la contravention actuelle en un délit me paraît constituer une réponse adéquate et proportionnée au trouble que causent les rassemblements illégaux. La qualification en délit permettra désormais à la police judiciaire de conduire des enquêtes en flagrance et des interrogatoires, ce qui n'est pas possible à l'heure actuelle. L'intention des auteurs de la proposition de loi est claire et, me semble-t-il, raisonnable : il s'agit non pas d'interdire les « fêtes libres » de musique techno parce qu'elles auraient une mauvaise image ou que ce genre de musique serait déplaisant, mais d'inciter les organisateurs à respecter le cadre légal pour la sécurité des participants et le respect de l'ordre public, des populations et de l'environnement.

Dès lors, plus qu'une peine de prison, qui ne sera de toute façon guère appliquée, je vous proposerai de prévoir, ainsi que cela est prévu pour les dégradations à l'article L. 322-1 du code pénal, que la peine encourue pour le nouveau délit soit une amende de 3 750 euros et des travaux d'intérêt général ; je vous le rappelle, la durée maximale de ces travaux est de 400 heures, soit 53 jours de travail effectif, contre 120 heures au maximum à l'heure actuelle. La rédaction de l'article relatif au délit doit être précisée afin d'être pleinement conforme au principe de légalité des délits et des peines et de permettre la confiscation des biens saisis.

Par ailleurs, le doublement de la période de saisie administrative qu'envisage la proposition de loi serait disproportionné. Cette mesure n'est pas prise sous le contrôle d'un juge et nous envisageons d'en étendre l'application à tous les rassemblements de moins de 500 personnes. Aussi, porter la durée de cette confiscation de six mois à un an ferait courir à cette mesure un risque de censure que je suis d'autant moins enclin à courir qu'il s'agit d'un des moyens les plus efficaces pour faire cesser, sur le terrain, les rassemblements illégaux.

J'ai enfin souhaité appuyer le maire dans son dialogue avec les organisateurs et, si possible, sortir de la situation actuelle de tolérance de l'illégalité. Afin de relancer le dialogue entre les pouvoirs publics et les organisateurs qui disent vouloir entrer dans la légalité et démontrer leur sérieux, je vous propose qu'une charte de l'organisation de ces rassemblements soit rédigée par les pouvoirs publics après négociation avec les organisateurs. Ceux qui y adhéreront feront la preuve de leur engagement à respecter la loi, ce qui facilitera leur dialogue avec les maires et avec les préfets.

Le régime des « fêtes libres » a vocation à se fondre dans le régime général des spectacles, festivals et évènements culturels, mais les organisateurs de ces rassemblements restent sur les marges du droit. Il faut donc permettre à ceux qui souhaitent entrer dans la légalité de le faire, sanctionner les autres et surtout redonner aux maires les moyens d'agir pour la sécurité des personnes, la tranquillité et l'ordre public et la protection de l'environnement.

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