Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Réforme des collectivités territoriales — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour reprendre l’excellente expression du président du Sénat, niant que cela en fut un, ce projet de loi est avant tout un « fric-frac électoral ». Cela est suffisamment clair pour que je puisse me dispenser de développer !

Officiellement, il s’agit de réaliser des économies, de simplifier l’organigramme territorial et de mieux articuler les politiques, ainsi que les relations entre les acteurs locaux. Voyons cela.

Les économies attendues de la division par deux du nombre d’élus – économies de moins en moins chiffrables, d’ailleurs, depuis l’invention du remplaçant du conseiller territorial – sont au mieux dérisoires, plus probablement illusoires, de même que les économies à attendre de l’ « encadrement » des financements croisés : financer seul une action ne la rend pas deux fois moins coûteuse que si on la finançait à deux.

C’est par une autre voie, celle de l’étranglement financier des régions, en tout cas des trois quarts d’entre elles, de l’asphyxie progressive des départements et du transfert aux ménages de l’essentiel du financement des communes et de leurs EPCI, que le Gouvernement atteindra son objectif. Cette démarche est d’ailleurs en contradiction – mais nous n’en sommes plus à une contradiction près – avec le rôle qu’il entend faire jouer au pôle région-département.

Pour la simplification du paysage institutionnel et la mise en cohérence des politiques locales, deux logiques s’offraient.

La première est imposée par notre histoire et notre territoire, avec ses trois niveaux d’administration spécifiques que sont les communes, les départements et les régions, les intercommunalités étant de simples outils pour faire à plusieurs ce que l’on ne pouvait faire seul. Elle prend en compte la profondeur de la réalité affective et politique de la commune, voire du département, ainsi que cette autre évidence : la façon la plus efficace et la moins coûteuse de gérer un territoire aussi étendu et divers que le nôtre est encore d’en confier le soin à des bénévoles ou quasi-bénévoles, élus au plus près des intéressés.

C’est la logique du contre-projet que le groupe socialiste présentera sous la forme d’un faisceau d’amendements. Alternative cohérente au projet gouvernemental, il s’inspire directement des propositions du rapport Krattinger-Gourault et de l’ensemble des travaux de la mission Belot, qui ont permis de rassembler les sénateurs au-delà des clivages habituels. Sauf à admettre que nous avons travaillé pour la forme, il n’y a pas de raison de ne pas se rejoindre à nouveau sur ces propositions.

Nous entendons en particulier tirer toutes les conséquences du principe selon lequel les intercommunalités sont des « coopératives de communes » tenant leur légitimité des communes, et non les antichambres de la disparition de celles-ci.

Nous entendons aussi corriger l’un des défauts majeurs du projet de loi, à savoir l’absence de dispositions permettant de renforcer réellement la position européenne de nos grands ensembles urbains, généralement répartis sur un territoire discontinu et relevant d’une pluralité d’acteurs dans des domaines aussi stratégiques que l’enseignement supérieur, la recherche, la recherche-développement, le développement en général et les grands réseaux. Ce n’est certainement pas en confiant la gestion des routes départementales, du RMI-RMA, de l’APA et des collèges aux métropoles, par définition assises sur un territoire continu, que l’on y parviendra, pas plus qu’en créant des « pôles métropolitains » au sens où l’entend le projet de loi, c’est-à-dire des métropoles pour insuffisants démographiques…

La seconde logique est celle des « managers », des modernisateurs, des experts multicartes, des communicants –auxquels nous devons un niveau de chômage et de sous-emploi permanent élevé, la montée des inégalités et l’explosion de l’endettement de ces trente dernières années, années glorieuses pour ceux qui ont de l’argent –, avec ses deux niveaux d’administration : les intercommunalités, en lieu et place des communes, et une dizaine de régions.

C’est clairement la logique du rapport Attali et, présentée sous une forme plus diplomatique, du rapport Balladur, ainsi que, dans une large mesure, de l’avant-projet de juillet 2009.

Ensuite, les choses se brouillent. Confronté à une levée de boucliers, le Gouvernement, avec l’aide de la commission des lois, va désormais avancer masqué. Je ne doute pas qu’il soit prêt à d’autres concessions pour trouver sa majorité, pour l’instant introuvable. Je m’en félicite, car cela débouchera sur un résultat moins toxique pour le pays, mais ce sera au prix de la confusion, dont la « réforme » devait en principe être l’antidote.

Si le destin des communes est toujours de disparaître au sein des intercommunalités, on leur concède un trépas plus long, plus doux, différencié : pas une commune de moins, certes, mais plusieurs types de communes, selon qu’elles sont anciennes ou nouvelles, parties d’une métropole ou d’une commune nouvelle, et une multiplication des formes d’EPCI. Les départements et les régions les plus peuplés ne seront plus obligatoirement vampirisés par les métropoles, mais ils le seront par le biais de conventions plus ou moins obligatoires, variables selon les lieux : là, le RSA ou l’APA relèveront du département, mais un kilomètre plus loin, de la métropole.

On crée des conseillers territoriaux censés assurer la mise en cohérence des politiques de la région avec celles des départements, mais pas avec celles des métropoles, puisque les compétences régionales et départementales transférées seront du ressort exclusif des conseillers métropolitains. Ainsi, les conseillers territoriaux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur seront chargés du développement économique de l’ensemble du territoire régional, à l’exception des métropoles de Marseille, de Toulon et de Nice ! Comme aurait dit l’oncle de la chanson de Boris Vian : « Y a quelque chose qui cloche là-dedans ! »

Le millefeuille territorial aux couches bien identifiables est mort, place au pudding territorial où tout se mêle : communes et intercommunalités, régions et départements, métropoles et départements, métropoles et régions. C’est incontestablement une réforme appelée à faire date, mais certainement pas un progrès. Néanmoins, comme l’a dit tout à l’heure l’un de nos collègues, c’est tout de même un pur moment de bonheur…

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