Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Réforme des collectivités territoriales — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelle logique cohérente a bien pu présider à l’élaboration de ce texte ? Vous donnez l’impression de ne pas savoir quoi faire du département, mais vous le placez dans le même temps en position de sursis. Ceux qui faisaient mine de vous croire quand vous prétendiez ne pas vouloir étrangler financièrement les collectivités territoriales en réformant la fiscalité locale pourraient bien finir par ouvrir les yeux !

Alors, à quoi peut donc bien servir ce projet de loi ? L’essentiel semble dit en quelques mots dès l’article 1er : s’il consacre effectivement l’avènement des conseillers territoriaux après qu’un premier texte, en décembre dernier, eut annoncé leur création en 2014, le plus important, c’est-à-dire le mode de scrutin pour l’élection de ces nouveaux conseillers et les compétences qu’ils exerceront, est encore reporté à un futur projet de loi. Cette méthode a un nom : le teasing. Habilement organisé, ce teasing législatif nuit évidemment au fonctionnement démocratique de nos institutions. Je me permets de vous le rappeler, monsieur le ministre : les parlementaires sont censés connaître la loi qu’ils ont à voter, et les citoyens pouvoir la comprendre !

Néanmoins, nous sommes avertis : pour l’élection de 80 % des futurs conseillers territoriaux, c’est un scrutin uninominal à un tour qui reste prévu. On en discute encore, semble-t-il, en haut lieu, mais la logique est claire : il s’agit de reprendre le pouvoir qui échappe à l’UMP au sein des collectivités territoriales, en espérant remporter la mise avec une majorité relative de 30 % à 35 % des suffrages seulement au premier et unique tour de scrutin. Tel est le grand dessein de la réforme concoctée par le Président de la République !

Dérogeant ainsi aux principes démocratiques qui ont jusqu’ici prévalu, le projet de loi s’expose à un possible rappel à l’ordre constitutionnel. Peu importe : chantre d’une rupture qui conduit de toutes parts au délitement de la cohésion nationale, le Président de la République n’en est plus à une fracture près… Après l’audiovisuel public, l’hôpital, le projet recentralisateur du Grand Paris, dont l’examen a été prudemment reporté après les élections régionales, et en attendant une réforme de la justice qui suscite de nombreuses et légitimes inquiétudes pour l’indépendance de celle-ci, il fallait remettre la main, coûte que coûte, sur les pouvoirs locaux.

Que n’avons-nous pas entendu pour justifier cette entreprise ! Les élus locaux seraient trop nombreux, ils seraient de mauvais gestionnaires, se complaisant dans une gabegie dispendieuse. Ils sont devenus, dans la bouche du chef de l’État, la cause de tous les maux. Cette vision erronée ignore évidemment les mises en garde de la Cour des comptes, qui a récemment expliqué que, au-delà des déficits abyssaux qui caractérisent la conduite de la France par le gouvernement actuel, lorsque les collectivités territoriales se voyaient transférer des compétences jusque-là assumées par l’État, induisant le recrutement de personnels, sans pour autant percevoir les dotations financières correspondantes, l’administration centrale de l’État omettait d’ajuster ses propres effectifs. Par conséquent, on peut craindre que la vindicte présidentielle ne relève avant tout d’une posture tacticienne, étrangère à l’intérêt général.

J’en veux pour preuve qu’il fut une époque où Nicolas Sarkozy semblait voir dans les collectivités territoriales plus une opportunité qu’une menace pour la France. N’a-t-il pas lui-même écrit ces mots, dans un ouvrage publié en 2001 : « Une nation moderne est une nation qui revendique la décentralisation. Un État moderne est celui qui organisera son efficacité en reconnaissant qu’il lui est impossible de tout régenter, diriger, organiser. »

En conclusion de mon intervention, face aux visées jacobines et claniques qui semblent sous-tendre ce projet de loi, j’en appelle au sursaut républicain de l’ensemble des membres de cette assemblée, puisqu’ils représentent les collectivités territoriales, mises à mal par ce projet de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion